Franc fort, libre-circulation: les défis suisses du Brexit
La Suisse prend acte de la décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne. Mais les avis sont très partagés quant aux incidences indirectes de ce retrait sur le dossier entre Berne et Bruxelles concernant le plafonnement de l’immigration. Une chose est en revanche sûre: l’appréciation du franc provoquée par le Brexit n’est pas une bonne nouvelle pour l’économie helvétique.
Lors du référendum de jeudi, les Britanniques ont choisi d’une courte majorité (51,9%) de quitter l’Union européenne.
La Suisse a officiellement pris position sur ce vote vendredi matin, d’une conférence de presse de Johann Schneider-Ammann, président de la Confédération. «Le Conseil fédéral n’a pas à juger le processus de décision britannique, a-t-il indiqué. Mais cette décision touche aussi notre pays. Cela veut dire que les relations entre la Grande-Bretagne et la Suisse devront trouver de nouvelles bases. La Suisse veut continuer à entretenir des relations très étroites avec le Royaume-Uni, un partenaire très important. Un groupe de travail va suivre le dossier et en informer le Conseil fédéral.»
Un numéro vert
La Confédération a ouvert un numéro vert pour répondre aux questions de ses ressortissants et entreprises, sur les conséquences du Brexit.
«Les règles actuellement en vigueur continuent de s’appliquer aux entreprises et ressortissants suisses; en d’autres termes, rien ne change pour l’instant», indique le ministère.
Cependant, pour répondre aux questions des citoyens suisses, un numéro vert a été mis en place. Cette «helpline» est active 7 jours sur 7, 24 heures sur 24.
La page d’accueil de l’ambassade de Suisse à Londres et de la mission de la Suisse auprès de l’UE à Bruxelles ont publié une liste de questions fréquemment posées.
Concernant l’effet du Brexit sur les négociations entre la Suisse et l’UE sur le plafonnement de l’immigration, Johann Schneider-Amman a dit ne pas vouloir «spéculer sur les conséquences». Le président de la Confédération affirme que «le Conseil fédéral est toujours très déterminé à poursuivre les négociations avec l’UE sur l’immigration. Mais il est clair que c’est devenu plus difficile avec le Brexit.»
En tant que ministre de l’Economie, Johann Schneider-Ammann a également fait part de ses inquiétudes. «Cette décision renforce les doutes sur l’avenir économique de l’Europe. Cela touche bien sûr aussi la Suisse. Des effets sur la conjoncture ne sont pas exclus.»
Et Johann Schneider-Ammann de conclure: «La décision britannique suscite beaucoup d’interrogations. Le Conseil fédéral prendra toutes les mesures nécessaires pour préserver les intérêts de notre pays».
Réactions contrastées
La presse suisse en ligne réagit de manière incrédule et émotionnée. «En cette heure matinale, on entrevoit à peine quelles seront les conséquences énormes de cette décision populaire», écrit le Tages-Anzeiger.
Le portail d’informations en ligne watson estime de son côté que pour la Suisse, les perspectives ne sont guère réjouissantes. A court terme, c’est un nouveau «choc du franc» qui menace, ce qui est susceptible d’aggraver la situation pour de nombreuses entreprises d’exportation. Pour le portail d’information, le règlement du litige entre la Suisse et l’UE au sujet de la libre circulation des personnes risque bien d’être reporté aux calendes grecques.
Cet avis est partagé par la Neue Zürcher Zeitung, qui note aussi qu’«à Bruxelles, on a désormais d’autres soucis». Pour le quotidien zurichois, «le verdict des citoyens britanniques place l’UE dans une situation critique».
Co-président du Nouveau mouvement européen suisse (NOMES), François Cherix estime également que «la question suisse va disparaître des écrans à Bruxelles».
Le discours est tout autre du côté de l’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN). A ses yeux, le Brexit permet à la Suisse de ne plus être sous la pression du temps face à l’UE. Le vote britannique donne une chance historique de corriger les erreurs de la construction européenne. «L’ASIN remercie le peuple britannique pour son courage et son sens des responsabilités. Ce n’est pas la première fois que les Britanniques se manifestent clairement par les actes pour la liberté en Europe», écrit l’organisation, fer de lance de l’isolationnisme suisse.
L’ancienne ministre suisses des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey pense également que le Brexit n’est pas forcément une mauvaise chose pour la Suisse. «Le jour où l’UE sort de son mode binaire – c’est-à-dire soit en est dedans soit dehors – et accepte un peu de diversité dans les modes d’intégration et bien le vote de la Grande-Bretagne pourrait s’avérer positif pour la Suisse. C’est-à-dire que la Suisse pourrait bien devoir à la Grande-Bretagne la possibilité de continuer sur sa voie médiane», a-t-elle déclaré sur les ondes de la radio romande.
Réactions des partis
Les principaux partis politiques suisses ont aussi réagi à l’annonce du Brexit. L’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) respire. La fenêtre de négociations avec l’UE s’ouvre, affirme le député Oskar Freysinger, mais pas besoin d’agir dans l’urgence selon lui. Avec la sortie de la Grande Bretagne, l’UE est plus faible, car elle va lutter pour sa survie, dit-il.
Du coup, la Suisse aura de meilleures cartes pour négocier avec Bruxelles, évalue-t-il. C’est l’occasion de ranimer l’AELE et d’y inclure la Grande-Bretagne.
«Il est certain que le Brexit va compliquer le jeu, concède pour sa part le député socialiste Carlo Sommaruga. Mais l’UE aura certainement la volonté de clarifier ses rapports avec la Suisse. Il reste une opportunité pour trouver un accord, selon lui. De plus, les institutions européennes continuent de fonctionner. La fenêtre de négociation ne se referme pas. L’UE se concentrera sur la sortie de la Grande-Bretagne après les vacances, selon le socialiste.
Les Verts sont plutôt négatifs. Pour eux, un arrangement va être difficile à trouver, a dit Lisa Mazzone, vice-présidente du parti écologiste. La priorité est la défense des accords bilatéraux et un nouveau vote sur les bilatérales se révèle nécessaire.
Le Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit) croit lui à la poursuite du dialogue avec Bruxelles. La Suisse va continuer à négocier avec l’UE, explique le député Jean-René Fournier. «Il faudra que cela bouge très vite d’ici l’été». Il est même d’avis que la sortie de l’UE de la Grande-Bretagne offre une opportunité assez grande à la Suisse. «Nous restons un partenaire de choix pour l’UE», souligne-t-il.
Le Parti libéral-radical (PLR / droite) reste un chaud partisan des bilatérales et de la poursuite des négociations, souligne le député Christian Lüscher (PLR/GE). Le mandat constitutionnel donné par le peuple milite pour l’urgence, mais le vote de jeudi complique singulièrement le jeu. Reste que l’UE a intérêt à évoluer dans un contexte juridique le plus stable possible, après le cataclysme britannique. Trouver une solution avec la Suisse peut en faire partie.
Le franc au plus haut
Le franc a gagné en valeur dans la nuit de jeudi à vendredi en raison du référendum britannique. Il a atteint son plus haut niveau face à l’euro depuis des mois. La monnaie unique est descendue sous la marque de 1,10 franc et coûtait temporairement seulement 1,072 franc.
De son côté, la livre britannique, qui s’était envolée au-dessus de 1,50 dollar à la fermeture des bureaux de vote britanniques, tombait à 1,3459 dollar vendredi, un plus bas depuis septembre 1985.
Signe du caractère exceptionnel de la situation financière, la Banque nationale suisse (BNS) a annoncé elle-même être intervenue sur le marché des changes pour faire baisser le franc suisse, l’une des valeurs refuge privilégiées par les investisseurs en cas de turbulences, et elle a promis de rester «active».
Les milieux économiques redoutent cette force du franc. «Cette situation place l’industrie d’exportation suisse et le tourisme face à de grands défis», avertit d’ores et déjà l’organisation faîtière economiesuisse.
Le référendum a aussi provoqué un fort recul des principaux marchés européens et mondiaux. La Suisse n’y fait pas exception. A l’ouverture, l’indice SMI était en recul de 7,9%. Les grandes banques suisses souffrent particulièrement de la situation, avec UBS baissant de 15,3% et Credit Suisse en recul de 14,2%.
Pensez-vous que le Brexit va avoir de grandes conséquences pour la Suisse aussi? N’hésitez pas à partager votre analyse.
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