Après la sortie du nucléaire, une montagne de déchets radioactifs

La Suisse s’apprête à fermer ses cinq réacteurs nucléaires, d’ici quelques années ou quelques décennies, selon la volonté du peuple. Mais les menaces liées à la radioactivité dureront encore très longtemps après cet arrêt. La gestion des déchets représente aujourd’hui encore une grande inconnue.
75 tonnes de déchets de combustible nucléaire usé: c’est ce que produisent chaque année les cinq réacteurs nucléaires suisses. En tenant compte d’une durée de fonctionnement de 47 ans pour la centrale de Mühleberg – qui sera fermée en 2019 – et de 60 ans pour les autres – le maximum prévisible – la montagne de déchets devrait encore augmenter jusqu’à attendre environ 4600 tonnes d’ici la fin du nucléaire en Suisse.
Ce serait un peu moins si, le 27 novembre prochain, le peuple acceptait l’initiative populaire des Verts «Pour l’abandon du nucléaire», qui demande que les réacteurs soient arrêtés après 45 ans d’activité. Mais dans un cas comme dans l’autre, l’énergie nucléaire laissera un lourd héritage. Non seulement par rapport au nombre de tonnes, mais surtout en ce qui concerne la sécurité des générations futures. Selon les estimations, il faudra entre 200’000 et 1’000’000 d’années pour que les déchets nucléaires retrouvent les valeurs de radioactivité de l’uranium à l’état naturel.
Plus de 65 ans après l’ouverture de la première centrale nucléaire dans le monde, la gestion des déchets reste une grande inconnue. Aujourd’hui encore, aucun pays ne dispose de dépôts en couches géologiques profondes pour le stockage définitif des résidus des centrales nucléaires.
Des milliers de fûts contenant du matériel de haute, moyenne et basse radioactivité sont placés dans des dépôts intermédiaires, en surface, dans l’attente d’une solution. Une dizaine de pays, dont la Suisse, ont même déversé une partie de ces déchets en mer, avant que cette pratique ne soit interdite au niveau international en 1993.
Risques délocalisés
En Suisse, le stockage et le retraitement des déchets nucléaires ont été pendant longtemps délocalisés dans d’autres pays, en dépit des risques liés au transport de ces matières radioactives sur de longues distances, dans des conteneurs d’aciers, par la route ou le rail. Jusqu’à la fin des années 1990, une bonne partie de ce matériel était transporté dans des centres spécialisés dans le stockage et le retraitement, à Sellafield (Royaume-Uni) et La Hague (France). Le reste était stocké dans les dépôts des centrales suisses.
C’est seulement depuis 2001, avec l’ouverture du centre ZwilagLien externe de Würenlingen, dans le canton d’Argovie, que les exploitants des centrales suisses se sont aussi dotés d’un dépôt intermédiaire centralisé, également en mesure d’effectuer un retraitement et une décontamination partielle des déchets. Considéré comme l’un des plus modernes au monde, ce centre est destiné à accueillir pendant quelques décennies non seulement le combustible utilisé, mais aussi tout le matériel de moyenne et basse radioactivité provenant des cinq réacteurs – dont la moitié résultera de leur démantèlement.
Depuis une dizaine d’années, on rapporte aussi à Würenlingen les déchets précédemment déposés à Sellafield et La Hague. La nouvelle Loi sur l’énergie nucléaire, entrée en vigueur en 2003, stipule en effet que la Suisse doit assumer, le plus possible, l’élimination de ses proches déchets.

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Dernier arrêt pour les déchets nucléaires suisses
La concentration de milliers de tonnes de matériel radioactif dans un dépôt intermédiaire unique suscite une certaine inquiétude, d’autant que Würenlingen se situe dans une région densément peuplée, à seulement quelques dizaines de kilomètres de Zurich et d’autres grandes agglomérations.
«La construction du centre Zwilag dans cette zone, qui se trouve notamment sous un corridor de transport aérien de l’aéroport de Zurich-Kloten, n’était pas la meilleure des idées», juge Jürg Buri, directeur de la Fondation suisse de l’énergieLien externe (SES), qui se bat pour une transition rapide vers des sources d’énergie renouvelables.
«Le dépôt de Würenlingen dispose de bâtiments construits spécifiquement pour protéger les déchets nucléaires des tremblements de terre, des inondation et des accidents aériens. La sécurité est prioritaire et soumise à une législation spéciale», répond Roland Keller, porte-parole de Zwilag. La localité argovienne a été notamment choisie parce qu’elle se trouve au centre du périmètre des centrales nucléaires, ce qui permet de réduire le parcours pour acheminer le matériel radioactif et donc les risques.
Recherches encore en cours
Les déchets produits par les réacteurs nucléaires devraient rester à Würenlingen jusqu’à l’ouverture de deux dépôts souterrains définitifs, l’un pour le matériel à haute radioactivité, prévu en 2060, et l’autres pour le matériel à moyenne et basse radioactivité (2050). Les recherches pour trouver les sites appropriés ont été confiées à la NagraLien externe, une société coopérative créée en 1972 par la Confédération et les exploitants des centrales nucléaires. Depuis 1980, la Nagra a multiplié les forages et les études sismiques, tectoniques et hydrologiques dans différentes parties du pays. Mais aujourd’hui encore, on ne sait pas encore où il sera possible de déposer les déchets.
L’an dernier, la Nagra a proposé au gouvernement de concentrer à l’avenir ses recherches dans deux régions septentrionales du pays – dans les cantons d’Argovie et de Zurich, à peu de distance de la frontière avec l’Allemagne – qui se caractérisent par d’importantes couches d’argile à opalinesLien externe dans leur sous-sol. Le projet actuel prévoit de transporter les conteneurs sur un train téléguidé jusqu’à une profondeur d’environ 600 mètres. C’est là qu’ils seront entreposés dans des galeries qui seront ensuite remplies d’argile.
«L’argile à opalines présente différentes qualités adaptées à un dépôt de déchets radioactifs. En particulier, elle est pratiquement imperméables et donc peu sujette aux infiltrations d’eau, qui constituent le principal danger naturel pour les conteneurs de déchets. En plus de l’argile, il faudra des constructions spéciales pour empêcher l’eau de pénétrer dans les galeries», explique Jutta Lang, responsable de la communication de la Nagra.
Contrôles pendant 100 ans ou plus
Mais pour Jürg Buri, le risque principal est lié à l’énorme période durant laquelle il faudra protéger les déchets. «Personne ne peut garantir que le dépôt d’un matériel hautement radioactif, peu importe où il se trouve sur cette planète, puisse rester pendant un million d’années à l’abri de tremblements de terre, de périodes glaciaires, d’autres événements naturels ou même de l’homme», dit-il.
Conformément à la Loi sur l’énergie nucléaire, le projet de la Nagra prévoit que les dépôts seront régulièrement contrôlés et que les déchets pourront être récupérés pour une période de «50 ans, 100 ans ou plus». Après quoi, le dépôt sera définitivement fermé, en espérant qu’il pourra résister sans problème jusqu’à ce que la radioactivité baisse. Mais sera-ce vraiment le cas?
La réponse à cette question concernera les prochaines générations. A plus court terme, les Suisses devront décider au cours des prochaines décennies où construire les deux dépôts définitifs, un choix qui sera tout sauf facile. A l’heure actuelle, aucun canton ni aucune commune ne semblent disposés à avoir sous leurs pieds le sarcophage de l’ère nucléaire.
Déchets radioactifs
Les résidus des centrales nucléaires sont généralement subdivisés en trois catégories:
Les déchets à haute radioactivité et à longue persistance sont principalement constitués du combustible nucléaire usé (les barres d’uranium sont généralement utilisées pendant 4 à 6 ans pour la production d’énergie).
Les déchets à moyenne radioactivité proviennent principalement des matériaux qui revêtent les installations nucléaires et des conteneurs pour le transport.
Les déchets à faible radioactivité sont par exemple les vêtements portés pour le travail ou les visites dans les centrales nucléaires.
Selon les estimations de la Nagra, si la centrale nucléaire de Mühleberg reste en fonction pendant 47 ans et les quatre autres pendant 60 ans, les cinq centrales suisses laisseront derrière elles environ 8500 mètres cubes (ce qui équivaut à 4600 tonnes) de matériel hautement radioactif et 67’500 mètres cubes de matériel de moyenne et basse radioactivité.
On prévoit actuellement un budget d’au moins 20 milliards de francs pour la construction de deux dépôts géologique en profondeur destinés à accueillir les déchets des centrale, de même que plus de 26’600 mètres cubes de déchets nucléaires provenant de l’industrie, de la recherche et de la médecine. Environ un milliard de francs ont déjà été utilisés depuis 1980 pour des recherches et les forages.
Pensez-vous qu’il est possible d’entreposer des déchets nucléaires en toute sécurité à très long terme? Votre avis nous intéresse.
(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

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