Un chef de guerre prestement condamné au Sud-Kivu
La justice s’accélère au Sud-Kivu, où Fréderic Masudi Alimasi, alias Koko di koko et deux autres miliciens ont été condamnés mercredi pour des crimes contre l’humanité commis l’année passée. L’ONG genevoise Trial international se félicite de cette avancée, rendue possible par la politique du nouveau président, Félix Tshisekedi, mais elle déplore que beaucoup de crimes soient encore commis dans cette province à l’est de la République démocratique du Congo.
Dans la région des Grands Lacs, la SuisseLien externe aide à réduire les violences, à lutter contre l’impunité et à renforcer les institutions. Elle s’engage aussi contre la violence faite aux femmes. Depuis 2011, la Suisse est venue en aide à 60’000 femmes victimes. Parmi celles-ci, 12’300 ayant subi des viols ont bénéficié d’une prise en charge médicale, psychologique et juridique.
La Suisse s’engage en faveur du traitement du passéLien externe dans le cadre de la promotion de la paix et des droits de l’homme. Elle entend ainsi favoriser la réconciliation après de graves violations des droits de l’homme ou du droit international humanitaire. Berne soutient et accompagne des initiatives bilatérales et multilatérales.
«Cette sentence est extrêmement encourageante: mercredi, au Sud Kivu, Koko di koko et deux autres miliciens ont été condamnés à la prison à vie, ou à de lourdes peines, pour des crimes contre l’humanité commis en 2018 », se réjouit Daniele Perissi, responsable du programme Grands Lacs chez TRIAL InternationalLien externe, une ONG genevoise spécialisée dans la lutte contre l’impunité.
Une sentence ultra-rapide, rendue possible par la conjonction de plusieurs facteurs: la volonté politique du nouveau président congolais, Félix Tshisekedi, au pouvoir depuis février, qui a fait de la pacification à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) l’une de ses priorités. Et la contribution de TRIAL à collecter les preuves et à représenter les 307 victimes, en majorité de violences sexuelles, mais aussi de meurtres, disparitions forcées, torture et esclavage.
«Le tournant s’est produit en avril 2019, lorsque l’armée congolaise, soutenue par la Monusco (la mission de l’ONU pour la stabilisation en RDC), a arrêté Koko di koko et d’autres membres de la milice, poursuit l’expert. Dès lors, la justice a pu avancer rapidement, grâce à la documentation que nous avons rassemblée et aux enquêtes menées par le procureur militaire. Le procès s’est ouvert en septembre et le verdict est tombé deux mois après. Cela montre que la justice peut être efficace si la volonté politique existe. Dans ce dossier précis, elle était présente, mais ce n’est pas toujours le cas.»
L’Etat congolais condamné à indemniser les victimes
Par ailleurs, les juges du tribunal militaire de Bukavu ont estimé que l’Etat congolais était civilement responsable. Ceci signifie que si Koko di koko et ses acolytes ne peuvent pas dédommager les victimes – ce qui est fort probable – le gouvernement va devoir le faire à leur place. Selon le type de crimes commis, elles ont droit de 1000 à 15’000 dollars à titre de réparation, par exemple pour payer les soins médicaux.
«C’est le groupe armé qui a commis les crimes, détaille l’expert, mais l’Etat a l’obligation de protéger la population et le tribunal a reconnu qu’il avait été défaillant. Cependant, la mise en œuvre va être très délicate. L’Etat congolais n’a fait aucun progrès au titre de la réparation, les victimes ne sont jamais dédommagées. La volonté politique est absente.»
La volonté politique ou les moyens financiers? «C’est une question de priorité politique, nous répond-il. Le gouvernement de la RDC a l’argent pour faire certaines choses, mais il doit décider lesquelles.» Dès lors, serait-il envisageable de mettre sur pied un fonds international pour indemniser les victimes? «L’idée a été soulevée, mais cela dédouanerait l’Etat de sa responsabilité», fait remarquer Daniele Perissi.
TRIAL est présent au Sud Kivu depuis 2014. Jusqu’en 2010, l’impunité totale y régnait. A partir de 2011 sont apparues les premières condamnations pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité et elles ont augmenté ces dernières années. Au Sud Kivu, sept procès ont eu lieu depuis 2016, auxquels l’ONG a participé. «La sentence d’hier nous donne l’espoir que la tendance continue et que les coupables soient sanctionnés. Mais on ne peut pas généraliser. Et malheureusement les crimes continuent à être commis dans une ampleur effarante.»
République démocratique du Congo: pourquoi cette guerre interminable? (Géopolitis, 20’05’2009Lien externe)
Encore 130 groupes armés au Kivu
Le Kivu a basculé dans la guerre en 1994, lorsque des centaines de milliers de Hutus s’y sont réfugiés pour échapper au massacre des Tutsi et des Hutus modérés au Rwanda voisin et après le lancement de la contre-offensive par les rebelles tutsi d’Ouganda. Deux guerres ont éclaté entre 1996 et 2003. Depuis lors, le Rwanda et l’Ouganda n’interviennent plus directement sur le sol congolais, mais par groupes armés interposés. Entre 2004 et 2013, deux guerres civiles ont ensanglanté la région.
Aujourd’hui encore, la situation est loin d’être pacifiée. Selon une étude récente du Groupe d’études sur le CongoLien externe, un groupe de recherche indépendant, et Human Rights Watch, les groupes armés ont proliféré ces dernières années.
Aujourd’hui, pas moins de 130 milices sévissent au Nord et au Sud Kivu. Selon les auteurs, elles s’affrontent pour d’innombrables raisons, dont simplement la quête du pouvoir. Le contrôle des ressources minières (tantale, coltan, tungstène, or, étain) serait l’une des raisons de la violence, mais pas la principale – seuls 20% des incidents violents se produisent dans un rayon de 20 km autour d’une mine.
L’étude affirme que les groupes armés tirent leurs revenus de nombreuses autres sources aussi, notamment la production de charbon de bois, le braconnage, les enlèvements et la taxation de tout type de marchandises. Cette thèse est controversée. Pour des politiciens de RDC et de nombreuses ONG internationales, dont Global WitnessLien externe, c’est surtout le contrôle des ressources naturelles du Congo, au profit des multinationales étrangères, qui alimente les guerres dans l’est du pays.
L’un des chevaux de bataille du nouveau président Félix Tshisekedi a été d’éliminer les groupes armés. Plusieurs se sont rendus ou ont exprimé l’intention de le faire, mais il n’existe aucun programme fonctionnel de démobilisation de ces 2000 à 3000 combattants. L’étude fait état de 3015 incidents (morts violentes, viols collectifs, enlèvement, etc.) entre juin 2017 et juin 2019
Isolda Agazzi, swissinfo.ch
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