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Berne prête à lâcher du lest sur la fiscalité cantonale

Keystone

Un important différend sur la fiscalité cantonale continue d'opposer la Suisse à l'Union européenne (UE). Berne est prête à faire des concessions, dans l'espoir de l'aplanir avant la fin du mandat de l'actuelle Commission européenne, en novembre. Mais pas à n'importe quel prix.

En mai 2007, les Vingt-Sept pays de l’UE avaient autorisé la Commission européenne à lancer des négociations avec la Suisse, afin que soient sinon démantelés, du moins profondément modifiés, certains régimes cantonaux d’imposition des sociétés qui, selon Bruxelles, favorisent les délocalisations d’entreprises et, partant, constituent des aides d’Etat «incompatibles avec le bon fonctionnement» de l’accord bilatéral de libre-échange de 1972.

Dans le collimateur de l’UE: les holdings, les sociétés d’administration et les sociétés mixtes, dont les revenus d’origine étrangère sont soit exonérés d’impôt, soit très faiblement taxés à l’échelle cantonale.

Le «dialogue» que Berne a accepté d’ouvrir avec Bruxelles pour aplanir ce différend commence à porter ses fruits. «En coulisse, ça bouge. Petit à petit, la Suisse lâche du lest», relève un expert européen.

Fin des sociétés boîtes aux lettres

La Confédération a ainsi confirmé son intention d’abolir le régime des sociétés boîtes aux lettres, dans le cadre d’une troisième réforme de l’imposition des entreprises dont le gouvernement a jeté les fondements en décembre 2008.

Dix mille entreprises sont concernées. Parallèlement, la Suisse s’est déclarée prête à interdire aux holdings basées en Suisse d’exercer la moindre activité commerciale, même à l’étranger. Elles pourraient toutefois continuer à percevoir d’autres revenus liés à la gestion de leurs participations dans d’autres entreprises (dividendes, intérêts, frais de management, etc.).

Les sociétés mixtes, dont le nom devrait changer, ne pourraient quant à elles plus exercer d’activités commerciales ou industrielles en Suisse. Par ailleurs, Berne a indiqué à la Commission qu’une partie accrue de leur base imposable serait soumise à l’impôt cantonal – les holdings seraient logées à la même enseigne.

Pour Bruxelles, ces concessions demeurent insuffisantes. Mais l’exécutif communautaire semble se faire une raison: il n’obtiendra pas immédiatement tout ce qu’il souhaite. «Si on rembarre la Suisse, on risque de tout perdre. Or, des progrès ont quand même été accomplis.»

Berne, dont l’objectif est d’enterrer la hache de guerre avant la fin du mandat de l’actuelle Commission Barroso, en novembre, estime qu’ils justifient que l’UE fasse à son tour preuve de souplesse.

Vers un assouplissement?

Elle veut inciter les Vingt-Sept à décréter que la Commission européenne a rempli sa mission, ce qui permettrait de lever une lourde hypothèque qui pèse sur l’avenir des relations entre la Suisse et l’Union – l’UE a indiqué à de multiples reprises qu’à défaut de trouver une solution au casse-tête de la fiscalité cantonale, plusieurs autres dossiers mis sur la table par Berne risquaient de rester en rade.

«Il est peu probable que dans le contexte actuel de crise, une nouvelle décision des Vingt-Sept assouplissant le mandat de négociations que la Commission a reçu en 2007 soit adoptée, relève un spécialiste communautaire du dossier. L’UE pourrait admettre officiellement que le dossier a évolué et décider d’en tenir compte, mais provisoirement seulement: elle ne lâchera pas prise si facilement.»

Si la Suisse a pour objectif de résoudre d’ici la fin de novembre ce casse-tête, c’est sans doute afin d’éviter que s’accumulent trop de dossiers brûlants sur la table des bilatérales.

La Commission européenne en a rajouté un au sommet de la pile, mardi: elle a formellement adopté sa «recommandation» aux Vingt-Sept relative à la renégociation de l’accord sur la lutte contre la fraude.

Réexamen le 7 juillet

Bruxelles veut obtenir l’autorisation de rouvrir cet accord, conclu en 2004, afin d’étendre son champ d’application à la fiscalité directe et d’intégrer dans ses dispositions les «standards» de l’OCDE sur l’échange, sur demande, d’informations entre administrations fiscales (lire swissinfo du 24 juin). La Suisse s’est engagée en mars à les appliquer et, partant, à assouplir son secret bancaire.

La Commission veut s’assurer que la Suisse mettra intégralement en œuvre ces normes qui, selon Bruxelles, débordent le cadre de la lutte contre l’évasion fiscale: il s’agit également de «permettre une coopération administrative efficace sous formes d’échanges d’informations en vue du calcul et de la perception des impôts directs et indirects» et «de garantir que les administrations disposent de pouvoirs suffisants pour rendre cette coopération effective».

Bruxelles craint que les conventions de prévention de la double imposition que la Suisse a commencé à renégocier, individuellement, avec plusieurs pays n’offrent pas ces assurances.

Les experts des Vingt-Sept en charge des relations avec la Suisse examineront le dossier le 7 juillet.

Tanguy Verhoosel à Bruxelles, swissinfo.ch

Privilèges. Le conflit entre Berne et Bruxelles tourne autour des régimes fiscaux de certains cantons suisses. L’UE dénonce les privilèges qu’ils accordent.

Déloyauté. L’UE juge déloyale et contraire à l’Accord de libre-échange de 1972 l’imposition des sociétés étrangères à Zoug, Schwyz et Obwald, entre autres.

Position suisse. Berne estime que les procédures de taxation des entreprises d’administrations, de sociétés mixtes et des holdings sortent du champ d’application de l’Accord de libre-échange de 1972. Cet accord concerne uniquement le commerce de certains biens (produits agricoles transformés et industriels).

OCDE. De son côté, l’Organisation de coopération et de développement économique ne voit rien à redire aux régimes fiscaux des cantons suisses.

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