A Genève, une ONG met Pékin face à ses contradictions
Alors que Pékin défend ce lundi sa politique des droits de l'homme devant l'ONU, l'ONG Human Rights in China a fait un travail minutieux et systématique de mise à nu.
Encercler l’adversaire à la périphérie plutôt que l’attaquer frontalement. C’est la méthode, toute maoïste, qu’a choisi d’utiliser l’organisation Human Rights in China (HRIC) venue à Genève faire passer ses revendications auprès de l’une des plus grandes puissances mondiales.
Lundi, la situation des droits de l’homme en Chine est en effet soumise au scanner de l’ONU dans le cadre de l’examen périodique universel (EPU). Après les présentations de trois rapports, dont celui du gouvernement chinois, ce sera au tour des 47 pays membres du Conseil des droits de l’homme d’adresser leurs observations et leurs recommandations à la délégation chinoise.
Promesses non tenues
Invitées à Genève par la Fédération internationale des droits de l’homme, Sharon Hom et Mi Ling Tsui, de HRIC, ont écumé les missions à Genève pour qu’elles participent activement à l’examen de la Chine.
Car le gouvernement chinois n’a pas tenu sa promesse, faite à l’occasion des Jeux olympiques de Pékin, d’améliorer les libertés, rappelle Human Rights Watch dans son rapport 2009.
L’Etat continue de contrôler les institutions judiciaires, faisant perdre toute confiance à la population. Corruption officielle, expropriations illégales des terres, conditions de travail abusives… La liste des violations est encore longue. Sans parler de la répression des minorités comme au Tibet.
En novembre dernier, la Chine était une fois de plus sévèrement épinglée par le Comité de l’ONU contre la torture. Ne sachant où s’adresser pour réclamer justice, les gens descendent dans les rues par dizaines de milliers pour protester.
Une stratégie minutieuse
C’est au bar Serpentine de l’ONU que la rencontre avec les deux militantes chinoises a eu lieu. Petite femme mince et hyper active, Sharon Hom, la directrice exécutive de HRIC, ne laisse rien au hasard.
Même à Genève, elle se méfie des oreilles indiscrètes et isole la table à laquelle nous allons nous asseoir. Ensuite, c’est la cascade de paroles pour décrire sa Chine, la vraie, et non celle présentée par le pouvoir chinois. «Les protestations sont permanentes dans notre pays, mais le monde extérieur ne le sait pas, la presse non plus», lance-t-elle.
Les deux femmes sont venues avec un plan minutieux et systématique pour se faire entendre de leur gouvernement. Pour ce faire, elles ont disséqué le rapport national produit par Pékin dans le cadre de l’EPU.
Faire apparaître les lacunes
Pour rappel, cet «examen par les pairs» se base sur trois types de documents: un rapport de 20 pages présenté par le pays examiné; un rapport de 10 pages de la Haut-commissaire aux Droits de l’homme rassemblant les informations produites par les organes de l’ONU; un résumé de 10 pages des positions des ONG écrit par la Haut-commissaire.
«Nous avons identifié chaque thématique soulevée dans l’auto-évaluation chinoise. Par exemple, la législation nationale en rapport avec les instruments internationaux, le système judiciaire, le droit à la vie, l’interdiction de la torture, etc.»
Sharon Hom brandit un polycopié de 15 pages produit par l’ONG. Une trentaine de points y sont consignés et mis en relation avec les recommandations de l’ONU. Pour chacun de ces points, le tableau montre si des mesures ont été prises ou non par Pékin pour mettre en œuvre lesdites recommandations. Le document a ainsi le mérite de faire apparaître clairement et de manière rigoureuse les lacunes du gouvernement chinois.
Rendre le processus le plus efficace possible
Parallèlement, l’ONG a passé en revue les vidéos des précédentes sessions d’EPU sur les autres pays. Elle a repéré une vingtaine d’Etats dont les interventions étaient les plus concrètes.
Les deux militantes ont ensuite rédigé des lettres personnalisées pour chacune de ces délégations, les enjoignant à intervenir sur des thématiques spécifiques. La mission suisse a ainsi été rendue sensible à la nécessité pour les «victimes d’actes de violences» d’obtenir des compensations et sur la liberté d’expression et le droit de critiquer un organe étatique.
Pour Sharon Hom, il faut agir sur le processus, aussi imparfait soit-il, pour le rendre le plus efficace possible. «Au fond, nous leur facilitons le travail, nous ne faisons que montrer au gouvernement ses propres lacunes», résume l’activiste.
«L’Occident voit les 30 années de réformes économiques comme un progrès incroyable. Mais nous maintenons que les réformes politiques sont tout aussi indispensables, sinon la corruption ne peut pas être éradiquée et le manque de transparence va étouffer le progrès économique. La crise économique mondiale qui a commencé en 2008 a un impact terrible sur notre pays. Les statistiques officielles parlent de 20 millions de travailleurs qui ont perdu leur travail. En réalité, les chiffres sont bien plus élevés.»
«Voyez la charte 08. Son lancement s’inscrit dans un ancien et douloureux processus de démocratisation en Chine. Les demandes qui y sont contenues ne sont pas nouvelles. Elles étaient déjà formulées lors du mouvement du Mur de la démocratie en 1978 [ndrl: mur de brique dans le centre de Pékin, où étaient collés entre novembre 1978 et décembre 1979 les affiches manuscrites des discussions politiques ouvertes après la fin de la période maoïste et la défaite de la Bande des Quatre] ou des événements de Tian’anmen en 1989.»
swissinfo, Carole Vann/InfoSud
Examen périodique universel. Les 192 Etats qui composent l’ONU doivent être examinés une fois tous les quatre ans.
Dialogue. L’EPU se déroule en marge des sessions régulières du Conseil des droits de l’homme. Cet examen prend la forme d’un dialogue de trois heures sur chaque pays.
Trois documents.Cet «examen par les pairs» se base sur trois documents: un rapport de 20 pages présenté par le pays examiné; un rapport de 10 pages de la Haut-commissaire aux Droits de l’homme rassemblant les informations produites par les organes de l’ONU; un résumé de 10 pages des positions des ONG écrit par la Haut-commissaire.
Tirés au sort. Pour chaque pays examiné, trois diplomates de pays différents et tirés au sort coordonnent l’examen. Celui-ci débouche sur un rapport et des recommandations adressées à l’Etat examiné et adoptées par les membres du Conseil des droits de l’homme.
Dissidents chinois. A l’occasion du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme en décembre dernier, 303 intellectuels chinois, bravant la répression et la peur, ont signé la Charte 08, sur le même modèle que la Charte 77 lancée par les dissidents tchèques à l’époque de la dictature soviétique.
En prison. La charte n’était même pas encore rendue publique que les auteurs se retrouvaient déjà en prison. Aujourd’hui, ils sont 8000 signataires, 80% d’entre eux vivent en Chine communiste.
Revendications. Les auteurs demandent que la Chine ratifie le Pacte des Nations Unies pour les droits civils et politiques. Pékin s’est contenté de la signer. Parmi les autres principales revendications, la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, ainsi que des élections libres et pluralistes.
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