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La polémique enfle après des accusations de «dictature» dans la gestion de la pandémie

Voilà à quoi ressemble une dictature: la police biélorusse frappe des manifestants qui défilent à Minsk contre le maintien au pouvoir du président Alexander Lukashenko. Copyright 2020 The Associated Press. All Rights Reserved

L’UDC, plus grand parti de Suisse, accuse depuis quelques semaines le gouvernement d’avoir viré en «dictature» dans sa gestion de la pandémie. Une rhétorique qui peut étonner les lectrices et les lecteurs à l’étranger, mais qui peut facilement s’expliquer par le contexte politique. Analyse.

Mécontente des mesures prises par le gouvernement suisse pour réduire la transmission du coronavirus, l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice) monte au front depuis quelques semaines. Le plus grand parti du pays accuse le Conseil fédéral, et plus particulièrement le ministre socialiste de la Santé Alain Berset, d’avoir un comportement dictatorial.

Cette rhétorique est l’équivalent helvétique de l’affirmation sans cesse répétée par Donald Trump: «l’élection a été truquée». Ces deux déclarations ne reposent sur aucun fait avéré, mais font partie de manœuvres politiques.

En Suisse, l’objectif de l’UDC est d’affaiblir le fonctionnement général du gouvernement. Et pas uniquement dans son rôle de gestion de la pandémie, qui a fait presque 10’000 morts dans le pays.

Petit retour en arrière: le 16 mars 2020, le Conseil fédéral qualifie la situation en Suisse d’«extraordinaire» en vertu de la loi sur les épidémies. Cette législation peut être activée en cas de crise sanitaire et donne au gouvernement les pleins pouvoirs afin d’imposer des mesures destinées à protéger la population.

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Modéré par: Renat Kuenzi

L’UDC va-t-elle trop loin en accusant le gouvernement suisse de «dictature» dans sa gestion de la pandémie?

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Tempo vs. Virus

Comme la rapidité est un facteur décisif dans une telle situation, la loi permet au gouvernement de prendre exceptionnellement des décisions sans les soumettre d’abord au vote du Parlement.

Le terme «dictature» apparaît très rapidement dans les rangs UDC: le 9 avril 2020, l’ancien président du parti et ex-conseiller fédéral Christoph Blocher affirme sur son site internet que ce «pouvoir incroyable» relève de «la dictature».

Dix mois plus tard, le 12 février 2021, Christoph Blocher s’en prend plus précisément au ministre socialiste (PS, gauche) de la Santé, Alain Berset, en l’accusant d’être «un dictateur».

Le même jour, la fille de l’ancien conseiller fédéral et élue UDC à la Chambre basse du Parlement, Magdalena Martullo-Blocher, déclare dans une interview au quotidien zurichois NZZ: «La Confédération a instauré une dictature et court-circuité la démocratie».

Le 24 février 2021, c’est au tour du nouveau président de l’UDC Marco Chiesa, en fonction depuis six mois, de prendre le relais. Dans le journal Tages-Anzeiger, il accuse le Conseil fédéral d’exercer une «autocratie» dans le cadre de sa gestion de la pandémie et de gouverner de façon «arbitraire». Celui qui est également élu UDC à la Chambre haute du Parlement dénonce lui aussi une «dictature».

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Double jeu

La rhétorique du parti s’aligne sur celle de son ancien mentor, Christoph Blocher, qui exerce toujours une influence majeure à plus de 80 ans.

Mais ces attaques signifient-elles que le fonctionnement démocratique suisse est en danger?

Non. La liberté d’expression dont jouissent les membres de l’UDC en est la preuve.

Quiconque affirmant que la Suisse est une dictature minimise les véritables dictatures, a soutenu le président du parti du Centre, Gerhard Pfister, à la télévision suisse alémanique SRF.

État d’urgence

Oui, le gouvernement s’est attribué les pleins pouvoirs le 16 mars 2020 en prononçant l’état d’urgence sanitaire. Le Parlement ainsi que les droits fondamentaux ont été mis en mode pause, y compris la participation démocratique.

Cette situation extraordinaire est le cas le plus extrême prévu par la démocratie suisse, car elle implique la suspension des mécanismes de contrôle, de la séparation des pouvoirs, du fédéralisme ainsi que des libertés économiques et de réunion.

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Deux mois de régime d’exception

La situation extraordinaire prononcée par le Conseil fédéral n’a toutefois duré que deux mois. Le gouvernement a ensuite décidé de lui-même de renoncer aux pleins pouvoirs. Le Parlement a pu se réunir en mai 2020, débattre des décisions prises en urgence par l’exécutif et ancrer les mesures dans le droit commun.

Depuis, les cantons et les deux Chambres fédérales ont leur mot à dire. Toutes les instances ont retrouvé leur place dans le processus décisionnel, y compris au sujet des mesures prises pour lutter contre la pandémie.

La loi sur les épidémies est-elle une porte d’entrée vers la dictature?

Théoriquement, oui. Car le gouvernement pourrait décider de maintenir durablement la situation extraordinaire et conserver ainsi les pleins pouvoirs.

Toutefois, la loi sur les épidémies elle-même a fait l’objet d’un processus démocratique: elle a été adoptée par le Parlement en 2003, combattue par référendum puis acceptée par le peuple en 2013.

Au lieu de dénoncer une «dictature», l’UDC pourrait agir au niveau du Parlement pour exiger une révision de la loi. D’autant que le parti possède le plus grand groupe parlementaire à la Chambre basse ainsi que deux ministres sur les sept que compte le gouvernement.

Il faut distinguer les discussions sur la proportionnalité des mesures contre le coronavirus des affirmations populistes lancées sans fondement: les premières font partie des bases d’une saine démocratie alors que les secondes menacent le fonctionnement même du système démocratique.

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Pour quelles raisons cette accusation de «dictature» revient-elle à l’ordre du jour?

Le moment choisi n’est pas une coïncidence. La confiance dans le gouvernement s’est érodée avec la mauvaise gestion de la deuxième vague de la pandémie. De plus, une certaine fatigue se fait sentir au sein de la population face aux restrictions en place pour limiter la propagation du virus. Les critiques et les actes de résistance sont plus fréquents.

À la mi-février, près de 300’000 personnes ont signé des pétitions demandant la réouverture immédiate des magasins et des restaurants.

Le pays, qui s’était rassemblé derrière le Conseil fédéral lors de la première vague, semble désormais profondément divisé. L’UDC veut profiter de cette situation pour rallier les électeurs qui se montrent sceptiques envers les mesures gouvernementales. Et ceux-ci sont de plus en plus nombreux…

Les reproches envers une soi-disant «dictature» doivent-ils être pris au sérieux?

Cette polémique pourrait avoir un impact, car l’UDC joue avec le feu: dans une Suisse très hétérogène avec 26 cantons et cultures différentes, la confiance des citoyens dans les institutions est le ciment qui unit l’ensemble du pays.

Lors des votations populaires fédérales qui ont lieu quatre fois par an, la position du gouvernement obtient généralement le soutien des citoyens. Mais si les défaites devaient s’accumuler dans les urnes, le pays pourrait devenir ingouvernable. Et la remarquable stabilité de la Suisse serait alors menacée.

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