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Comment éviter une foire d’empoigne sur les traitements contre le Covid-19

Man holds tablet for patient to talk to his relatives from hospital
Dans un hôpital de Brescia, dans le nord de l'Italie, le 19 mars 2020. Le Dr Matteo Flippini aide le patient Alessandro Mattinzoli infecté par le coronavirus à parler avec ses proches via une tablette. Keystone / Sergio Cattaneo

Les États doivent mettre leurs ressources en commun et s'entendre sur la manière dont les connaissances et les traitements seront équitablement partagés dans la lutte mondiale contre le nouveau coronavirus. Faute de quoi, la pandémie risque de devenir incontrôlable, avertit Suerie Moon, codirectrice du Centre de santé globale à Genève.

Un vaisseau fragile en pleine tempête. C’est ainsi que le quotidien Le Temps présente l’OMS en tirant le portraitLien externe de son directeur général depuis 2017, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Principal grief, l’Ethiopien aurait fait preuve d’une complaisance excessive en louant la réponse du pouvoir chinois au Covid-19, alors que Pékin a tardé à informer le monde de l’existence du nouveau virus. De quoi amplifier la pandémie présente aujourd’hui dans la plupart des pays de la planète.

L’agence onusienne est à la hauteur de cette crise inédite, dit au contraire Suerie MoonLien externe, spécialiste des pandémies et codirectrice du Centre de santé globale de l’Institut genevois de hautes études internationales et du développement.

Dr Suerie Moon is co-director of the Global Health Centre at the Geneva Graduate Institute
Suerie Moon est codirectrice du Centre de santé globale à Genève Graduate Institute

swissinfo.ch: Comment évaluez-vous la réponse de l’Organisation mondiale de la santé à l’expansion mondiale du Covid-19?

Suerie Moon: Dans l’ensemble, l’OMSLien externe a fait un excellent travail, compte tenu des moyens limités dont elle dispose, qu’ils soient juridiques, financiers ou autres. Si vous comparez la situation actuelle à l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest de 2014-2016 ou à la pandémie de H1N1 (grippe porcine) de 2009, c’est vraiment le jour et la nuit.

L’OMS a fait preuve d’un leadership fort et s’est constamment trouvée devant les caméras, exhortant les gouvernements à en faire plus et publiant très rapidement des directives sur un certain nombre de sujets importants pour les travailleurs de la santé et les employeurs. Ils ont travaillé sans relâche. Leur travail de coordination de la recherche scientifique a également été essentiel.

Nous savons que les orientations de l’OMS sont particulièrement fiables dans les pays en développement, où elles sont considérées comme la Bible. Ses conseils et son leadership politique seront donc encore plus essentiels dans les semaines et les mois à venir, lorsque l’épidémie deviendra véritablement mondiale.

Mais l’OMS a été critiquée pour n’avoir pas réagi assez vite ou assez fortement au nouveau coronavirus. Qu’aurait-elle dû faire différemment?

L’OMS a réussi sur bien des points dans des circonstances extrêmement difficiles et dans un contexte d’incertitude énorme. Mais certaines de ses orientations ont été déroutantes. La mission de base de l’OMS est de conseiller les professionnels de la santé. Mais ici, on demande à l’OMS de faire quelque chose de très différent, qui se situe en dehors de sa zone de confort. À savoir de fournir des recommandations sur les mesures de confinement qui ont des conséquences économiques et sociales massives.

L’une des critiques adressées à l’OMS dans le passé, et qui tient toujours, est qu’il s’agit d’une organisation très médicale. Ses points forts se situent dans le secteur de la santé, mais lorsque les crises échappent à tout contrôle et ne concernent pas uniquement la santé – comme c’est le cas actuellement – la question est de savoir vers qui se tourner.

Le 26 mars, les dirigeants du G20 se sont engagés à injecter plus de 5000 milliards de dollars dans l’économie mondiale et à «faire tout ce qu’il faut pour surmonter la pandémie». En matière de santé, ils se sont engagés à combler le déficit de financement du plan d’intervention de l’OMS et à renforcer son mandat, ainsi qu’à accroître la capacité de fabrication de fournitures médicales, à renforcer les capacités de lutte contre les maladies infectieuses et à partager les données cliniques. Les dirigeants ont-ils enfin pris conscience de la nécessité d’une coopération mondiale pour lutter contre le virus?

La déclaration du G20Lien externe de la semaine dernière est un signe très encourageant pour l’avenir, car jusque-là, la coopération internationale était pratiquement inexistante.

Cette déclaration a vraiment mis le doigt sur les multiples domaines dans lesquels nous avons besoin d’une coopération plus solide et plus fiable que celle que nous avons vue jusqu’à maintenant. À un niveau très humain, je comprends pourquoi les gouvernements se sont repliés sur eux-mêmes, alors que tous les grands pays sur lesquels nous comptons pour jouer un rôle de premier plan au niveau mondial ont dû faire face en même temps à des situations d’urgence nationales. C’est donc compréhensible, mais nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer le niveau international. Nous avons besoin d’une coopération internationale pour éteindre cet incendie.

La déclaration du G20 est très encourageante. Mais une fois qu’il sera question d’argent, d’informations, de ressources et de pouvoir réels, nous devrons examiner ce qui restera de cette déclaration. J’espère que les pays cesseront de ne voir que leur situation intérieure et réaliseront que la coopération internationale est indispensable pour maîtriser cette pandémie.

Vous avez exprimé votre inquiétude sur la possibilité de conclure des accords mondiaux pour s’assurer que les médicaments efficaces, les diagnostics et les vaccins une fois disponibles puissent atteindre en premier lieu les personnes et les pays qui en ont le plus besoin.

Avant même que nous sachions de quels médicaments nous avons besoin, les pays qui ont des capacités de production ont bloqué les exportations et accumulé les stocks de médicaments. Nous l’avons également constaté avec les masques et les matériaux de protection.

Imaginez les pays pauvres qui n’ont pas la puissance diplomatique ou financière d’un pays européen – ils seront les derniers de la file.

Des vaccins seront mis au point dans les 12 à 18 mois à venir. Mais l’arrivée de médicaments adaptés sera plus rapide. De petits essais ont déjà donné des résultats et, bientôt, nous aurons une idée plus précise des médicaments, des traitements et des thérapies qui sont efficaces et du moment où ils le seront. Nous allons avoir plus de données dans les semaines à venir et les gouvernements auront une plus grande certitude sur leurs besoins.

La ruée pour obtenir ces produits sera sans précédent. Ce sera la mêlée générale, à moins que nous parvenions à un accord de base pour que les produits soient d’abord destinés aux pays les plus touchés. Cela semble assez élémentaire, mais je ne pense pas que cela va se produire.

Si nous ne parvenons pas à un accord international sur la manière de partager l’information et la technologie et de mettre rapidement les ressources en commun, ce sera le chaos.

(Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand)

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