Après l’urgence sanitaire, l’OMS tente toujours de tirer des leçons du Covid
L’Organisation mondiale de la santé tient son assemblée annuelle à Genève du 21 au 30 mai. Elle affirme toujours être à la recherche des origines du Covid-19. Des négociations sur un nouveau traité visant à prévenir la prochaine pandémie y sont aussi en cours. Mais quelles sont les chances de succès?
Plus de trois ans après le début de la pandémie de Covid-19 – la pire de l’histoire moderne – l’origine du virus reste largement inconnue. La Chine, où la maladie a d’abord été détectée dans un marché d’animaux à Wuhan, est accusée de manquer de transparence. Les enquêteurs et enquêtrices de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’ont pu s’y rendre qu’un an après l’apparition du virus. Et si la majorité des scientifiques pensent que le virus est passé de la chauve-souris à l’être humain via un animal intermédiaire présent au marché de Wuhan, certaines voix aux États-Unis ont récemment relancé l’hypothèse d’une fuite de laboratoire.
«Le gouvernement chinois a fait l’objet d’un examen minutieux pour savoir pourquoi il n’avait pas partagé les données plus rapidement, de manière plus ouverte et à plus grande échelle, déclare Suerie Moon, codirectrice du Global Health Centre de l’IHEID à Genève. Je ne pense pas que cela nuise à l’OMS. La question est plutôt: pourquoi ce gouvernement n’a-t-il pas mis les informations à disposition plus tôt ou plus ouvertement?»
Elle évoque le dernier rebondissement en date de cette saga. En mars, un groupe de chercheurs et chercheuses issus de plusieurs pays a déclaré avoir trouvé et téléchargéLien externe des données chinoises nouvellement publiées. Celles-ci avaient brièvement fait leur apparition dans une base de données génétiques appelée GISAID. Selon les scientifiques, ces données indiquaient que l’hôte intermédiaire le plus probable du virus était le chien viverrin sauvage. Un animal vendu vivant au marché de Wuhan. Les données ont été retirées de GISAID peu après alors qu’une équipe de recherche chinoise mettait à jour son propre rapportLien externe, publié ensuite par le magazine scientifique Nature.
Face à cette publication tardive, le professeur Edward Holmes de l’Université de Sydney en Australie, expert en maladies infectieuses et coauteur de l’étude sur les nouvelles données chinoises, dit ressentir un mélange de «colère et de frustration». «Ces données ont été produites au début de l’année 2020 et il a fallu trois ans pour qu’elles soient publiées. C’est inacceptable», déplore-t-il.
Est-ce trop tard?
Selon Edward Homes, les données concernant le chien viverrin «sont probablement les meilleures preuves d’une origine zoonotique que nous ne pourrons jamais obtenir». «L’observation principale de ces données est qu’il y avait plusieurs espèces sauvages au marché de Wuhan en 2019, contrairement à ce que l’on nous avait dit à l’origine», explique-t-il. «En outre, nous savons que certaines des espèces sauvages trouvées sur le marché sont sensibles au SARS-CoV-2. Ces données ne prouvent pas qu’un des animaux du marché ait été infecté par le virus, mais elles correspondent exactement à ce à quoi on pourrait s’attendre pour une origine zoonotique.»
Pourra-t-on un jour connaître avec certitude l’origine du Covid-19? «Je pense qu’il est très probablement trop tard pour trouver l’origine zoonotique exacte, répond Edward Holmes. Le virus se serait probablement rapidement propagé dans des animaux hôtes intermédiaires et ne serait plus présent aujourd’hui dans cette population. Il a disparu. Le seul moyen de le retracer serait de rechercher des anticorps contre le virus chez ces animaux, prouvant ainsi une infection passée. Mais nous ne savons pas exactement quelle espèce, d’où les animaux venaient, ni si l’un d’eux vivant fin 2019 est encore en vie aujourd’hui.»
Suerie Moon du Global Health Centre rappelle qu’il existe d’autres maladies, comme le VIH, dont on ne connaît toujours pas l’origine exacte. Dans le cas du Covid, elle estime qu’il existe de véritables défis scientifiques, mais qu’il est également difficile de savoir si toutes les données existantes ont été partagées. «Même si tous les prélèvements, tous les fragments de données avaient été partagés, pourrions-nous être certains avec des preuves solides de l’origine de la maladie? La réponse pourrait être non. Je pense que c’est un véritable défi. Et, c’est bien sûr aussi une question très politique.»
En mars, le directeur de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a dénoncé la «politisation incessante» de la question de l’origine du Covid. Il a demandé une fois de plus qu’elle soit laissée aux scientifiques. Lors d’une conférence de presse à Genève, il a affirmé que l’OMS n’avait pas l’intention d’abandonner ses recherches et que le groupe consultatif scientifique sur les origines des nouveaux agents pathogènes (SAGO) avait recommandé l’année dernière des mesures restant à prendre.
Le SAGO, un groupe de scientifiques de différents pays, dont la Suisse, a déclaréLien externe le 18 mars que «bien que ces données n’apportent pas de preuves concluantes quant à l’hôte intermédiaire ou à l’origine du virus, elles fournissent des preuves supplémentaires de la présence d’animaux sensibles sur le marché, qui ont pu être une source d’infections humaines».
Traité sur les pandémies
Dans le cadre des efforts déployés par l’OMS pour tirer les leçons du Covid-19, ses États membres ont décidé par consensus, en décembre 2021, d’entamer des pourparlers sur un éventuel traité sur les pandémies. Le but: protéger le monde contre les futures urgences sanitaires. Un Organe intergouvernemental de négociation (OIN) a été créé pour rédiger le projet de traité et a tenu sa cinquième réunion en avril. L’OIN travaille à partir d’une «version zéro»Lien externe avec une fin des négociations prévue pour mai 2024.
«L’une des questions les plus controversées, les plus sensibles et les plus importantes est de savoir si les gouvernements peuvent conclure un accord et dire qu’en échange d’un engagement à partager les données, il y aura un engagement à partager les vaccins, les médicaments et les diagnostics, explique Suerie Moon. Pour l’instant, il n’y a pas d’accord, les gouvernements ne se sont pas entendus sur ce point.»
En ce qui concerne le partage des données, elle indique que les gouvernements doivent également se mettre d’accord sur les plateformes et les règles. Le GISAID, qui détient la plus grande quantité de données scientifiques sur le Covid-19, est une plateforme privée. Cela crée une «énorme vulnérabilité», estime-t-elle. Les gouvernements doivent également rendre les plateformes publiques telles que INSDC plus attrayantes pour les scientifiques en protégeant mieux leurs droits de propriété intellectuelle.
Selon Suerie Moon, il existe actuellement de nombreux obstacles, notamment en ce qui concerne la définition d’une pandémie, les règles de propriété intellectuelle, le financement et les dispositions en matière de conformité. La question du partage des données en échange de l’accès aux vaccins et aux médicaments est au cœur du problème, estime-t-elle. Et si le débat sur cette question reflète le même clivage entre les pays du Nord et ceux du Sud que celui observé pendant la pandémie, Suerie Moon espère que les pays émergents à revenu intermédiaire comme la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, qui ont un intérêt dans les deux cas, pourront servir de «passerelle» vers un compromis.
La société civile à l’écart
En attendant, les groupes de la société civile affirment qu’ils ne sont pas suffisamment impliqués dans les pourparlers. «C’est une préoccupation majeure, qui s’est aggravée au fur et à mesure que l’on entrait dans la phase de rédaction», regrette Courtenay Howe, de STOPAID et de l’Alliance de la société civile pour les droits humains dans le traité sur les pandémies (CSA).
La société civile a fait pression depuis le début pour plus d’inclusion, et il y a eu quelques progrès avec des auditions ouvertes et des sessions disponibles en ligne, reconnaît Courtenay Howe. Mais seules les ONG ayant des relations officielles avec l’OMS («un long processus») ou désignées par les États membres ont été autorisées à participer. «Nous sommes très inquiets, car maintenant que le texte est passé au groupe de rédaction (février 2023), il n’y a plus que des États membres», ajoute-t-elle.
«Si l’on se penche sur les réponses apportées par le passé au Covid-19 et aux autres urgences sanitaires, on constate que celles-ci ne sont pas toujours fondées sur les droits humains et que l’accès aux traitements médicaux est inégal», dit-elle.
Rendre des comptes
Courtenay Howe estime que la société civile doit être davantage impliquée dans les phases de rédaction, mais aussi celle de suivi. Elle souligne que même si l’on arrive à un texte juridiquement contraignant, il faudra que les États membres fassent preuve de volonté politique pour l’appliquer.
«Ce que nous appelons le respect et la mise en œuvre du traité sont d’une grande importance, car tous ces engagements peuvent n’être que des mots sur une page si l’on ne dispose pas d’un mécanisme efficace de responsabilisation», reconnaît Suerie Moon du Global Health Centre.
Que se passe-t-il donc si des engagements contraignants sur le partage des données et le financement des services de santé sont pris, mais que les gouvernements n’y donnent pas suite? Suerie Moon répond: «Si le gouvernement britannique dit: ‘oui, nous avons signé ce traité, mais nous n’avons pas d’argent à investir dans le service national de santé’, peut-il être forcé à agir différemment? Non. Mais il est prouvé qu’un suivi, des conférences régulières au cours desquelles les gouvernements procèdent à un examen par les pairs, la dénonciation et la réprobation peuvent être utiles. Il existe de nombreux petits outils qui permettent, au fil du temps, d’inciter les pays à faire ce qu’ils ont promis de faire».
Texte traduit de l’anglais par Dorian Burkhalter
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