Donald Trump fait la leçon au monde entier et soigne son électorat
Greta Thunberg et Donald J. Trump: deux stars planétaires que tout oppose font la une au 50e Forum de Davos. Mais la mauvaise conscience climatique et la bonne conscience triomphaliste ne se rencontreront pas.
Ciel bleu sur Davos, 30 centimètres de poudreuse fraîchement tombée: un vrai temps de carte postale. Une aubaine pour Donald Trump, qui «adore» la Suisse. Mais pas autant que l’Amérique: avant même que les deux Air Force One atterrissent à Zurich, le président a annoncé la couleur sur Twitter: il revient au Forum économique mondial (WEFLien externe) pour «rapporter des centaines de milliards de dollars aux États-Unis», le pays qui est «de loin le numéro un!!» De la Terre? Non, «de l’univers», bien sûr.
Heading to Davos, Switzerland, to meet with World and Business Leaders and bring Good Policy and additional Hundreds of Billions of Dollars back to the United States of America! We are now NUMBER ONE in the Universe, by FAR!!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) January 21, 2020Lien externe
À 11h15, la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga déclare officiellement le Forum ouvert. «Le monde est en feu», lance-t-elle, reprenant des propos du Secrétaire général des Nations Unies.
Le monde? Il n’a qu’à suivre l’exemple des États-Unis, semble lui répondre une demi-heure plus tard Donald Trump. Dans un discours imprégné d’une foi en la croissance digne des Trente Glorieuses, le président américain fait descendre sur Davos une véritable avalanche de chiffres, censés prouver que son pays ne s’est jamais mieux porté que depuis qu’il le dirige.
«Tous les indicateurs sont meilleurs que sous les administrations précédentes» Donald J. Trump
Création d’emplois, taux de chômage (en particulier des Afro-Américains, des Hispano-Américains, des femmes, des handicapés), pouvoir d’achat des ménages, cours de la bourse: tous les indicateurs sont «meilleurs que sous les administrations précédentes», et souvent «meilleurs qu’ils ne l’ont jamais été». Et à en croire le président, ce capitalisme triomphant est aussi fortement social: les revenus des Américains les plus pauvres et des classes moyennes augmentent nettement plus vite que ceux des plus riches – de quoi donner du grain à moudre aux «fact-checkers» dans les rédactions.
Discours de campagne
«Mais à qui s’adresse vraiment Donald Trump?» semblent se demander les quelques hommes d’affaires qui quittent la salle pendant son discours. Sur 31 minutes, 24 sont consacrées à cet exercice d’auto glorification d’un candidat en campagne pour sa réélection – et dont par ailleurs le procès en destitution s’ouvre le jour même à Washington.
Sur la fin, le président se lance dans une digression sur le génie européen, louant particulièrement le Dôme de Florence et Notre-Dame de Paris, des chefs d’œuvres qui prouvent que «des hommes ordinaires peuvent accomplir des choses extraordinaires dès lors qu’ils ont un but commun».
Le message n’en est pas moins clair: aujourd’hui, le phare du monde, ce sont les États-Unis. Grâce notamment à leurs «ressources énergétiques illimitées, avec le charbon propre, le gaz, le pétrole, le nouveau nucléaire». L’Europe doit suivre son exemple, et au passage «acheter des hydrocarbures américains» (sous-entendu «plutôt que russes»).
Réchauffement climatique? Énergies renouvelables? Inconnus au bataillon. Tout au plus le président américain promet-il de soutenir l’initiative du WEF, qui veut planter 1000 milliards d’arbres dans le monde d’ici 2030 – et ce sera la seule fois où la salle applaudit (poliment) avant la fin. Il promet également de «préserver la beauté de la création de Dieu» – cité six fois dans le discours.
Le discours de Donald J. Trump à Davos
«Diseurs de bonne aventure»
À Greta Thunberg (présente dans la salle) et à tous les activistes du climat, Donald Trump lance quelques piques, les qualifiant (sans les nommer) d’«héritiers des diseurs de bonne aventure de l’ancien temps. […] Ils veulent toujours dominer, transformer et contrôler tous les aspects de nos vies. Nous ne laisserons jamais le socialisme radical détruire notre économie, ruiner notre pays ou supprimer notre liberté».
«Je suis abasourdi. C’est comme si ce que nous voyons de nos yeux n’existait pas» Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie
Présent lui aussi dans la salle, le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz se dit «abasourdi» par ce discours. «C’est comme si ce que nous voyons de nos yeux n’existait pas», lâche-t-il.
«En pratique, rien n’a été fait»
Tout autre ton de la part de Greta Thunberg, qui s’exprimait plus tôt dans la matinée. Si elle se réjouit de ce que «le climat et l’environnement sont un sujet d’actualité aujourd’hui», elle déplore qu’«en pratique, rien n’a été fait, les émissions de CO2 n’ont pas diminué».
Comme prévu, le président et l’écolière ne se sont pas croisés, même si en quittant le Centre des Congrès, Donald Trump a lancé une ultime pique aux écologistes, vantant le fait que «nous avons de l’air pur aux États-Unis».
Si Greta Thunberg n’a aucune chance de se faire entendre à Washington, Bruxelles semble plus ouverte aux discours des manifestants pour le climat. En ouverture du Forum, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a rappelé que «Davos est le lieu où les conflits sont évités, où les affaires commencent, et où les litiges sont réglés. […] Mais pour avoir un véritable impact, nous devons avoir des engagements fermes, et nous devons écouter la société civile, les ONG, les scientifiques».
«En pratique, rien n’a été fait», estime Greta Thunberg
Libre-échange ou réchauffement climatique?
Le président américain a également rencontré la présidente de la Confédération suisse Simonetta Sommaruga, à qui il a dit son intérêt pour un accord de libre-échange. Les deux dirigeants étaient accompagnés de plusieurs membres des deux gouvernements. «Voyons ce que nous pouvons faire», a dit Donald Trump, tout en relevant que, certes, les deux pays travaillaient sur d’autres dossiers.
Il avait déjà donné des signaux positifs à l’ancien président Ueli Maurer, en mai dernier. Mais le président de l’Union suisse des paysans Markus Ritter avait ensuite émis des doutes sur la conclusion rapide d’un accord, en raison de la question agricole.
«Je suis ravie de continuer nos contacts» entre gouvernements, a de son côté affirmé Simonetta Sommaruga. Elle a ajouté vouloir aborder «quelque chose qui nous concerne tous, le réchauffement climatique», provoquant une moue chez son interlocuteur. La socialiste a ensuite expliqué au président américain la «diversité» de la Suisse, reflétée dans la composition linguistique du Conseil fédéral, ainsi que la présidence tournante qui revient à des «hommes et à des femmes». «Très bien», a alors répondu Donald Trump.
Donald Trump n’a pas mentionné le mandat suisse de représentation des intérêts américains en Iran, qui figurait pourtant au programme de la rencontre. En raison de la crise ouverte par l’assassinat du général Qassem Soleimani et du crash de l’avion ukrainien en Iran, le chef de la diplomatie de Téhéran Mohammad Javad Zarif a renoncé à venir à Davos.
Contrairement à sa visite de 2018, où il était reparti tout de suite après son discours, le président américain va rester jusqu’à mercredi. Il doit encore rencontrer Ursula von der Leyen, ainsi que le président irakien et le premier ministre pakistanais.
Discours de Donald Trump: décryptage par Jean-Philippe Schaller, chef de la rubrique internationale de la RTS
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