Artistes et politiques inquiets pour Ai Weiwei
Emprisonné dans son pays, l’artiste et activiste chinois Ai Weiwei suscite un mouvement de solidarité mondial. Particulièrement en Suisse, où les attaches de celui qui travailla avec Herzog et de Meuron sur le stade olympique de Pékin sont très fortes.
Jeudi 7 avril, le ministère chinois des Affaires étrangères a confirmé la détention de Ai, «soupçonné de crimes économiques», et ajouté qu’il avait été interrogé «conformément à la loi».
Dimanche dernier, l’artiste a été arrêté alors qu’il s’apprêtait à prendre un avion de Pékin pour Hong Kong. Son domicile a été perquisitionné, ce qui a soulevé les protestations de plusieurs pays occidentaux et des organisations de défense des droits de l’homme, en Chine et dans le monde.
Multiples arrestations
Avec sa barbe et sa carrure impressionnante, Ai Weiwei est à la fois un artiste contemporain mondialement reconnu et une voix critique qui s’élève sans relâche contre la censure et le manque de libertés politiques en Chine. Son arrestation suit celle de dizaines d’autres intellectuels ou militants des droits de l’homme opérées depuis que des appels circulent sur Internet pour des manifestations similaires à celles des «révolutions de jasmin» dans le monde arabe.
Jeudi, le ministère suisse des Affaires étrangères a dit avoir appris avec «grande préoccupation» l’arrestation de Ai et avoir contacté les autorités chinoises pour exprimer l’espoir que le cas soit résolu rapidement.
Le ministère a ajouté qu’il était préoccupé en général par le nombre croissant d’arrestations arbitraires d’activistes des droits de l’homme, d’avocats et d’artistes en Chine et qu’il avait appelé le gouvernement à leur garantir un procès équitable et l’accès aux avocats de leur choix.
Attaches suisses
En 2004, Ai Weiwei tenait sa toute première exposition en solo à la Kunsthalle de Berne. Le directeur en était alors Bernard Fibicher, aujourd’hui à la tête du Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne. Plus tard, les deux hommes ont monté ensemble, toujours à Berne, mais au Kunstmuseum, ce que Fibicher décrit comme «rien moins que la plus grande exposition d’art contemporain chinois jamais organisée».
Aujourd’hui, il est naturellement inquiet, même s’il sait que les amis de Ai et ses collègues artistes s’y attendaient. «Maintenant que c’est arrivé, c’est une nouvelle terrible, d’autant que personne ne sait vraiment où il est détenu», note Bernard Fibicher.
Agir de manière très subtile
«C’est une affaire très délicate, poursuit-il. Bien sûr, il pourrait y avoir une vaste mobilisation internationale, des artistes, des galeristes, des directeurs de musées et des amis qui manifestent et qui s’expriment dans les médias, mais cela n’aiderait pas vraiment Weiwei, parce que le gouvernement chinois ne peut pas se permettre de perdre la face. Il faut donc agir de manière très subtile et c’est la principale difficulté maintenant».
Urs Meile, de la Galerie Urs Meile Beijing Lucerne, qui représente Ai, juge important d’avoir accès à l’artiste et de pouvoir lui parler. Pour lui, «le plus grand choc a été sa disparition».
La galerie a commencé à collaborer avec lui en 1997, contribuant à sa reconnaissance internationale. Ai est un artiste particulièrement intéressant en ce qu’il travaille à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la Chine, ce qui lui donne une double perspective.
«Ai Weiwei est une grande source d’influence et une personne très importante pour les jeunes artistes [en Chine], il échange beaucoup avec eux et il est toujours très ouvert à la discussion», explique Urs Meile.
Vente aux enchères à Hong Kong
Lorsqu’il a été arrêté, Ai se rendait à une vente aux enchères à Hong Kong, où il devait rencontrer Uli Sigg, ancien ambassadeur de Suisse à Pékin et grand collectionneur d’art chinois. Les deux hommes avaient prévu d’y parler d’une future exposition au Kunstmuseum de Lucerne, qui doit intégrer quelques travaux de l’artiste chinois.
Dans le quotidien romand Le Temps, Uli Sigg s’est dit «extrêmement déçu» de ce qui est arrivé à son bon ami, ajoutant qu’il ne pouvait pas faire de commentaires sur une arrestation dont il ne connaissait pas les raisons. L’ancien diplomate a tout de même estimé que la manière dont l’arrestation a été menée n’était pas justifiée.
Et d’appeler la Suisse à suivre cette affaire de près, compte tenu des liens forts entre Ai et le pays. Pour sa part, Uli Sigg est bien décidé à intervenir en faveur de son ami.
Dans un communiqué publié sur son site internet, le Kunstmuseum de Lucerne confirme que l’exposition «Shanshui – Poésie sans paroles», prévue dès le 20 mai, aura bien lieu et espère que Ai, qui fait partie des curateurs, pourra assister au vernissage.
De son côté, le Musée de la photographie de Winterthour, qui prévoyait d’inaugurer le 27 mai une exposition des «entrelacements» photographiques de Ai espère aussi que l’artiste sera présent, même si personne ne sait comment la situation va évoluer.
Boycott ?
En attendant, le Groupe Art + Politique appelle le gouvernement et la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia à suspendre la coopération culturelle avec la Chine aussi longtemps que la liberté artistique est limitée et à faire pression pour la libération de Ai et des autres.
Pro Helvetia, qui anime un programme d’exploration culturelle avec la Chine et dispose d’une antenne à Shanghai a déjà répondu que selon elle, il serait faux de stopper la collaboration. «Nous ne soutenons pas des initiatives étatiques mais des artistes indépendants. En période de répression accrue, il est important de manifester une solidarité internationale avec les artistes chinois», a dit à l’agence de presse ATS Sabina Schwarzenbach, porte-parole de Pro Helvetia.
Quant à la Chine, elle botte les critiques en touche. Mercredi, le journal gouvernemental The Global Times a décrit Ai Weiwei comme un «rebelle», impliqué dans des activités douteuses au regard de la loi.
Londres. A 53 ans, Ai est un des artistes chinois les plus connus au monde. Ses travaux sont actuellement exposés à la prestigieuse galerie Tate Modern de Londres.
Séisme. Il a déjà eu maille à partir avec les autorités, en particulier à cause de son soutien aux victimes du tremblement de terre au Sichuan en 2008. Mais selon sa femme, ce qu’il traverse en ce moment est pire.
Twitter. Ai est un grand animateur du réseau social Twitter, avec environ 60’000 messages courts publiés à ce jour et près de 75’000 suiveurs.
Ligne rouge. Jusqu’à récemment, Ai Weiwei a été en quelque sorte protégé par sa notoriété et par le fait qu’il est le fils d’Ai Qing, un des plus grands poètes de la Chine contemporaine. Selon certains dissidents et intellectuels, sa détention indiquerait que le parti communiste est en train de redéfinir les frontières de ce qu’il est prêt à tolérer.
Collaboration: Jessica Dacey, traduction de l’anglais: Marc-André Miserez
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