L’ascension fulgurante d’un mouvement régional anti-européen
La Lega des Tessinois a vu le jour il y a 25 ans au Tessin, en tant que parti d’opposition. Elle est restée fidèle à ses principes de mouvement régional anti-européen. Elle a toutefois aussi dû se transformer, car elle assume une responsabilité gouvernementale toujours plus grande. En 2013 mourait son charismatique mais contesté fondateur Giuliano Bignasca.
La Lega des Tessinois (Lega dei TicinesiLien externe) vient d’avoir 25 ans. Des centaines de partisans ont célébré cet anniversaire, à l’occasion d’une grande fête à Lugano. Il y a un quart de siècle, personne n’aurait pu imaginer pareille évolution de la Lega, d’un mouvement régional de protestation à une force politique décisive d’un canton méridional de Suisse.
En 1990, les moteurs du mouvement étaient l’entrepreneur Giuliano Bignasca et Flavio Maspoli. Ce dernier était un journaliste entreprenant à qui, un an auparavant, Bignasca avait confié la rédaction en chef du dominical gratuit «Il mattino della domenica» (Le dimanche matin).
Giuliano Bignasca, un libéral déçu, fonda le journal et le parti dans le but de mettre des bâtons dans les roues des partis établis. A l’époque, il était souvent question de leur domination, de la « partitocrazia ». Etaient visés les partis historiques que sont le PLR (Parti libéral-radical) et le PDC (Parti démocrate-chrétien), mais aussi le PS (Parti socialiste), qui se répartissaient entre eux les postes et les mandats au Tessin.
«Le Tessin aux Tessinois»
A la question de savoir ce que la Lega voulait vraiment, le président à vie Giuliano Bignasca répondait invariablement : «Le programme est clair: non à l’Union européenne, oui au secret bancaire, et ‘le Tessin aux Tessinois’». Cela ne le dérangeait pas d’être qualifié de populiste. Car il se considérait volontiers comme le porte-parole des petites gens, et comme le protagoniste d’une nouvelle «Droite sociale».
Giuliano Bignasca s’inspira sans aucun doute aussi de la Lega Nord italienne, un parti de droite populiste fondé en 1989, qui s’engageait pour l’indépendance de l’Italie du Nord par rapport à Rome. Les rapports entre la Lega des Tessinois et sa grande sœur italienne ont (presque) toujours été bons. Cela n’a pas empêché pas la Lega tessinoise de mobiliser continuellement les esprits contre l’Italie, et en particulier contre les frontaliers italiens.
De la protestation au pouvoir
L’ascension fut rapide. Des représentants de la Lega furent élus au Conseil national et au Conseil d’Etat tessinois (le gouvernement cantonal). En 2011, le parti obtint un succès historique en plaçant deux de ses candidats au gouvernement cantonal, qui compte cinq ministres au total, obtenant donc la majorité absolue. La domination du PLR, qui avait duré des décennies, était ainsi brisée, et le parti de protestation quant à lui faisait son entrée définitive au poste de commande du pouvoir.
En 2013, la Lega fêtait une autre victoire historique, lorsqu’elle réussit à conquérir, avec Marco Borradori, la présidence de la ville de Lugano, également aux dépens du PLR.
Malgré son pouvoir toujours croissant, la Lega n’est jamais devenue un «parti normal». Congrès, réunions du comité, révision des programmes politiques: la Lega ne connaît pas tout cela. Giuliano Bignasca donnait le ton dans le «Mattino della domenica», devenu le journal du parti.
Le système n’a pas changé après la mort inattendue du fondateur de la Lega en mars 2013. Les décisions sont prises au sein du petit comité des dignitaires politiques, des «officiers»; tandis que le journal du parti s’occupe de répandre leurs bonnes paroles au sein de la population.
Le Tessin, la Catalogne de la Suisse ?
Région de Suisse située au sud des Alpes, le Tessin se trouve dans une situation géographique et linguistique particulière. Seul canton italophone du pays, il apparaît comme un triangle pénétrant en Lombardie (Italie). Cette position géographique et linguistique a toujours créé une certaine distance entre Berne et le chef-lieu Bellinzona. Toutefois, depuis la création de la Lega des Tessinois il y a 25 ans, le sentiment de ne pas être perçus et compris par la Berne fédérale s’est étendu jusqu’à devenir un «régionalisme spécifique».
C’est du moins la thèse avancée par le politologue Oscar MazzoleniLien externe dans un livre publié récemment, intitulé «Berna è lontana » (Berne est lointaine). Sur la base notamment d’initiatives parlementaires, l’auteur montre qu’entre-temps, tous les autres partis cultivent ce « régionalisme » de la même manière. «En tant que région périphérique, le Tessin aspire au fond à la cohésion nationale, mais comme ses problèmes ne sont pas assez pris au sérieux à Berne, c’est exactement le contraire qui se passe: le Tessin menace de devenir la Catalogne de la Suisse», écrit Oscar Mazzoleni.
La Lega dicte l’agenda politique
Qu’a obtenu la Lega au cours de ces 25 ans ? « Elle a dicté l’agenda politique et donc fixé la hiérarchie des thèmes politiques », estime le politologue Oscar Mazzoleni, de l’Université de Lausanne. Le phénomène est particulièrement évident sur des questions comme l’Union Européenne, les étrangers et les frontaliers, qui dominent aujourd’hui l’actualité politique.
A cet égard, la Lega peut être considérée comme un précurseur régional de l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice), qui en Suisse alémanique, sous l’impulsion de Christoph Blocher, a réussi à dominer la discussion nationale avec son agenda politique, en particulier avec les thèmes de l’asile et des étrangers.
Au niveau national, la Lega est restée un cas unique, car son existence est liée au canton du Tessin, ne serait-ce que pour des raisons linguistiques. Un mouvement semblable, mais beaucoup plus petit, s’est créé à Genève avec le Mouvement Citoyens GenevoisLien externe (MCG), qui polémique aussi contre les frontaliers du pays voisin. Une xénophobie diffuse, mais parfois aussi explicite, lie la Lega au MCG.
L’activité gouvernementale critiquée
Grâce à ses succès électoraux, la Lega a assumé toujours plus de responsabilités gouvernementales. Et c’est pourquoi, elle doit parfois se faire violence et agir contre ses propres principes. A Lugano par exemple, la Lega domine l’exécutif municipal. Et face à l’évolution dramatique des finances, les impôts ont été augmentés; ce alors que la Lega se considère comme le parti anti-impôts par excellence.
De même, la lutte contre un appareil administratif gonflé et des taxes étatiques superflues a depuis toujours fait partie des chevaux de bataille de la Lega. Malgré cela, le ministre léguiste de l’environnement Claudio Zali a fait passer au Grand Conseil (législatif cantonal) une taxe de parking qui oblige les entreprises et les centres commerciaux à prélever des taxes sur les places de stationnement. L’initiative vise à juguler le trafic individuel motorisé. Les associations économiques ont réussi à recueillir 24’000 signatures pour un référendum contre la nouvelle taxe (7000 étaient nécessaires) pendant la seule période de Noël et Nouvel An. La Lega, qui au cours de ses 25 ans d’existence a souvent utilisé le référendum pour politiser, doit maintenant défendre une mesure gouvernementale dans le cadre d’un vote référendaire.
Protestations et responsabilités
L’équilibrisme entre le travail institutionnel et l’opposition fait bien sûr un peu partie de l’essence même de la Lega, qui n’a jamais dû en payer un prix élevé. Cette contradiction ne semble causer aucun problème à son électorat, qui continue de croître.
Cela vaut aussi pour les décisions politiques délicates comme la hausse des impôts à Lugano. Comment est-ce possible? L’ancien conseiller national tessinois UDC Pierre Rusconi l’explique ainsi: la Lega n’a en fait pas des électeurs au sens propre, mais des fans, qui soutiennent leur club, peu importe ce qu’il fait.
(Traduction de l’allemand: Barbara Knopf)
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