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Ce qui se cache sous les violences au Kirghizistan

L’armée kirghize lors d’une opération de fouille dans la deuxième ville du pays, Och. Keystone

Le Sud du Kirghizistan est à feu et à sang. Stephens Aris, du Centre for security studies de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), y voit le résultat d’une histoire brutale et de la conjugaison de facteurs socioéconomiques et ethniques.

Dans le Sud de cet état pauvre d’Asie centrale, les violences ethniques de ces derniers jours – les pires en vingt ans – ont laissé Och, la deuxième ville du pays, en ruine.

Des dizaines de milliers d’Ouzbèques – qui forment 15% d’une population totale de 5,4 millions d’habitants – ont fuit vers la frontière du pays voisin.

Les témoins parlent de gangs affublés d’armes automatiques, de barres de fer et de machettes, mettant le feu aux maisons et tirant sur leurs résidents en fuite.

La situation, qui s’est envenimée dans la nuit de jeudi dernier pour dégénérer durant le week-end, suscite l’inquiétude en Russie et aux Etats-Unis, deux puissances disposant de bases aériennes militaires dans cette région stratégique et volatile de la porte Est de la Chine.

swissinfo.ch: Quelles sont les origines des violences actuelles au Kirghizistan?

Stephens Aris: Un des faits les plus notables est le manque d’information précise. Ce manque semble organisé, en fonction des séparations ethniques – minorité ouzbèque d’une part, majorité kirghize de l’autre.

Les tensions ethniques à Och ne sont pas nouvelles. Dans les années 1990, des affrontements [sur la propriété foncière] ont eu lieu avant la fin de l’ère soviétique. Ils ont précédé une période relativement calme depuis. Toutefois, après la destitution du président Bakiev en avril, les tensions mijotaient, elles ont même éclaté ponctuellement.

swissinfo.ch: Pourquoi la révolution des tulipes de 2005 s’est-elle fanée si rapidement?

S.A.: La révolution des tulipes a débouché sur le remplacement de [l’ancien président Askar] Akaïev par Bakiev. Mais Bakiev venait lui-même des structures de l’élite au pouvoir et s’est fait rattrapé par la corruption, tout comme son prédécesseur.

swissinfo.ch: Qui sont les victimes?

S.A.: Il semble que les gens sont attaqués des deux côtés. Des témoins oculaires parlent de Kirghizes entrant dans les zones ouzbèques, tuant de manière indiscriminée – et vice et versa.

Toutefois, il apparaît que la communauté ouzbèque pourrait davantage en sentir les conséquences, avec un flux à grand échelle en direction de la frontière kirghizo-ouzbèque, pour trouver refuge dans le pays voisin.

En plus de l’existence de différents groupes ethniques, les tensions découlent aussi de disputes socioéconomiques: les Ouzbèques se sentent traités comme des citoyens de seconde classe – toutes les positions politiques sont tenues par des Kirghizes. De l’autre côté, les Kirghizes considèrent que les Ouzbèques ont un contrôle disproportionné sur les opportunités économiques à Och, notamment parce, en tant que fermiers, ceux-ci ont la main mise sur une bonne partie des marchés.

Dans le Sud du Kirghizistan, le sentiment croissant des Ouzbèques comme des Kirghizes est aussi que l’essentiel de la richesse part vers le Nord du pays. La [violence] peut être vue comme le résultat de ce ressentiment, dans le vide politique créé par le déboulonnage de Bakiev en avril.

swissinfo.ch: Certains blâment la stratégie de division pour régner choisie en 1920 par Staline dans la Vallée de la Fergana, lieu de la plupart des violences. Est-ce Staline le grand fautif?

S.A.: L’argument, c’est que Staline a dessiné arbitrairement sur la carte les lignes divisant la population d’Asie centrale en différentes républiques qui, avec la chute de l’Union soviétique, sont devenues des Etats-nations. En réalité, cela a créé une situation qui fait que vous trouvez des minorités ethniques significatives dans beaucoup de pays de la région. Le Kirghizistan est ethniquement à 15% ouzbèques, ces derniers habitant avant tout dans une zone: les environs de Och.

Reste que ces frontières et la composition de la population n’ont pas changé depuis les années 1920. Je ne pense pas qu’on puisse en faire la cause principale [des violences actuelles].

En l’état, la situation dans le Nord semble relativement stable. Bichkek, la capitale, fonctionnerait tout à fait normalement.

swissinfo.ch: La violence est-elle susceptible de s’étendre à d’autres régions?

S.A.: L’inquiétude porte sur son extension possible à l’Ouzbékistan et au Tadjikistan voisins. Mais pour le moment, cela ne semble guère probable.

swissinfo.ch: Le gouvernement à Bichkek fait l’impression d’avoir perdu le contrôle. Une intervention extérieure est-elle la seule option?

S.A.: Le gouvernement intérimaire de Rosa Otunbaieva a plus ou moins admis qu’il n’était pas en position d’apporter une solution tout seul. Il a requis l’assistance de la Russie et aussi demandé de l’aide humanitaire de la part de tout le monde.

swissinfo.ch: Mardi, l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) menée par la Russie a indiqué qu’elle ne répondrait pas à la demande de Bichkek, qui requérait l’envoi immédiat de forces de maintien de la paix.

S.A.: La position de l’OTSC est cohérente avec celle de la Russie, qui est de dire qu’il s’agit d’un conflit intérieur et qu’elle n’a pas de ce fait le droit d’intervenir. L’OTSC a récemment créé des forces d’action rapide mais leur but est de défendre les membres de l’organisation contre une attaque extérieure de la part d’un autre Etat ou d’un acteur non-étatique.

swissinfo.ch: Et qu’en est-il de l’ONU ou de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe)?

S.A.: J’imagine que la Russie serait particulièrement heureuse de voir l’ONU s’impliquer, étant donné que, pour Moscou, l’ONU doit jouer un rôle plus important dans les affaires internationales. L’OSCE est aussi une possibilité, car le Kazakhstan préside actuellement l’organisation et a contribué à négocier le départ dans le calme de Bakiev du Kirghizistan. L’OSCE pourrait donc jouer un rôle relativement marquant dans la situation actuelle.

swissinfo.ch: Mardi toujours, Rosa Otunbaieva a indiqué que le référendum national sur la nouvelle constitution aurait lieu le 27 juin malgré les violences. Est-ce réaliste?

S.A.: Il est difficile d’imaginer un vote valide se tenir actuellement, d’autant que le gouvernement intérimaire ne semble pas avoir l’autorité effective sur de larges parties du pays. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’ira pas selon ses plans.

Thomas Stephens, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Pierre-François Besson)

L’aide humanitaire internationale a commencé à arriver mercredi pour les réfugiés ouzbeks ayant fui les violences au Kirghizstan, alors que leur situation menace de devenir catastrophique, selon l’ONU.

Morts. Des milliers d’Ouzbeks du Kirghizstan se pressaient à la frontière de l’Ouzbékistan qui a restreint l’accès à son territoire après les affrontements dans le sud du Kirghizstan, qui ont fait près de 190 morts, selon le bilan officiel.

Les Etats-Unis vont fournir une aide humanitaire supplémentaire de 6,5 millions de dollars au Kirghizstan en proie à des violences ethniques, a annoncé mercredi le porte-parole du Département d’Etat américain Philip Crowley.

Population: 5,41 millions
Etendue: 199,951 km2 (plus de quatre fois la Suisse)
Espérance de vie: 69,4 ans
PIB: 5,06 milliards de dollars
PIB par hab: 934,40 dollars
Inflation: 21,21%
Chômage: 18%
Religion majoritaire: Islam (65,1%)
Exportations suisses: 11,4 millions de francs
Importations suisses: 5,5 millions de francs

Le gouvernement intérimaire, qui a succédé à l’ancien président Kourmanbek Bakiev, chassé du pouvoir en avril, accuse la famille de l’ancien homme fort d’avoir été l’instigatrice des violences dans le but d’empêcher la tenue du référendum sur la nouvelle constitution le 27 juin prochain.

Les Ouzbèques soutiennent largement le gouvernement intérimaire alors que de nombreux Kirghizes, dans le Sud, appuient Bakiev, arrivé au pouvoir à la faveur de la révolution des tulipes en 2005. Aujourd’hui exilé en Biélorussie, Bakiev a réfuté tout lien avec les violences.

Quelque 55 citoyens suisses sont enregistrés dans les consulats du Kirghizistan. La Suisse a reconnu ce pays en décembre 1991, moins de trois mois après sa déclaration d’indépendance consécutive à la chute de l’Union soviétique.

Les projets suisses dans le pays ont été suspendus temporairement en raison de l’instabilité actuelle. Le Département fédéral des affaires étrangères indique que, «en théorie», son travail n’est pas remis en question.

La Suisse est active sous l’angle du développement depuis 1994 au Kirghizistan. Ce pays fait partie d’une région prioritaire de l’aide suisse, en commun avec le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Des Etats que la Suisse représente auprès de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI).

L’engagement de la Suisse résulte du travail conjoint de la Direction du développement et de la coopération (DDC) et du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). La DDC appuie des projets dans le domaine du droit, de l’énergie et du secteur privé, en particulier dans la gestion des ressources en eau. Le SECO et la DDC ont investi quelque 15,5 millions de francs au Kirghizistan.

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