Caisse-maladie unique: panacée ou placebo?
Les 60 caisses-maladie privées de Suisse doivent-elles être remplacées par une caisse publique unique? Cette question, sur laquelle le peuple se prononcera en 2014 ou 2015, provoque une guerre de tranchées idéologique.
Ces dernières années, des primes toujours plus chères ainsi que des variantes absurdes dans la quête des «bons risques» (des assurés jeunes et en bonne santé) ont alimenté la grogne à l’encontre des assureurs-maladie privés et multiplié les demandes en vue d’autres solutions. Parmi ces solutions, il y a l’initiative populaire «Pour une caisse maladie publique», déposée l’an dernier avec plus de 120’000 signatures.
Ce texte, soutenu non seulement par la gauche mais aussi par les organisations de patients et de consommateurs, veut faire disparaître les assurances privées du domaine de l’assurance-maladie obligatoire et les remplacer par une caisse unique et publique. Les caisses privées ne resteraient plus actives que dans le secteur des assurances complémentaires.
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Concurrence ou monopole?
Le conseil fédéral (gouvernement) refuse cette initiative. Selon lui, le système actuel, qui se base sur le principe d’une concurrence régulée entre les caisses privées, présente de nets avantages par rapport à un monopole.
En février 2013, il a toutefois présenté un contre-projet indirect. Selon celui-ci, la concurrence entre les caisses devrait se limiter à la qualité de l’offre et la chasse aux bons risques devrait être réduite. La pierre angulaire de ce projet est une caisse commune servant de réassurance pour les très hauts coûts. Le gouvernement estime que cette mesure rendrait la sélection des risques beaucoup moins intéressante pour les caisses-maladie.
Le contre-projet gouvernemental prévoit également une séparation stricte entre l’assurance de base et les assurances complémentaires. Ces deux secteurs d’activité devraient dépendre de sociétés juridiquement séparées. En outre, les mesures destinées à la compensation des risques entre les caisses devraient être affinées.
Mais les milieux politiques n’ont pas fait très bon accueil à ce contre-projet. La droite, qui refuse l’initiative, rejette également le projet du gouvernement. Elle considère en effet que la réassurance et la séparation entre assurance de base et assurances complémentaires représentent une étape vers l’étatisation de l’assurance-maladie. Quant aux partisans de l’initiative, ils estiment que le gouvernement ne prend que des demi-mesures.
Clivage gauche-droite
Le gouvernement ne doit pas s’attendre à davantage de soutien de la part des cantons. Les 26 directeurs cantonaux de la Santé publique – dont 16 sont de droite et 10 de gauche – viennent de se prononcer à la fois contre l’initiative et contre le contre-projet. Il est toutefois à relever que cette décision n’a été prise qu’à une courte majorité.
Les ministres cantonaux de droite sont majoritairement contre l’initiative. A l’instar de Christian Rathgeb, directeur de la Santé du canton des Grisons. «Elle ferait perdre le libre-choix aux assurés, argumente-t-il. Aujourd’hui, tous les assurés peuvent changer de caisse s’ils ne sont pas satisfaits de ses prestations.» Selon lui, une caisse unique romprait la vieille tradition de diversité dans le secteur des assurances.
Pour son homologue vaudois Pierre-Yves Maillard, cette diversité est en revanche surtout synonyme d’inconvénients. «Il y a une avalanche de tâches administratives non seulement pour les caisses, mais aussi pour les médecins et les hôpitaux, uniquement à cause de l’existence de 60 caisses», déclare ce ministre cantonal socialiste qui est aussi membre du Comité d’initiative.
Pour les partisans de l’initiative, il n’existerait pas de véritable concurrence entre les caisses, mais uniquement une pseudo concurrence autour des bons risques. Un avis réfuté par le libéral-radical Christian Rathgeb. «Je crois que les caisses fournissent des prestations différentes, tout particulièrement dans le domaine des services. C’est ce que montrent les sondages de satisfaction des assurés.» Pour lui, une caisse étatique ne travaillerait pas plus efficacement que des entreprises privées. En outre, les frais administratifs ne représentent aujourd’hui qu’une petite part des dépenses des caisses.
«S’il n’existait plus qu’une caisse, celle-ci aurait un grand intérêt à une politique de prévention et de soins coordonnés, car elle devrait prendre en charge l’ensemble des coûts de santé de la population», rétorque Pierre-Yves Maillard. Aujourd’hui, les caisses font simplement la chasse aux assurés qui coûtent le plus, estime-t-il.
On ne peut pas nier que les caisses tentent de se débarrasser des mauvais risques, confirme Christian Rathgeb. Mais pas besoin d’une caisse unique pour résoudre le problème; il suffit que les autorités de surveillance interviennent en cas d’excès. «Il existe un certain besoin d’agir, reconnaît-t-il. La réglementation sur la compensation des risques devrait être modifiée de sorte que la sélection des risques ne vaille plus la peine pour les assureurs.»
Toutes les personnes résidentesen Suisse doivent contracter une assurance obligatoire des soins. Les assurances-maladie privées (caisses-maladie), actuellement au nombre de 60, sont contraintes de par la loi d’accepter de couvrir quiconque réside dans une zone où elles sont actives.
Cette assurance de base couvre le diagnostic, le traitement d’une maladie et ses conséquences. Les différentes prestations contenues dans l’assurance de base sont fixées au niveau fédéral.
Les primes de l’assurance de base varient en fonction du canton de résidence et de la caisse-maladie choisie. Elles sont fixées indépendamment du revenu de l’assuré. Les moins fortunés profitent toutefois d’aides publiques.
Ceux qui souhaitent des soins plus complets (par exemple des médecines alternatives telles que l’acuponcture ou davantage de confort à l’hôpital) peuvent contracter une assurance complémentaire.
Contrairement à ce qui se passe pour l’assurance de base, les caisses sont libres d’accepter ou de refuser une personne qui souhaite contracter une assurance complémentaire. Autre différence: les primes sont fixées en fonction des cas; un assuré âgé et en mauvaise santé payera plus qu’un assuré jeune et en bonne santé.
Nouvel essai, nouvelles conditions
Ce n’est pas la première fois que les socialistes essaient de faire passer leur projet de caisse unique par la voie des urnes. Une première tentative avait échoué en 2007. Le peuple avait alors rejeté l’initiative à 70%.
Mais Pierre-Yves Maillard estime que les chances sont désormais meilleures. «A l’époque, les cantons francophones avaient accepté l’initiative à 45% des voix, se souvient-il. Mais dans les cantons germanophones, le taux d’acceptation n’était que de 23%, parce que les Suisses alémaniques avaient le sentiment qu’avec une caisse nationale, ils payeraient pour les ‘chers’ assurés romands.»
Mais les conditions ont entre-temps changé. Il a été porté à la connaissance du public que les assurés genevois, vaudois et zurichois, notamment, ont payé plus que ce qu’ils ne coûtaient. Et dans certains cantons alémaniques, les primes ont dû être massivement augmentées, car elles ne couvraient pas les frais, rappelle le ministre vaudois.
Par ailleurs, il existe une autre grande différence par rapport à l’initiative de 2007. Désormais, le projet ne prévoit plus de lier le montant des primes au revenu des assurés, souligne Pierre-Yves Maillard.
Malgré ces nouvelles conditions, il n’est de loin pas sûr que les citoyens se laissent séduire par l’idée d’une caisse unique. Selon le «Moniteur de la santé 2012» de l’institut de recherche gfs.bern, 40% des sondés y sont favorables, alors que 45% aimeraient maintenir la situation actuelle.
(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)
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