Nouveau départ, nouvelle présidente pour l’Union des associations suisses de France. Son 58e Congrès ce week-end à Agen a affirmé sa volonté de tourner la page de plusieurs années marquées par des conflits internes, qui ont miné l’organisation. L’équipe dirigeante travaille sur la communication pour resserrer les liens. Une formule qui semble séduire les membres mais qui n’attire pas encore la jeunesse.
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Journaliste basée à Berne, je suis particulièrement intéressée par les thématiques de société, mais aussi par la politique et les médias sociaux. J'ai précédemment travaillé pour des médias régionaux, au sein de la rédaction du Journal du Jura et de Radio Jura bernois.
«Que vive le nouvel esprit d’Agen!» Par ces mots, l’ambassadeur de Suisse en France Bernardino Regazzoni a exhorté l’Union des associations suisses de France (UASF) à continuer à consolider le climat de paix qui semblait avoir été restauré à son 58e Congrès. Il a exprimé son soulagement de retrouver une ambiance apaisée après trois années de «querelles houleuses», «de dispersion des forces», qui ont épuisé trois présidents.
«Ma philosophie, c’est: ‘Bien faire et laisser dire!’» Françoise Millet-Leroux
Après le vent de tempête qui a soufflé sur Vittel en 2015, le rendez-vous annuel de l’UASF à Agen ce week-end s’est déroulé sous de meilleurs auspices. Les débats se sont du moins tenus dans une atmosphère sereine et constructive.
Les membres ont opté pour la stabilité, en élisant à l’unanimité la présidente ad intérim Françoise Millet-Leroux à la tête de l’organisation. Cette dernière avait pris provisoirement les rênes de l’UASF l’an dernier à la suite de la démission après un an de service d’Anny Agrapart. Cette dernière avait déploré «des brouilleries intérieures mesquines».
Agen, les Suisses et les pruneaux
De nombreux suisses sont venus s’installer dans la région d’Agen dans les années 1920 pour devenir exploitants. En effet, au sortir de la Première Guerre mondiale, l’agriculture française dans le Lot-et-Garonne et la vallée du Lot avait besoin de bras, la Grande Guerre ayant décimé beaucoup de familles.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes: Le Lot-et-Garonne ne comptait que 58 ressortissants suisses en 1911, alors qu’ils étaient 455 en 1921 et 1115 cinq ans plus tard. L’immigration se stabilisera au sortir de la Seconde Guerre mondiale autour de 800 âmes. Cette communauté décida de créer un Cercle suisse à Agen, qui deviendra par la suite Cercle de Guyenne et Gascogne.
Les pruneaux d’Agen font la réputation de cette ville du Sud-ouest de la France, qui compte 80’000 habitants avec son agglomération. Cette célébrité est toutefois basée sur une erreur ou plutôt un raccourci, selon le maire de la ville Jean Dionis Du Séjour. «En réalité, les pruneaux viennent plutôt du Lot, plus précisément de Villeneuve-sur-Agen (depuis rebaptisée Villeneuve-sur-Lot), raconte l’élu local, toutefois, la bourse maritime de Bordeaux avait l’habitude d’écrire seulement ‘Agen’ pour désigner les pruneaux, par souci de faire plus court. C’est ainsi que nous avons acquis notre célébrité.»
Un tour de réconciliation
Comment la nouvelle présidente a-t-elle réussi à mettre un peu d’ordre dans les conflits de clans qui divisaient l’UASF? Elle explique avoir entrepris un véritable travail de terrain pour restaurer la confiance des membres. Elle a pris son bâton de pèlerin et s’est lancée dans une sorte de «tour de France» à la rencontre des associations suisses. «J’ai travaillé sur la communication afin de tenter de resserrer les liens et défendre la légitimité de l’UASF en tant qu’organisation de défense des intérêts des Suisses de France.»
L’investissement semble porter ses fruits, puisque la vague de démissions s’est arrêtée. L’UASF avait vu le nombre des associations qui la compose chuter de 63 à 50 entre 2012 et 2015, alors que cette année elle en a gagné trois et reçu de nouvelles demandes d’adhésion. «Des personnes qui avaient décidé de s’en aller sont revenues», note Françoise Millet-Leroux. Elle se dit ainsi optimiste quant au futur de l’organisation, même si les dissensions ne se sont pas complètement évaporées. «Ma philosophie, c’est: ‘Bien faire et laisser dire!’ J’avance en écoutant peu les détracteurs.»
Retour à un climat constructif
Les participants semblaient également rassurés. «C’est la première fois depuis trois ans que j’apprécie l’ambiance de ce congrès! Les dernières années, l’atmosphère était conflictuelle. Les gens se disaient des noms d’oiseaux. Ce week-end, nous discutons dans un climat constructif sous l’égide d’un comité dynamique», se réjouit Danièle Ryser-Macon, présidente de l’Amicale des Suisses de Bretagne-Bannalec, qui attribue ce retour au calme à une amélioration de la communication.
Soulagement aussi du côté de l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE), qui s’inquiétait de la situation. «Cette année, l’ambiance est agréable et conviviale, contrairement à ce que nous avons vécu les années précédentes», se réjouit la codirectrice de l’OSE Ariane Rustichelli, tout en souhaitant que l’UASF continue à évoluer sur cette voie apaisée. «Débattre, c’est bien. Toutefois, si le seul but du débat est d’alimenter le conflit, il devient stérile», commente-t-elle.
Comment attirer la jeunesse?
L’UASF a démontré à Agen sa volonté de regarder vers l’avenir, et le futur passe aussi par la relève. Les jeunes suisses de France n’étaient toutefois pas représentés à Agen. La nouvelle présidente et son nouveau comité comptent essayer d’éveiller leur intérêt. «Nous essayerons d’être plus actifs sur les réseaux sociaux pour les motiver, mais de manière générale la jeunesse s’intéresse peu à la vie associative. C’est le même problème partout», déplore Françoise Millet-Leroux.
Mission difficile donc, mais pas impossible. C’est du moins l’avis de Davide Wüthrich, membre du Parlement des jeunes Suisses de l’étranger, qui a appelé l’UASF à mobiliser sa jeunesse. «En Italie, nous avons réussi à susciter l’intérêt des jeunes en organisant des événements qui leur sont spécialement destinés, par exemple un brunch. Les parties officielles ne les attirent pas, mais s’ils peuvent créer des liens d’amitié par le biais d’activités ludiques, ils reviendront», analyse-t-il. Une formule testée et approuvée en Italie, où les jeunes Suisses sont désormais réunis au sein de leur propre association qui compte 60 membres, dont 40 feront le déplacement au Congrès de Trieste cette année.
Ce n’est pas dépassé
A Agen, les enfants de l’organisatrice Dominique Baccaunaud étaient les seuls représentants de la nouvelle génération de l’UASF. Sophie Baccaunaud, 23 ans, est consciente du problème: «Je constate que les participants prennent de l’âge, et que notre génération devra aussi s’investir.» Pour elle, les réseaux sociaux ne remplacent pas les organisations qui regroupent les Suisses de l’étranger, et elle tient à la survie de ces structures. «Je ne suis toutefois pas prête à m’engager maintenant par manque de temps ou peut-être parce que mon lien avec la Suisse n’est pas assez fort», indique la jeune fille. La création du Parlement des jeunes Suisses de l’étranger en 2015 a néanmoins éveillé son intérêt, et elle n’exclut pas de s’engager dans le futur.
«Que vive la communauté suisse de France!» L’ambassadeur de Suisse dans l’Hexagone a ainsi conclu son allocution devant le Congrès, en espérant la page des querelles intestines définitivement tournée. L’UASF vivra peut-être désormais imprégnée de «ce nouvel esprit d’Agen», un esprit ouvert et tourné vers l’avenir. C’est l’espoir qui semblait animer les participants au 58e Congrès des Suisses de France.
L’ombre du 9 février plane
Une conférence sur les relations économiques entre la Suisse et la France a ouvert le 58e Congrès de l’Union des associations suisses de France. François Baur, responsable des affaires européennes et délégué permanent à Bruxelles d’Economiesuisse et de l’Union patronale suisse, a rappelé l’importance des relations bilatérales entre les deux pays.
Il estime que l’acceptation de l’initiative du 9 févirer 2014, qui demande l’introduction de quotas sur l’immigration, contribue à instaurer un climat d’incertitude néfaste pour l’économie suisse. Pour lui, la menace que fait peser la mise en œuvre de ce texte sur la libre circulation des personnes et les accords bilatéraux en général pourrait avoir d’importantes conséquences. «Chaque Suisse dispose de 4’400 francs de plus par année grâce aux accords bilatéraux», indique-t-il.
L’occasion aussi de rappeler les liens forts qui unissent la Suisse et la France. Cette année, les Suisses de France devraient passer le cap des 200’000 personnes (en augmentation régulière de 2000 par année). Ils forment ainsi la première communauté de la 5e Suisse.
La France est aussi le 4e partenaire commercial de la Suisse, et le 5e investisseur étranger. Il y a 1500 entreprises suisses en France et 600 entreprises françaises en Suisse.
L’économie suisse devrait-elle respecter les limites planétaires, comme le propose l’initiative pour la responsabilité environnementale, ou cela serait-il nocif pour la prospérité du pays? Et pourquoi?
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«La Suisse se dirige vers une rupture du contrat avec l’UE»
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Pour concrétiser dans la loi l’initiative «Contre l’immigration de masse», le gouvernement suisse présentera un projet qui viole le droit de l’UE, prédit une experte en droit européen de l’Université de Bâle. Impossible de faire autrement, vu que l’Union a officiellement signifié à la Suisse qu’elle ne renégocierait pas l’accord de libre circulation.
En juillet, l’Union européenne a clairement fait savoir, par lettre officielle, qu’elle n’accorderait à la Suisse aucune réglementation d’exception sur la libre circulation des personnes. Et comme le Conseil fédéral (gouvernement) veut concrétiser l’initiative contre l’immigration aussi près que possible de la lettre du texte, «la Suisse se dirige très clairement vers une rupture du contrat», prédit Christa Tobler, professeur de droit européen à l’Institut européen de l’Université de Bâle.
Pas de nouvelles négociations
Le 9 février 2014, le peuple suisse a accepté de justesse (50,3%) l’initiative lancée par l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) dite «Contre l’immigration de masse». Le nouvel article ainsi introduit dans la Constitution demande une limitation par contingents du nombre d’étrangers ainsi qu’une préférence nationale à l’embauche. Ces dispositions étant contraires à l’accord de libre circulation conclu avec l’UE, la Suisse a demandé à pouvoir le renégocier. En juillet, Bruxelles a opposé à cette demande une fin de non-recevoir.
Dans un entretien avec swissinfo.ch, elle explique aussi pourquoi l’UE est bien plus importante pour l’économie suisse que la Suisse ne l’est pour l’économie européenne.
swissinfo.ch: L’ancien député et ministre Christoph Blocher [instigateur de l’initiative dite «Contre l’immigration de masse»] a prétendu dans une interview, que l’UE serait contractuellement obligée de négocier une modification de l’accord de libre circulation. Est-ce vraiment le cas?
Christa Tobler: Non, en aucune manière. L’accord prévoit que chaque partie peut proposer des modifications. Mais cela ne veut évidemment pas dire que l’autre partie doit entrer en matière, ni bien sûr accepter.
Par le passé, il est arrivé une fois que la Suisse refuse d’entrer en matière sur une demande de l’UE. C’était d’ailleurs sur ce même accord de libre circulation.
Prétendre qu’il existerait une obligation de négocier est, d’un point de vue juridique, une pure absurdité. Négocier alors que l’autre partie sait qu’elle ne pourra pas entrer en matière n’aurait aucun sens et ne serait qu’une pure perte de temps.
swissinfo.ch: Christoph Blocher est pourtant juriste. Il devrait savoir qu’on ne peut pas forcer un partenaire contractuel à la négociation…
Ch.T.: Cela me surprend aussi beaucoup. Si on lit l’article en question de l’accord, on ne peut en aucun cas en tirer cette conclusion. Jusqu’à un certain point, c’est purement un vœu pieux. Je peux imaginer qu’il peut y avoir là des arrière-pensées politiques. Mais avec ce genre de déclaration, on délivre au public des messages qui ne reposent absolument sur aucune base juridique.
swissinfo.ch: Négocier avec l’UE sur une modification de l’accord de libre circulation dans le sens de l’initiative est donc une idée à oublier définitivement…
Ch.T.:…oui. Et on le savait déjà depuis des mois.
swissinfo.ch:…cela a effectivement été dit dès le début à Bruxelles, et maintenant, c’est écrit officiellement. Le gouvernement suisse est donc plus que jamais face à un dilemme: comment mettre l’initiative en œuvre sans violer cet accord? Le Département de Justice et Police doit livrer un projet encore cette année. A quoi pourrait ressembler cette loi?
Ch.T.: Le Conseil fédéral a esquissé certaines lignes directrices. Il veut introduire des contingents d’étrangers pour les séjours de plus de quatre mois, ainsi qu’une préférence nationale à l’embauche, et ceci sera formalisé dans le projet de loi. Mais ça n’en reste pas moins en contradiction claire avec l’accord sur la libre circulation des personnes.
swissinfo.ch: … mais comme toujours, on va pouvoir le plier et le contourner?
Ch.T.: Ce seront quand même des violations. Toute disposition qui contient une notion de préférence nationale et / ou de contingent - que les maximums soient hauts ou bas -, est en contradiction avec l’accord et donc inacceptable pour l’UE.
swissinfo.ch: Va-t-elle dénoncer l’accord avec la Suisse?
Ch.T.: L’accord prévoit que chaque partie peut le dénoncer en tout temps. Mais ce ne serait pas une décision juridique, mais bien une décision politique. L’UE va-t-elle prendre cette décision? Impossible de le savoir pour le moment.
swissinfo.ch: Quelle en est la probabilité selon vous?
Ch.T.: Cela me semble très peu vraisemblable, notamment parce que la procédure de résiliation est relativement complexe. La décision aurait besoin de l’approbation de chaque Etat membre au Conseil des ministres et d’un vote majoritaire au Parlement européen.
Donc, je ne m’attends pas à ce que nous recevions une résiliation après-demain.
swissinfo.ch: La Suisse devrait-elle dénoncer l’accord, si elle édictait une loi qui lui soit contraire?
Ch.T.: La Suisse a maintenant pour tâche d’élaborer une loi qui contrevient tout à fait sciemment à cet accord. Si elle ne veut plus respecter l’accord, il serait en effet logique de le dénoncer. Mais l’accord ne dit nulle part que l’on doit le dénoncer quand il n’est plus respecté.
La pratique dans d’autres domaines du droit international montre que de nombreux pays ont signé des choses auxquelles ils ne se tiennent pas et que pourtant ils n’imaginent pas de dénoncer, même en rêve.
Revoter?
Différents experts universitaires, dont le spécialiste du droit européen Matthias Oesch, de l’Uni de Zurich, sont convaincus que la Suisse ne pourra sortir de son dilemme qu’en revotant sur le controversé article 121a de sa Constitution (immigration de masse). En effet, l’accord de libre circulation n’est pas renégociable et une stricte application de l’art. 121a entraînerait la résiliation de cet accord et de tout le paquet des Bilatérales I avec lui.
En se basant sur certaines déclarations de conseillers fédéraux, les experts pensent que d’ici deux ans à deux ans et demi, le peuple aura à se prononcer sur la poursuite ou sur l’abandon de la voie bilatérale dans sa forme actuelle. «Dans le projet de loi, il pourrait être très clairement question, soit de conserver l’art. 121a et de dénoncer l’accord de libre circulation, soit de biffer cet article ou de l’amender de telle manière à ce que les accords avec l’UE soient respectés», estime Matthias Oesch. Comme troisième solution - et ce serait de loin la plus élégante -, les universitaires imaginent un nouvel «article européen» qui réglerait les questions fondamentales de la relation entre la Suisse et l’UE.
L’argument qui justifie un nouveau vote aux yeux des experts, c’est le fait que le peuple doit avoir le dernier mot sur le maintien, respectivement la fin de la voie bilatérale. Et selon eux, le vote du 9 février n’a pas porté directement sur cette question.
swissinfo.ch: Il est donc possible que les deux parties vivent avec une situation qui va à l’encontre de l’accord?
Ch.T.: Nous nous dirigeons très clairement vers une rupture du contrat, et donc, on se demande ce qui va arriver.
swissinfo.ch: Et quel est votre sentiment?
Ch.T.: Une fois de plus, la question est moins juridique que politique. Je peux m’imaginer que l’UE dise «maintenant, ce pays [la Suisse] ne s’en tient même plus aux principes élémentaires d’un de nos accords les plus importants, cela doit avoir des conséquences dans d’autres domaines».
swissinfo.ch: Par exemple?
Ch.T.: La conséquence la plus évidente est que l’UE va interrompre la collaboration dans le domaine de la recherche.
swissinfo.ch: Mais s’agissant du projet Horizon 2020, la Suisse et l’UE ont entretemps trouvé une solution…
Ch.T.: … oui, une solution où la Suisse n’est plus membre à part entière et qui ne vaut que tant que la libre circulation est encore en vigueur.
swissinfo.ch: Si l’on en revient à l’option «situation de rupture de contrat», c’est quelque chose avec quoi la Suisse pourrait bien vivre?
Ch.T.: A première vue, l’idée semble alléchante. Mais je crois que l’on ne mesure pas les conséquences d’une telle situation. Nous allons vers une période de grande insécurité. Les entreprises ne savent pas quelles seront les réglementations en vigueur, et cela ne sera pas sans conséquences pour l’économie.
swissinfo.ch: Mais Christoph Blocher, qui est lui-même un entrepreneur prospère, dit que les dommages seraient bien plus grands pour l’UE si elle entravait les relations économiques avec la Suisse. Son argument: en 2013, la Suisse a importé des marchandises de l’UE pour 170 milliards de francs, alors qu’elle n’a exporté que pour 96 milliards vers l’Union…
Ch.T.: Cette argumentation ne tient aucun compte du poids relatif des relations, à savoir de l’importance de 170 milliards pour l’UE comparée à l’importance de 96 milliards pour la Suisse. Si l’on calcule en pourcentage, on voit que la Suisse est infiniment plus dépendante économiquement de l’Union que l’Union ne l’est de la Suisse. Tout le reste n’est que présentation erronée et sans aucun rapport avec la réalité.
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