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Ce milliardaire qui veut ramener les otages en Suisse

Behgjet Pacolli est considéré comme l'Albanais le plus riche du monde. ti-press

L'entrepreneur Behgjet Pacolli doit se rendre à Tripoli pour plaider la cause des deux otages retenus en Libye. Le richissime Suisse d’origine kosovare veut réussir là où les émissaires de la diplomatie ont échoué jusqu’ici. Portrait.

Devenu célèbre malgré lui grâce au «Russiagate» qui avait éclaté en 1999, Behgjet Pacolli est souvent perçu comme un personnage sulfureux. A l’époque, la procureure du Ministère public de la Confédération, Carla Del Ponte, le soupçonnait d’avoir corrompu des dirigeants russes dans le but de décrocher de juteux contrats pour son entreprise Mabetex, dont la rénovation du Kremlin.

L’évocation de cette affaire, qui s’était soldée par un non-lieu, irrite profondément l’influent homme d’affaires, qui la qualifie de «définition réductrice et vulgaire». Aujourd’hui, après avoir construit un empire multinational et amassé une fortune, le quinquagénaire Pacolli veut consacrer la dernière partie de sa vie à sa famille – il est père de quatre enfants dont deux en bas âge – et à ses activités humanitaires, dit-il.

Mardi soir, devant les caméras de la télévision tessinoise, le Tessinois d’adoption affirmait avoir eu un entretien lundi avec le colonel Mouammar Kadhafi, pour lui demander la reconnaissance du Kosovo par la Libye.

Il a indiqué que le colonel libyen lui accorderait une nouvelle audience «dès son retour de vacances». Le milliardaire ajoutait qu’il s’apprêtait à repartir pour Tripoli sans préciser la date de son voyage. Mercredi, contactée par swissinfo.ch, sa collaboratrice personnelle affirmait que «Monsieur Pacolli est en déplacement en avion», sans préciser la destination de son périple.

Le plus riche des Albanais

Parti à l’adolescence de son village natal de Marevci au Kossovo pour étudier et travailler en Allemagne et plus tard en Autriche et en Suisse, il passe aujourd’hui pour une sorte de figure de la Providence dans son pays natal, où il possède une chaîne de télévision, un quotidien et des fabriques, notamment.

Selon différentes sources, la fortune de celui qui n’aime pas parler d’argent et que l’on surnomme «l’Albanais le plus riche de la planète», se situerait entre un demi et trois milliards de dollars. La vie de ce magnat est une succession d’aventures, de liaisons – dont une avec la chanteuse Ana Oxa – et surtout une ascension fulgurante vers la fortune.

De Téhéran à Cuba, en passant par l’ancienne Union soviétique, la Mecque, l’Arabie Saoudite, la Chine et Venise, les entreprises de l’empire Mabetex ont construit et rénové des palais, des hôtels, des centres commerciaux, des hôpitaux et des sièges de gouvernement.

L’ami des puissants et des potentats

Sa grande fierté est la construction de la nouvelle capitale du Kazakhstan, Astana (anciennement Almaty) et son somptueux palais présidentiel de marbre blanc, et d’après laquelle il a baptisé la salle de réunion de ses bureaux de la Mabetex, à Lugano-Paradiso.

Ces juteux contrats, qui ont assuré sa fortune personnelle et renforcé son empire, lui ont aussi valu d’établir des liens d’amitié des personnages puissants, parmi lesquels, Noursoultan Nazarbaïev, le président kazakh, des dirigeants russes, dont Boris Eltsine, mais aussi Bill Clinton et Tony Blair, comme en témoignent plusieurs photos qui ornent les murs de son bureau.

Un parcours atypique, des manières, voire des méthodes enrobées de mystère et un savoir-faire avec les puissants de la planète qui pourraient bien lui valoir le respect du dirigeant libyen.

«No comment» au DFAE

Face à la démarche de Behgjet Pacolli, le ministère suisse des Affaires étrangères (DFAE) s’abstient de tout commentaire. «Par principe, nous ne prenons pas position dans de tels cas», explique son porte-parole, Adrian Sollberger. Après une série de tentatives malheureuses dans l’espoir de ramener les deux Suisses au pays, le DFAE a décidé de ne plus communiquer sa stratégie.

Egalement engagée dans l’affaire libyenne, l’organisation Amnesty International réagit. Elle affirme ne pas connaître Behgjet Pacolli et commente la démarche comme suit: «Nous n’avons rien à priori contre de telles initiatives, pour autant qu’elles soient coordonnées avec le DFAE. On ne peut que souhaiter que son succès», confie Manon Schick, la porte-parole de l’organisation.

«Néanmoins, nous sommes surpris que ce monsieur fasse de telles déclarations devant les caméras de télévision, ce qui est inhabituel en matière de médiation», ajoute-t-elle.

Pas une première

L’entrée en scène de Behgjet Pacolli dans l’épineux dossier libyen en a aussi fait sourciller plus d’un au Tessin. De son côté, le Luganais d’adoption tient à rappeler qu’il ne se lance pas tête baissée dans l’aventure. Avant cela, il avait déjà joué les médiateurs dans plusieurs affaires de rapt et plaidé la cause d’autres otages retenus en Afghanistan et ailleurs en Asie.

Reste à savoir si le style et la démarche de ce Suisse atypique, qui tranchent résolument avec le profil des émissaires dépêchés jusqu’ici par la Confédération à Tripoli, contribueront à rendre leur liberté à Rachid Hamdani et Max Göldi. Les deux hommes d’affaires suisses sont retenus dans le Maghreb depuis le 19 juillet 2008.

Nicole della Pietra, Lugano, swissinfo.ch

Rachid Hamdani et Max Göldi sont retenus en Libye depuis juillet 2008 en réponse à l’arrestation momentanée d’un fils du leader libyen à Genève.

Accusés «d’activités économiques illégales», ils ont déjà été condamnés, lors d’un premier procès le 30 novembre dernier.

Ils avaient alors écopé de seize mois de prison ferme et d’une amende de 2000 dinars libyens chacun (environ 1600 francs) pour avoir enfreint la législation sur les visas. Les deux Suisses ont fait recours.

Les organisations de défense des droits de l’homme Amnesty International (AI) et Human Rights Watch (HRW) ont dénoncé ce procès. Elles ont estimé qu’il n’avait pas respecté les exigences d’une procédure équitable et qu’il s’agissait d’un procès politique.

Au début du mois de janvier, la Confédération a fait appel à l’avocat parisien Emmanuel Altit. Le juriste français s’était distingué dans l’affaire dite des infirmières bulgares.

Behgjet Pacolli est âgé de 58 ans. Il vit à Lugano depuis la fin des années 80.

A l’âge de 17 ans, il quitte l’actuel Kosovo pour suivre une formation et travailler en Allemagne, puis en Autriche.

Polyglotte talentueux et charismatique, il arrive en Suisse en 1976 et fonde l’entreprise Mabetex à Lugano en 1990.

Sa réputation est entachée et sa crédibilité remise en cause par le «Russiagate».

En 2006, il fait son entrée en politique, en vue des élections au Kosovo de l’après-Rugova, et fonde le parti Alliance pour un nouveau Kosovo (AKR).

Au début de cette même année, il tentait de mettre sur pied une table ronde à Washington en faveur de la paix dans les Balkans.

En janvier 2009, il annonce son retrait des affaires et cède les rennes de l’empire Mabetex à ses proches, pour se consacrer à ses œuvres humanitaires, depuis sa résidence «La Romantica», à Melide (Tessin).

Behgjet Pacolli s’est illustré au Proche et au Moyen-Orient en tant que négociateur, ayant notamment contribué à la libération de plusieurs otages en Afghanistan ainsi qu’un d’un reporter italien, retenu dans ce pays.

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