Sur la voie d’un compromis entre Berne et Bruxelles
Le nouveau Conseil national issu des dernières élections veut entretenir de bonnes relations avec l'Union européenne, tout en obtenant un meilleur accord-cadre. La nouvelle Commission européenne souhaite également de bonnes relations avec la Suisse, mais elle attend le résultat du vote populaire sur la libre circulation des personnes prévu ce printemps. Rien n'a été débloqué pour l'instant, mais rien n'a été perdu non plus. Analyse.
Après le Conseil des États, le nouveau Conseil national a également accepté mardi une deuxième contribution suisse de 1,3 milliard de francs en faveur des États du Sud et de l’Est de l’Union Européenne (UE). Le paiement sera subordonné à la condition que l’UE ne prenne aucune mesure discriminatoire à l’encontre de la Suisse. En clair, qu’elle ne refuse pas à la Bourse helvétique l’accès des marchés financiers européens.
Cette contribution dite de cohésion vise à compenser les inégalités économiques et sociales dans ces pays et à cofinancer des mesures dans le domaine des migrations.
Il ne s’agit pas seulement d’un acte de solidarité de la Suisse envers les pays moins développés, mais cela répond également à une demande de l’UE. En effet, la Suisse, en tant que pays tiers, bénéficie également du marché intérieur élargi grâce à ces jeunes membres.
Un peu moins exigeant
Lors de ses ultimes débats, l’ancien Parlement avait décidé de charger le Conseil fédéral de poursuivre les négociations avec Bruxelles en ce qui concerne l’amélioration de la protection salariale (lutte contre le dumping salarial), les aides étatiques et les directives sur la citoyenneté européenne.
Le nouveau Parlement a rejeté une motion qui demande à la Suisse de mener des négociations supplémentaires sur d’autres points.
Et la suite?
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Accord-cadre Suisse-UE: où en sommes-nous?
Les décisions prises à Berne montrent que la Suisse ne laissera pas échouer les négociations avec l’UE, qui sont bloquées depuis des mois. Mais elles montrent aussi que le projet de négociations, en cours depuis fin 2018, n’est pas encore équilibré d’un point de vue suisse. Pour Berne, il faut encore des améliorations notables sur au moins trois ou quatre points, notamment dans les domaines de la protection salariale, des directives sur la citoyenneté européenne et des aides étatiques.
Jusqu’à présent, l’UE n’était pas ouverte à l’idée de renégocier. Et cela ne changera pas pour le moment, du moins officiellement. Tant qu’elle ne trouvera pas de solution au différend relatif au Brexit avec la Grande-Bretagne, l’UE ne fera aucune concession à la Suisse, car cela pourrait être un mauvais signal envoyé au Royaume-Uni.
De nouvelles négociations ont-elles une chance?
Le Brexit a montré que l’on peut discuter avec l’UE si le partenaire de négociation – comme l’a fait le Premier ministre britannique Boris Johnson – présente une proposition qui a du sens pour les deux parties.
Qu’est-ce qu’une proposition sensée?
En cas de nouvelles négociations, la Suisse pourrait montrer à l’UE qu’il n’existe que trois options:
A: La Suisse dit oui au présent projet, avec le grand risque qu’il soit finalement rejeté par le peuple en votation.
B: La Suisse rejette catégoriquement le projet et laisse les négociations échouer.
C: La Suisse et l’UE cherchent une solution équilibrée en renégociant les points controversés.
Les options A et B ne sont pas non plus susceptibles d’intéresser l’UE. Certes, les relations mutuelles ne sont pas aussi importantes pour elle qu’elles le sont pour la Suisse, mais l’UE en bénéficie. Logique: les accords bilatéraux ont été négociés dans l’intérêt des deux parties. L’UE peut aujourd’hui vendre plus de biens et de services à la Suisse que l’inverse. En outre, il y a plus de citoyens européens en Suisse que de citoyens suisses dans l’UE. Et chaque jour, quelque 315’000 frontaliers viennent travailler en Suisse.
La Suisse doit-elle se plier à toutes les demandes de l’UE?
Le fait est que ce n’est pas la Suisse mais bien l’UE qui exige une modification des traités existants. C’est son droit, mais ces changements ne sont pas dans l’intérêt du plus petit partenaire de négociation à certains égards. Et le plus petit partenaire de négociation n’est pas obligé d’accepter tout ce que le partenaire le plus puissant demande; il peut exiger des exceptions dans des domaines qui lui sont essentiels. Cela est même stipulé dans les accords.
Mais il serait également absurde pour la Suisse de surestimer sa propre importance et de rejeter catégoriquement toutes les demandes de l’UE.
Et si la Suisse continuait d’être inflexible?
La Suisse ne devrait pas laisser les accords bilatéraux échouer de son propre chef, mais plutôt proposer un accord transitoire à l’UE, a récemment écrit Michael Ambühl dans un commentaire pour le journal Neue Zürcher Zeitung. Ancien diplomate et actuel professeur de technique de négociation et de gestion des conflits auprès de l’École polytechnique fédérale de Zurich, Michael Ambühl avait été le négociateur en chef suisse des Accords bilatéraux II de 2001 à 2004.
Pourquoi l’UE devrait-elle s’engager dans une telle solution transitoire?
Parce que les deux parties devraient avoir intérêt à ce que les relations existantes ne soient pas mises à mal.
«Avec un tel accord, on pourrait atténuer les développements négatifs et reprendre les négociations sur l’accord-cadre institutionnel à une date ultérieure. Les partenaires pourraient convenir que, d’une part, la mise à jour des traités existants soit poursuivie dans le cadre habituel et que, d’autre part, la Suisse renonce jusqu’à nouvel ordre aux demandes de nouveaux accords d’accès au marché», suggère Michael Ambühl.
«Et en signe de bonne volonté, la Suisse pourrait être beaucoup plus généreuse dans sa contribution au fonds de cohésion. Ce serait encore plus favorable qu’un accord-cadre déséquilibré ou de petites attaques imprévisibles de l’UE», écrit l’ex-diplomate, qui se réfère ici au fait que l’UE a refusé à la Bourse suisse l’accès aux marchés financiers européens.
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Pourquoi l’UDC veut en finir avec la libre circulation des personnes
Une comparaison avec ce que donne la Norvège montre que les 130 millions de francs que la Suisse verse par an (1,3 milliard répartis sur dix ans) ne sont pas particulièrement généreux par rapport au produit intérieur brut qui s’élève à près de 690 milliards. Les membres de l’Espace économique européen (EEE) paient environ trois fois plus.
Mardi, le Parlement ne s’est pas montré plus généreux. Il a même subordonné le versement de la contribution à la condition que l’UE n’exerce aucune discrimination à l’encontre de la Suisse. Il s’agit avant tout d’un signal de politique intérieure destiné à montrer aux électeurs qu’il n’est pas question de sacrifier les intérêts de la population locale sur l’autel de l’accord-cadre.
Que dira le peuple?
Tous ces efforts pour négocier l’accord-cadre seraient vains si le peuple venait à accepter en votation – probablement en mai – l’initiative «Pour une immigration modérée», lancée par l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice). Celle-ci demande que le Conseil fédéral mette fin à l’Accord sur la libre circulation des personnes avec l’UE, afin de régler l’immigration des étrangers en Suisse de manière autonome. Un oui populaire signifierait probablement le «Schwexit» des Accords bilatéraux.
Et si les citoyens refusent cette initiative, le gouvernement sera en meilleure position pour poursuivre son dialogue avec l’UE. Il faudra cependant éviter que la Suisse ne signe à Bruxelles un accord déséquilibré pour elle et qui n’aurait aucune chance devant les citoyens. Dans sa forme actuelle, cet équilibre n’est peut-être pas suffisant pour surmonter cet obstacle.
Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard
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