Critiques suisses à l’égard des renvois de Roms
Dans l’affaire des renvois de Roms, le président français, Nicolas Sarkozy, est confronté à de vives critiques internationales. L’ONU ou encore l’Union européenne dénoncent une atteinte aux droits de l’homme. Les médias suisses s’inscrivent aussi dans cette lignée.
Une faible légitimité, un niveau de popularité au plus bas, et le soupçon d’une carrière politique financée par l’argent noir de l’héritière milliardaire de l’Oréal, Liliane Bettencourt. Tout cela, deux ans avant la prochaine élection présidentielle. Voilà les commentaires des médias suisses à l’égard du président français.
La politique intérieure de Nicolas Sarkozy, est qualifiée de politique de dégagement. Une tactique pour permettre au président de cacher ses faiblesses. 2012, montrera si ses calculs sont bons.
Pour l’instant, Nicolas Sarkozy a entraîné son pays dans une des plus grosses tempête de politique extérieure, des dernières années. Le 16 septembre, à l’occasion du sommet des dirigeants de l’Union européenne (UE), la discorde a viré au clash entre le président français et le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso.
Glissement verbal
C‘est Viviane Reding, commissaire européenne à la justice qui a mis le feu aux poudres entre la France et l’UE, en affirmant que la politique française «est une honte». Et en dénonçant le fait que la situation en France a réveillé le sentiment que «des personnes sont renvoyées d’un Etat membre de l’UE, sur le simple critère qu’ils appartiennent à une minorité ethnique. Je pensais qu’après la deuxième guerre mondiale, une telle situation ne se représenterait plus en Europe», avait alors ajouté la commissaire européenne luxembourgeoise.
Désormais, après une tempête de réactions en provenance de Paris, elle a exprimé publiquement ses regrets sur cette dernière déclaration. Mais Viviane Reding reste sur sa volonté d’engager une procédure pénale envers la France, pour infraction au droit européen.
«Avec ses propos irréfléchis – dans la mesure où ils étaient réellement irréfléchis – Viviane Reding a desservi la Commission européenne», commente la Neue Zürcher Zeitung (NZZ). Par sa déclaration, Viviane Reding a donné à la France les munitions pour se défendre. Et l’opportunité d’exprimer une réaction virulente. Elle a contribué à ce que le sujet de fond glisse encore en arrière-plan, derrière la controverse.
Pour sa part, le quotidien romand La Tribune de Genève, souligne qu’avec ses parallèles, Viviane Reding occulte la réalité et banalise l’horreur du passé. Car selon le quotidien romand, les nazis et leurs collaborateurs en France, n’auraient pas rapatriés les Roms, ils les auraient exterminés.
Le Tages-Anzeiger de Zurich, relève également que la commissaire européenne à la justice, a verbalement dépassé les limites.
«Naturellement, les comparaisons avec le régime de Vichy sont inappropriées. Et naturellement, Nicolas Sarkozy, promoteur de cette campagne funeste envers les Roms, mais aussi président avec des racines hongroises, n’est pas viscéralement raciste. Il est seulement un politicien, froid calculateur et cynique.»
Nicolas Sarkozy joue avec les ressentiments enfouis des Français. Il les exacerbe par des discours musclés. Et le Tages-Anzeiger d’ajouter, «pour l’élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy endosse désormais le rôle du ‘flic’, de l’intraitable policier, qui sépare les prétendus gentils, des méchants.»
Responsabilité de l’UE
Le Tages-Anzeiger souligne aussi que dans le conflit avec les Roms, l’UE a failli à ses fonctions. Car les nouveaux Etats membres ont reçu à leur entrée des milliards de francs de Bruxelles, mais seulement une infime partie de cet argent a été destiné à l’intégration des Roms. «La-bas, la construction des routes était plus populaire», conclut le Tagi.
La Tribune de Genève note que la discrimination envers les Roms n’est pas l’apanage de la France. La «Romophobie» gangrène d’autres pays. Car les Roms se retrouvent dans plusieurs pays riches européens, y compris en Suisse. Et cette présence réveille de vieux préjugés, comme l’amalgame entre gens du voyage et criminels.
«L’Europe doit apprendre à empoigner ce problème de manière intelligente. Les dérapages verbaux, n’offrent pas de solutions», écrit finalement la Tribune de Genève.
La France humiliée
La Basler Zeitung rappelle quant à elle la France à sa réputation de berceau des droits de l’homme. Avec «la mise en place de cette campagne brutale anti-Roms, le pays a souillé sa propre loi, ainsi que sa tradition qui s’inscrit dans le respect des droits de l’homme. Et il a enfreint les règles communautaire européennes, qui garantissent la libre circulation à tous les citoyens de l’UE.»
En expulsant les Roms, Nicolas Sarkozy a placé son pays dans une position humiliante. «Maintenant le roi est nu», conclut de manière lapidaire le quotidien alémanique.
Pour Le Temps à Genève, les renvois de Roms – des citoyens européens comme les autres- représentent un «signal d’alarme.» Il se trouve que «le fier coq gaulois, paradant souverain, a, en signant les traités européens, volontairement renoncé à une part de sa souveraineté.»
La Repubblica/Italie: «Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi parlent aujourd’hui des Roms, comme s’il s’agissait d’ordures et non d’hommes. Les deux savent exactement, qu’avec ce discours, ils risquent de réveiller les sentiments les plus enfouis de leurs citoyens. (…) Et ainsi ils démolissent consciemment la construction européenne, motivés par la crainte de perdre leur propre pouvoir.»
El País/Espagne: «La déportation des Roms hors de France a plongé l’UE dans une crise sans précédent. Seule la Commission européenne a affronté le président français Nicolas Sarkozy lors du sommet de l’Union. La majorité des chefs de gouvernement européens ont fait preuve d’une triste attitude.»
Dernières Nouvelles d’Alsace/France: «La circulaire du ministère de l’intérieur, qui mentionnait ouvertement la minorité ethnique des Roms , n’a pas seulement empoisonné le sommet de l’Union européenne, elle a aussi isolé la France.»
Frankfurter Allgemeine/Allemagne: «L’expulsion des Roms de France n’est pas un événement isolé, mais une routine. Chaque année, des milliers de Roms sont renvoyés en Roumanie, où ils vivent en marge de la société.»
Süddeutsche Zeitung/Allemagne: «Les Roms sont aussi des citoyens européens. (…) Nicolas Sarkozy a été plus violement attaqué qu’auparavant – les psychologues pensent que les hommes de pouvoir narcissiques comme lui, ne conviennent plus à notre époque.»
Le Monde/France: «Le renvoi des Roms pèse sur le retour de Nicolas Sarkozy sur la scène européenne. La Comission européenne va engager contre la France une procédure pour rupture de contrat.»
En France vivent environ 500‘000 gens du voyage, 12’000 à 15’000 d’entre eux sont des Roms d’Europe de l’Est.
A l’occasion de la campagne de renvoi des Roms, un homme appartenant aux gens du voyage a été tué par la police française. L’homme n’était pas rom, mais français.
Le président Nicolas Sarkozy a ordonné la destruction de 300 à 600 camps illégaux de Roms à travers le pays.
Sous le feu des critiques, le ministre de l’Immigration, Eric Besson, a rétorqué que la France ne discriminait pas la minorité Rom.
Mais dans une lettre rendue publique, Eric Besson a appelé les préfets des différents départements, à s’occuper en priorité de la fermeture des camps roms.
De fin juin à mi-août, la France a renvoyé presque 1‘000 personnes en Roumanie et en Bulgarie. 828 d’entre elles étaient des «volontaires au retour. »
Les adultes reçoivent une aide au retour de 300 euros. Les enfants et les jeunes de moins de 18 ans, de 100 euros. Beaucoup utilisent cet argent pour s’acheter un ticket de bus Bucarest-Paris, au prix de 60 euros.
(Traduction de l’allemand: Laureline Duvillard)
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.