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Déchets nucléaires: l’accueil pourrait, un jour, être aussi bon en Suisse qu’il l’est en Suède

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C'est sur ce champ, proche du village de Stadel (canton de Zurich), que doit être construite l'entrée du dépôt en profondeur. Les déchets hautement radioactifs doivent y être entreposés en toute sécurité pour une durée pouvant aller jusqu'à un million d'années. Keystone / Michael Buholzer

Après des décennies de recherche, on sait enfin où sera le dépôt en couches géologiques profondes des déchets nucléaires en Suisse. Dans ce domaine, la Suède a une longueur d’avance, puisque la majorité de la population soutient la construction d’une telle infrastructure.

Cette décision ne réjouit personne. «Vous vous imaginez peut-être que nous avons applaudi en apprenant cette nouvelle? Non, pas du tout», lance Dieter Schaltegger, alors que d’autres laissent éclater leur colère lors de la soirée d’information organisée dans la commune de Stadel. Le président de celle-ci n’est au courant que depuis quelques jours de ce qui attend son village et toute cette région du nord des Lägern, à cheval sur les cantons d’Argovie et de Zurich: les déchets nucléaires suisses doivent être déposés ici. Cette décision a été prise à la mi-septembre 2022. Il faudra encore une dizaine d’années avant qu’elle ne soit politiquement définitive. Le début de la construction du dépôt en couches géologiques profondes est prévu pour 2045.

Cette annonce fait parler toute la région — et toute la Suisse. Personne ne sait s’il y aura bel et bien un chantier dans ce champ près de la frontière allemande. Les recherches se poursuivent. Cela fait presque 50 ans que la NagraLien externe (Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs) cherche un site approprié. Un premier projet en Suisse centrale avait été rejeté lors d’une votation populaire locale.

La Nagra en a tiré des leçons, explique son porte-parole Patrick Studer. «Auparavant, la Nagra ne communiquait pas assez bien». Résultat: une opposition de la population locale partout où elle menait des forages d’essai. «Aujourd’hui, nous savons combien il est important de prendre au sérieux les arguments critiques». La coopérative a également appris cela des «pionniers de la communication que sont la Suède et la Finlande», où les autorités ont réussi à créer «un grand sentiment de confiance».

Sur place en Suède

La Suède a commencé à chercher un site quelques années après la Suisse — et elle a aujourd’hui des décennies d’avance. Depuis 1992, il existe un lieu de stockage définitif pour les substances faiblement et moyennement radioactives. Celui consacré aux déchets hautement radioactifs entrera en service en 2035 sur le même site.

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C’est sous cette île que dorment les déchets radioactifs suédois. swissinfo.ch

Dans la commune d’Östhammar, le dépôt en profondeur jouit actuellement d’un taux d’approbation de 84% de la part de la population. 39 des 49 députés et députées du parlement local ont décidé qu’avec un tel score, un nouveau référendum n’était pas nécessaire. En effet, la condition pour l’approbation du premier dépôt était un droit de veto pour toute extension. Le maire Jacob Spangenberg a proposé de renoncer à un référendum.

Jacob Spangenberg est pourtant critique envers l’énergie nucléaire. Il appartient à un parti qui s’est engagé en 1980 pour la lente sortie de l’atome en Suède, une décision approuvée à l’époque. En ce qui concerne Östhammar, le dépôt en profondeur représente le fait d’assumer la responsabilité «de l’une des questions environnementales les plus importantes de notre temps», précise-t-il. Mais si la Suède devait construire de nouvelles centrales, il faudrait s’occuper des déchets ailleurs. Jacob Spangenberg explique le taux d’acceptation d’Östhammar par le fait que la centrale nucléaire présente a déjà créé, dans la commune, une certaine familiarité avec la technologie — mais aussi par le «dialogue long et ouvert».

Ein sitzender Mann in Östhammar, Schweden auf der linken, eine stehende Frau auf der rechten.
Jacob Spangenberg (à gauche), maire d’Östhammar, a proposé au parlement communal de renoncer à un référendum sur le nouveau dépôt en profondeur. Åsa Lindstrand (à droite) fait partie de la minorité d’Östhammar qui s’oppose au dépôt en profondeur, notamment pour des raisons de sécurité. swissinfo.ch

En revanche, Åsa Lindstrand estime que la population est tout simplement fatiguée. L’experte fiscale fait partie des rares opposants et opposantes qui combattent le dépôt définitif. Bien sûr, la Suède doit chercher un site de stockage en profondeur pour les déchets hautement radioactifs, mais le choix d’Östhammar a été arrêté avec «une rapidité qui n’était pas nécessaire». Elle critique le procédé d’encapsulage dans le cuivre. «Cette méthode est aujourd’hui contestée par les spécialistes, notamment parce que le cuivre peut rouiller». C’est pourquoi Åsa Lindstrand aurait voulu un référendum malgré le taux d’approbation élevé.

Au milieu d’Östhammar se trouve le centre d’information de l’Autorité suédoise de gestion des déchets nucléaires. Le chef de la communication Simon Hoff précise que la méthode d’encapsulage développée par la Suède est déjà utilisée en Finlande: «Nous apprenons de sa mise en œuvre».

Simon Hoff souligne qu’Östhammar dispose des «conditions géologiques nécessaires», mais que «l’acceptation d’un site potentiel» a également joué un rôle prépondérant. L’aspect politique a donc aussi fait pencher la balance en faveur de ce lieu.

Sur place en Suisse

Le dépôt en profondeur suédois se trouve sous une île au large, à 20 kilomètres d’Östhammar. En Suisse par contre, le champ où sera construite l’entrée du dépôt se situe à proximité de nombreux villages, y compris ceux de l’autre côté de la frontière allemande. Le gouvernement allemand a déjà fait savoir qu’il fallait en discuter. À 20 kilomètres dans la direction opposée se trouve l’aéroport de Zurich, le plus grand de Suisse.

Une ferme non loin du champ a été remplacée par des bâtiments d’exploitation sur les visualisations de la Nagra. Les propriétaires seront probablement contraints de vendre leurs terres. Toute la région doit s’attendre à subir les effets de 15 ans de chantiers d’envergure: l’excavation en profondeur s’accompagne notamment du bruit des camions.

Alors qu’à Östhammar, la perspective de créer des emplois a contribué à l’approbation du projet, en Suisse, personne n’imagine que les employés et employées viendront des environs. La frontière est trop proche, les salaires suisses trop attractifs.

Lors de l’annonce du site au nord des Lägern, la SRF a soulevé la question de savoir si le choix était motivé par des raisons politiques: l’opposition est moins forte à cet endroit que dans d’autres sites présélectionnés. La Nagra a rejeté cette idée: les trois lieux présentent des couches d’argile à Opalinus en profondeur. Et c’est là que le champ de ce matériau géologiquement résistant est le plus grand et le plus éloigné de l’eau. «La géologie a parlé».

«Ici, on a fait fi de la démocratie», estime Werner Ebnöther. Cet informaticien à la retraite fait partie des opposants et opposantes au projet. Il rappelle qu’un premier forage d’essai avait déjà eu lieu dans les années 1980. Lors de la votation populaire non contraignante de l’époque, 104 habitants et habitantes étaient contre – deux étaient pour.

Ein alter Mann vor dem Standort für ein Atomendlager, in Haberstal, Schweiz.
Werner Ebnöther est opposé à la construction de ce dépôt en profondeur. Mais il s’attend à ce qu’il soit construit de toute façon, indépendamment du fait qu’il y ait ou non une votation populaire nationale sur le sujet. swissinfo.ch

La région a longtemps cru s’en être tirée: pendant des décennies, la Nagra a planifié la construction d’un dépôt final en Suisse centrale. Après qu’une majorité s’y soit opposée lors de deux votations, le Conseil fédéral a supprimé le veto cantonal de la loi.

Dans une dizaine d’années, les Suisses et Suissesses pourraient certes voter, mais dans tout le pays. Werner Ebnöther est certain que toutes les autres régions seront contentes que le site n’arrive pas «devant leur porte». La réalisation de ce projet ne semble donc faire aucun doute.

Werner Ebnöther fait confiance à la Nagra, «mais pas à 100%». C’est pourquoi il veut continuer à participer de manière critique au groupe d’accompagnement et garder un œil sur la sécurité, ainsi que sur les nouvelles technologies, par exemple pour la transformation des déchets radioactifs. «Nous le devons aux générations futures». Au sein du groupe, l’alliance des opposants et opposantes a toujours fait passer des propositions, avant même la décision quant à l’emplacement du site.

Au musée des mammouths, quelques kilomètres plus loin, Andrea Weber marche sur les âges de la Terre marqués au sol. Elle est coresponsable du département Sécurité au sein du groupe d’accompagnement. Elle insiste également sur la responsabilité qu’implique un tel projet. «100’000 ans, personne ne peut se l’imaginer. À titre de comparaison, nos dents de mammouth n’ont que 45’000 ans».

Lorsqu’elle a entendu pour la première fois que le dépôt final pourrait voir le jour dans la région, elle l’a pris de manière «pragmatique», sans être sur la défensive. Mais elle a aussi immédiatement réalisé: «Nous devons demander, demander, demander». Le questionnement fait partie de la responsabilité, selon elle. Le groupe d’accompagnement, qui existe depuis une dizaine d’années, réunit les membres des autorités ainsi que les représentants et représentantes de la population. Ils et elles discutent, s’informent et développent des scénarios avec l’aide de spécialistes. Cet organe devrait continuer à exister — et il est même possible que l’intérêt pour la collaboration augmente.

Avant la décision définitive, l’intérêt de la population était faible. Lors d’un sondage représentatif réalisé en 2018, seuls 8% des habitants et habitantes du nord des Lägern ont indiqué qu’un éventuel dépôt final dans la région les «touchait beaucoup».

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Modéré par: Benjamin von Wyl

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Personne n’en veut dans son jardin, et pourtant, il faut bien mettre les déchets atomiques quelque part.

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«Dès le début, la population de la région était moins réfractaire que celle d’autres endroits», explique le président de la commune Dieter Schaltegger. «Nous faisons confiance aux spécialistes qui affirment que la décision a été prise pour des raisons géologiques», poursuit-il. Quant à l’éventualité d’une votation populaire à l’échelle nationale qui stopperait la construction dans dix ans, il estime «qu’elle ne pourrait que retarder les choses et ainsi reporter la responsabilité de nos déchets sur la prochaine génération». Dieter Schaltegger souhaite ne pas enjoliver les choses, prendre en compte les critiques et accompagner la demande d’un œil attentif.

Et peut-être qu’un jour, les gens du nord des Lägern penseront comme à Östhammar.

(Traduit de l’allemand par Lucie Donzé)

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