Ces rentes à vie dont plus personne ne veut
En Suisse, les cantons revoient les uns après les autres les règles relatives aux retraites des anciens membres de leur gouvernement. Les rentes à vie sont désormais devenues une rareté.
Les rentes à vie sont appelées à disparaître dans le canton de Neuchâtel également. À la suite à une motion parlementaire, le gouvernement cantonal a proposé début septembre de supprimer le régime spécial de retraite auquel ses membres avaient droit jusqu’à présent.
«Les rentes à vie sont actuellement considérées comme des privilèges anachroniques, souligne le Conseil d’État (exécutif cantonal). Le maintien d’un système qui paraît particulièrement favorable est difficile à défendre.»
Si le projet est accepté par le législatif – une formalité, puisque la motion a été signée par tous les partis – après les prochaines élections cantonales de 2025, les membres du gouvernement neuchâtelois bénéficieront d’un régime de retraite identique à celui du reste du personnel de l’État. À une différence près: au moment de quitter l’exécutif, une prime leur sera versée en fonction de la durée de leur mandat. Le maximum sera d’une année de salaire ou de 15 mois pour les personnes âgées de 50 à 60 ans.
Actuellement, les anciens membres du Conseil d’État neuchâtelois perçoivent 36% de leur ancien salaire de ministre cantonal (241’000 CHF par an, environ 250’000 €) s’ils ont plus de 50 ans et exercé au moins deux mandats. S’ils ont entre 40 et 50 ans, ils reçoivent une pension de 36% pour une durée équivalente à celle de leur mandat, pour autant qu’il ait duré au moins quatre ans. Si le mandat est inférieur à une année ou si l’âge de sortie est inférieur à 40 ans, il n’y a pas de pension, mais une allocation unique, comme le rapporte le journal neuchâtelois Arcinfo.
En contrepartie de l’introduction du nouveau régime de retraite «normal», le Conseil d’État neuchâtelois propose d’adapter le salaire, car le projet «réduira l’attractivité» de la fonction de ministre cantonal. Le salaire devrait ainsi être augmenté de 24’000 francs par an.
Abolition dans pratiquement tous les cantons
Neuchâtel n’est que le dernier en date d’une longue série de cantons qui ont aboli ce que beaucoup considèrent comme un privilège injustifié. À Genève, par exemple, c’est le peuple qui a accepté, en novembre 2021, une initiative populaire des Vert’libéraux visant à supprimer les rentes à vie des anciens membres du Conseil d’État. Quelques mois plus tôt, en juin, la population tessinoise avait approuvé une réforme allant dans le même sens.
Il est à noter que ces mesures ne sont pas rétroactives. Les anciens membres des gouvernements cantonaux qui perçoivent déjà une rente continueront à la toucher.
En général, la suppression de la rente à vie s’accompagne d’une augmentation de salaire (au Tessin, il a été augmenté de 13% pour atteindre 277’000 francs par an), de l’introduction d’une indemnité de départ ou, pour les membres du gouvernement les plus âgés, d’une rente transitoire jusqu’à l’âge de la retraite (65 ans).
Cette abolition des rentes à vie ne touche pas que les cantons, mais aussi les grandes villes du pays. Celles de Genève et de Lausanne, par exemple, y ont renoncé en 2020.
Le salaire annuelLien externe brut des membres de l’exécutif fédéral est de 456’854 francs (état au 1er janvier 2022). La rente complète correspond à la moitié de cette somme.
Il est possible de toucher une rente complète après avoir accompli un mandat complet (quatre ans) ou si le départ est motivé par des raisons de santé.
Si un ancien membre du gouvernement exerce une activité rémunérée après la fin de son mandat et que ses revenus, ajoutés au montant de la rente, dépassent le traitement annuel d’un magistrat en exercice, la rente est réduite de l’excédent. En d’autres termes, à partir de 228’000 francs de traitement, la pension est progressivement réduite.
Vers la fin des exceptions
Même dans les quelques cantons qui conservent encore un système de rentes à vie, à savoir les Grisons, Vaud et Berne, ce n’est probablement qu’une question de temps avant que les choses changent.
Dans les Grisons, l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) a lancé en mars dernier une initiative populaire intitulée «Plus de parachutes dorés pour les membres du gouvernement – Pas de rentes à vie», jugeant insatisfaisante la solution adoptée par le parlement cantonal limitant le droit à la rente jusqu’à l’âge de 65 ans. Selon les auteurs de l’initiative, un membre du gouvernement cantonal reçoit un salaire adéquat et doit pouvoir subvenir à ses besoins, même après avoir quitté ses fonctions.
Dans le canton de Vaud, le Grand Conseil s’est penché sur la question il y a un an et demi. Mais le parlement cantonal a préféré ne pas intervenir, du moins pour l’instant, se limitant à demander au gouvernement de rédiger un rapport sur un système qui a coûté 2,6 millions de francs aux caisses du canton en 2020 pour garantir les rentes de 17 anciens ministres et de huit veuves. Le débat n’est donc que reporté pour l’instant.
Combler l’absence de prévoyance professionnelle
Ce système de rente à vie a été introduit principalement à partir des années 1940 et 1950, lorsque la fonction de ministre cantonal est devenue une activité à temps plein et qu’elle ne pouvait plus être exercée simultanément à une autre profession.
«Historiquement, la durée du mandat était beaucoup plus longue. Les gens atteignaient souvent l’âge de la retraite. En outre, il n’y avait pas de deuxième pilier», explique Andrea Pilotti, politologue à l’université de Lausanne.
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Pendant des décennies, le système n’a pas été remis en cause. L’idée était que le salaire devait être suffisant pour attirer les meilleures personnalités, même du monde économique. Un autre argument souvent invoqué dès la fin du XIXe siècle «était que rémunérer une fonction politique par un juste salaire et prévoir une rente à la fin du mandat permettait de garantir l’indépendance du magistrat», note Andrea Pilotti.
Depuis une trentaine d’années, la situation a radicalement changé, en partie sous l’effet du discours anti-establishment et anti-privilège porté depuis une trentaine d’années principalement par l’UDC, qui «revendique l’importance d’une classe politique qui doit être au service de la société», note encore le politologue.
Le cas Metzler
Au début des années 2000, le cas de la conseillère fédérale Ruth Metzler a fait grand bruit. Élue au gouvernement en 1999 à l’âge de 34 ans, cette membre du Parti démocrate-chrétien (PDC) est évincée quatre ans plus tard par l’UDC Christoph Blocher.
En théorie, Ruth Metzler aurait pu vivre de sa pension jusqu’à la fin de ses jours. Mais elle a choisi de travailler pour le groupe Novartis. Comme son salaire dépassait un certain seuil, la rente a été supprimée.
Plus récemment, l’affaire du conseiller d’État genevois Pierre Maudet, qui a démissionné à l’âge de 42 ans en 2020 à la suite d’un scandale, a fait couler beaucoup d’encre. Dans un premier temps, l’ancien ministre avait renoncé à sa rente de plus de 82’000 francs par an. Puis, en 2022, il avait fait marche arrière, demandant le paiement rétroactif de ce qui lui était dû, avant d’être réélu en 2023.
«Aujourd’hui, les carrières sont devenues plus courtes, les cas de non-réélection sont plus nombreux et les personnes qui accèdent à ces fonctions sont souvent plus jeunes que par le passé, souligne Andrea Pilotti. En outre, accéder à un gouvernement cantonal n’est plus considérée comme la dernière étape d’une carrière politique, mais parfois comme un tremplin vers d’autres carrières. Tout cela fait que ce système de rente est aujourd’hui perçu par la plupart comme anachronique».
Traduit de l’italien par Olivier Pauchard
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