Avions de combat: un choix risqué et très critiqué
Tout comme la commission parlementaire qui a dévoilé mardi son rapport sur l’achat de 22 avions de combat Gripen, la presse se montre très critique face au choix porté par le ministre de la Défense Ueli Maurer. Les éditorialistes ne donnent pas cher du nouveau jet de l’armée suisse.
«Le choix du Gripen comme nouvel avion de combat a été hier vivement critiqué par la Commission de sécurité du Conseil national dans un rapport soulevant tellement de questions qu’il est impossible qu’il reste sans conséquences.» A l’instar de la Tribune de Genève et de 24 Heures, qui publient un éditorial commun, la plupart des journaux suisses se penchent ce mercredi sur le énième épisode de l’achat controversé des nouveaux avions de combat de l’armée suisse.
En substance, le rapport parlementaire estime que le choix du Gripen du suédois Saab par le Conseil fédéral est celui qui comporte le plus de risques et qu’il s’est fait uniquement sur des critères de prix. «Risques techniques, commerciaux, politiques, financiers, respect douteux du calendrier: n’en jetez plus, le cockpit est plein!», commente La Liberté de Fribourg.
Même si la commission ne remet pas en question cette acquisition, jugeant la procédure d’évaluation de l’avion correcte et refusant d’interrompre l’exercice, comme le souhaitait la gauche, elle n’a pas été avare en critiques. «Le rapport montre que le Conseil fédéral était prêt à signer un contrat à plusieurs milliards de francs sur le seul principe de l’espoir. Comment et quand le jet pourra voler, à quel prix, tout est incertain», relève le Blick.
Mettre un terme à l’exercice
L’aspect financier a été l’unique critère retenu, souligne la Neue Zürcher Zeitung (NZZ). «Le rapport dévoilé mardi en apporte la preuve noir sur blanc. Le message clé du rapport est toutefois le suivant: en achetant les avions de combat suédois, la Suisse en hérite également plusieurs risques».
Constatant qu’il «y a très peu de marge de manœuvre au niveau financier et aucune urgence en matière sécuritaire à renouveler l’aviation militaire suisse», l’Aargauer Zeitung plaide carrément pour «un arrêt de l’exercice».
De toute manière, relèvent plusieurs journaux, les nombreuses turbulences qui ont accompagné dès le début de la procédure l’achat du Gripen devraient finir par avoir raison de lui. «Cela devient serré pour le Gripen», titre la NZZ, pour qui «le conseil fédéral doit absolument répondre aux questions ouvertes avant que les Chambres fédérales ne se penchent sur cet achat militaire à plusieurs milliards de francs».
«Dépenser 3 milliards de francs pour acquérir un appareil très moyen, à l’avenir technologique incertain, est politiquement impensable, écrit Le Matin. Le Gripen, aussi, a suscité tellement de scepticisme jusqu’ici qu’il ne peut plus être porteur d’espoir. Ni surtout survoler une votation populaire sans partir en vrille.»
Et La Liberté de renchérir: «Ce cafouillage au décollage d’un avion virtuel fournit du kérosène à ceux qui s’interrogent sur l’utilité de vingt-deux nouveaux avions pour surveiller le petit espace aérien helvétique pendant les heures de bureau. Ceux-là n’ont même pas besoin d’engager des canons de la DCA: le mal-nommé «avion de combat» pique du nez tout seul.»
Ueli Maurer visé
Un homme en particulier essuie le feu des critiques. «Dans cette affaire, Ueli Maurer semble désintéressé, voire dépassé», affirme le Blick. Le quotidien de boulevard germanophone s’étonne par ailleurs de la désinvolture dont fait preuve le ministre de la Défense avec l’argent public, alors qu’il était lui-même l’une des voix les plus virulentes à l’égard du Conseil fédéral en matière de finances publiques lorsqu’il était président de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice).
La Tribune de Genève et 24 Heures estiment que la crédibilité d’Ueli Maurer, qui a mené quasiment toute la procédure d’évaluation du Gripen, est fortement remise en cause: «Le rapport s’étonne que les exigences militaires soient énoncées de manière trop vague et peu pertinente. Normal: le débat sur la nécessité des avions de combat, comme celui sur les missions assignées à l’armée, n’a pas encore eu lieu.»
Et Ueli Maurer, plutôt que de mener ces réflexions en homme d’Etat, dirige le département en maquignon, poursuivent les deux journaux de l’Arc lémanique. «Distribuant les coups de pied à ses détracteurs et des demi-vérités, sinon des approximations, à ceux qui s’inquiètent de sécurité et de la chose militaire en Suisse.»
Partisans du Gripen renforcés
Seule voix discordante parmi le concert de critiques, le Tages-Anzeiger estime au contraire que ce rapport parlementaire représente une victoire pour le ministre de la Défense. «C’est précisément les risques évoqués dans le rapport qu’Ueli Maurer veut minimiser dans ses négociations avec la Suède. Désormais, il pourra affirmer résolument au gouvernement de Stockholm que l’accord ne pourra se concrétiser que lorsque les mauvaises surprises pourront être exclues contractuellement».
Par ailleurs, poursuit le quotidien zurichois, le rapport renforce également les partisans du Gripen, puisqu’il authentifie que la procédure d’acquisition de l’appareil s’est déroulée de manière propre.
L’armée de l’air suisse décolle en 1914 avec neuf pilotes (dont huit romands), qui volent sur leurs propres avions. Elle ne devient une arme à part entière qu’avec la création du Service de l’aviation en 1936.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’armée suisse dispose de 96 avions de chasse (principalement des Messerschmitt 109 allemands) et de 138 avions de reconnaissance et d’appui aérien. Les pilotes suisses sortent victorieux de quelques accrochages avec la Luftwaffe, mais pour des raisons de neutralité, Berne interdit rapidement les interceptions.
Pendant la Guerre froide, alors que la Suisse a une politique de défense mobile, les Forces aériennes participent à quelques missions hors du territoire. Dès 1995, leur mandat se recentre sur le contrôle de l’espace aérien national. En 2008, une initiative visant à interdire les vols d’entraînement au-dessus des zones touristiques est nettement refusée par le peuple.
Les 22 avions que la Suisse prévoit d’acheter doivent remplacer les 56 F-5 Tiger achetés entre 1976 et 1978. La Suisse dispose également de 33 F/A 18 Hornet, mis en service dès 1996.
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