Appels pour renoncer au droit de veto en cas d’atrocités
Les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU devraient renoncer volontairement à leur droit de veto en cas de génocides, de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre. Un nombre croissant d’Etats membres des Nations unies, dont la Suisse, s’engagent en ce sens.
Le conflit en Syrie est un exemple de la paralysie du Conseil de sécurité de l’ONU. Le conflit a éclaté il y a presque cinq ans, mais il n’a jusqu’à présent pas réussi à se mettre d’accord sur une ligne pour sortir de la guerre. On estime que plus de 250’000 personnes ont été tuées et des millions d’autres sont déplacées soit à l’intérieur du pays soit à l’étranger.
La France et le Mexique ont invité les membres permanents du Conseil de sécurité à renoncer à leur droit de veto lorsqu’il est question de génocides, de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre ou alors de tentatives pour y mettre un terme. Par ailleurs, coordonné par la Suisse, le groupe suprarégional ACT (Accountability, Coherence, Transparency) a présenté un «Code de conduite sur l’usage du droit de veto en cas de génocide, de crimes de guerre ou contre l’humanité», sous l’égide du Liechtenstein.
Vetos
La Russie et la Chine ont jusqu’à présent fait usage à quatre reprises de leur droit de veto dans le cadre du conflit syrien, pour bloquer des actions du Conseil de sécurité.
Trois fois, il s’agissait de résolutions qui menaçaient le régime de Bashar al-Assad de sanctions. Une autre résolution visait charger le Tribunal pénal international (TPI) d’enquêter sur d’éventuels crimes contre l’humanité dans le cadre du conflit syrien.
Cette initiative est encore plus large que l’initiative franco-mexicaine. «Ce Code de conduite demande à tous les membres du Conseil de sécurité, permanents ou non, de ne pas voter contre une résolution visant à prévenir ou mettre un terme à des atrocités de masse et il invite les futurs membres du Conseil à s’engager à ne pas le faire», a expliqué le ministre suisse des Affaires étrangères Didier Burkhalter dans son discoursLien externe tenu lors de la 70e session de l’Assemblée générale de l’ONU.
Jusqu’à présent, plus de 75 Etats du monde entier ont souscrit à l’initiative franco-mexicaine et 53 au Code de bonne conduite. La Suisse, pour sa part, soutient les deux projets.
Sentiment de dynamisme
Des voix critiques estiment que tous ces efforts ne mèneront à rien. Richard Dicker, directeur du programme Justice internationale auprès de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights WatchLien externe (HRW) est plus nuancé. «Cela dépend vraiment de la manière dont on calibre les attentes», a-t-il déclaré à swissinfo.ch.
Pour ce spécialiste, il faut rester réaliste. Il est clair que ces deux initiatives ne peuvent pas mettre rapidement fin à une utilisation jugée obstructive et abusive du droit de veto, comme le fait la Russie dans le dossier syrien et, dans une moindre mesure, également la Chine et les Etats-Unis.
Cependant tout le soutien apporté à ces deux initiatives augmente le déficit d’image pour les pays qui font un usage abusif du droit de veto dans des situations d’atrocités de masse.
La limitation de l’utilisation abusive du droit de veto lors de tels crimes et un objectif important à moyen terme. L’initiative franco-mexicaine et les efforts du groupe ACT pourraient très bien y contribuer», juge Richard Dicker.
Ce dernier estime que lors de la présentation du Code de bonne conduite, il y avait «un sentiment palpable de dynamique et d’engagement». Il sera donc intéressant de voir combien d’Etats soutiendront encore le Code d’ici son lancement officiel, qui aura lieu le 23 octobre, à l’occasion du 70e anniversaire de l’ONU.
«Pas un privilège, une responsabilité»
«Nous considérons que le Code de conduite est complémentaire de l’initiative franco-mexicaine; ce sont deux traces sur un chemin menant au même but, qui se renforcent mutuellement», a déclaré Aurelia Frick, ministre des Affaires étrangères du Liechtenstein, lors de la présentation du document.
Cette dernière a appelé tous les Etats membres de l’ONU à s’engager pour le Code. De la même manière, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, avait appelé dans un discoursLien externe tous les Etats à soutenir l’initiative franco-mexicaine. «Nous ne pouvons pas nous résigner à la paralysie du Conseil de sécurité lorsque des atrocités de masse sont commises et on le voit dans beaucoup de cas, dont celui de la Syrie. L’idée centrale est que le veto n’est pas un privilège, c’est une responsabilité.»
La France, l’un des cinq membres permanents disposant du droit de veto, s’est déjà engagée à ne pas utiliser ce droit en cas d’atrocités de masse. Elle espère que les quatre autres (Russie, Etats-Unis, Chine et Royaume-Uni) suivront bientôt, mais ceux-ci n’ont jusqu’à présent pas formellement soutenu son initiative. Selon des sources diplomatiques, les deux puissances anglo-saxonnes ont donné des signes positifs, mais pas la Chine, ni la Russie.
Les organisations de défense des droits de l’homme, qui soutiennent les deux projets, demandent depuis longtemps une limitation du droit de veto en cas d’atrocités de masse. Kenneth Roth, directeur de Human Rights Watch, a par exemple déclaré que le droit de veto ne devrait jamais être utilisé pour protéger un allié qui se montre cruel envers les populations civiles, comme c’est le cas actuellement avec le régime syrien.
ACT: fiabilité, cohérence, transparence
L’acronyme ACT (Accountability, Coherence, Transparency) recouvre un groupe suprarégional de 27 petits et moyens pays qui s’efforcent d’améliorer la cohérence et la transparence du Conseil de sécurité d’ONU.
Coordonné par la Suisse, ACT a été créé en mai 2013 et se concentre sur le fonctionnement et le travail du Conseil de sécurité à l’intérieur et ses relations avec les autres Etats membres de l’ONU.
Avec des propositions concrètes et pragmatiques, ACT essaie d’améliorer les méthodes de travail du Conseil de sécurité sous sa forme actuelle, ainsi que sa transparence et son ouverture.
Les activités d’ACT ne concernent pas la réforme globale du Conseil de sécurité, portant notamment sur sa composition et sa taille.
Rester rationnel
Didier Burkhalter a confirmé que le Suisse soutient les deux initiatives. «Nous voyons un soutien croissant, chaque année un peu plus», a indiqué le ministre suisse des Affaires étrangères, tout en reconnaissant qu’il faudra encore passablement de temps pour atteindre l’objectif, c’est-à-dire obtenir le soutien des cinq membres permanents.
A la question de savoir si l’annonce de la France de renoncer à son droit de veto dans les cas d’atrocités de masse allait instaurer une pression morale, Didier Burkhalter a répondu: «Oui, ce pourrait être le cas. Mais je pense aussi que la discussion doit rester rationnelle. Ce dont nous avons besoin, c’est de comprendre qu’il n’est absolument pas logique que le Conseil de sécurité, dont la mission principale et le maintien de la paix et de la sécurité, ne stoppe pas les crimes de masse ou ne réclame pas des comptes.»
Selon lui, il n’est tout simplement pas cohérent de bloquer des résolutions plutôt que de stopper des crimes de masse. Finalement, il est dans l’intérêt de tous de voir que «le Conseil de sécurité est de plus en plus remis en question par la communauté internationale en raison de sa paralysie, comme nous l’avons par exemple vu dans le cas de la Syrie».
(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)
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