La Suisse peut-elle contribuer à revitaliser la Conférence du désarmement?
La Suisse assume dès cette semaine la présidence de la Conférence des Nations Unies sur le désarmement (CD), principale instance multilatérale mondiale pour le désarmement, dans l'impasse depuis deux décennies. Le petit Etat non nucléaire peut-il s'appuyer sur un nouvel élan et dynamiser ce forum paralysé?
Par un après-midi d’hiver frais à Genève, les hautes fenêtres de la salle du Conseil au Palais des Nations diffuse une lumière pâle. Dans l’imposante salle de conférence, des diplomates de 65 pays, dont les principales puissances nucléaires, assument un visage grave en écoutant les discours. D’immenses figures en or et sépia représentant le progrès de l’homme, la solidarité et la paix – des fresques murales peintes par l’artiste catalan José Maria Sert en 1936, surplombent l’assistance.
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La salle était à l’époque le siège du Conseil de la Société des Nations, le prédécesseur du Conseil de sécurité des Nations Unies. C’est ici que des négociations ont eu lieu pour mettre fin à la guerre du Golfe de 1991. Et depuis 1979, la Conférence du désarmement (CD) y tient ses réunions.
Toutefois, depuis l’adoption du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires en 1996, la Conférence du désarmement est bloquée. Les désaccords entre les Etats sur les questions de désarmement qui devraient être négociées et les liens entre ces questions ont empêché le forum d’adopter un programme de travail.
Optimisme de mise
Lundi, la Suisse entame la première de ses deux présidences de sessions de deux semaines en 2018, la dernière ayant eu lieu il y a 12 ans. Cette année témoigne d’un début de changement à la CD. Les 65 Etats membres parlent d’un «nouveau sentiment d’urgence» pour relancer le désarmement.
Sabrina Dallafior, ambassadrice de la Suisse auprès des Nations Unies en charge des questions de désarmement, semble optimiste. «Depuis l’ouverture de la session en janvier, nous observons une nouvelle dynamique», dit la représentante permanente de la Suisse à la Conférence du désarment.
Les compétences diplomatiques du président sri-lankais de la CD et l’empressement d’autres Etats ont permis une percée inattendue le 16 février, lorsqu’il a été convenu par consensus d’entreprendre des discussions sur la substance des sujets traités. Et ce en créant cinq groupes de travail pour déterminer les points de convergence des Etats sur les «questions essentielles». Il s’agit notamment du désarmement nucléaire, de l’interdiction de la production de matières fissiles, des garanties de sécurité négatives [les puissances nucléaires s’engagent à ne pas attaquer les Etats non nucléaires], de la prévention d’une course aux armements dans l’espace et des technologies d’armement émergentes.
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Sabrina Dallafior souligne l’importance de la décision de février: «Les 65 membres sont disposés à prendre des mesures pragmatiques et pratiques.»
C’est là un point sur lequel la Suisse compte s’appuyer. «Nous essayons d’accomplir un travail de fond sans lancer de véritables négociations, mais en préparant le terrain pour un tel développement. Nous laissons de côté les questions politiques pour devenir technique, pratique et pragmatique», explique l’ambassadrice.
Qui ajoute: «Nous cherchons également à déterminer s’il existe des instruments que nous n’avons pas encore examinés et qui mériteraient d’être négociés. Une fois cela fait, nous verrons si nous pouvons vraiment dissocier les différentes questions, s’il y a des pays qui ne parviendront pas à s’entendre pour aller de l’avant et si d’autres discussions sont nécessaires.»
Attentes modestes
Les observateurs du désarmement basés à Genève semblent toutefois sceptiques.
«Selon moi, nous devrions supprimer cet organe et recommencer à zéro. Mais pour certains Etats, elle joue un rôle important et ils veulent qu’elle fonctionne»
Richard Lennane, Geneva Disarmament Platform
Richard Lennane, responsable de l’ONG Geneva Disarmament Platform, estime que la Suisse est bien placée avec sa réputation de «bâtisseur de ponts avec une voix calme», mais qu’il ne serait pas facile de surmonter les blocages: «Nous avons vu des idées similaires au cours des 20 dernières années pour donner l’impression que le CD est en train de faire quelque chose, mais cela s’est traduit en un énième salon de bavardage avec peut-être des chaises aménagées différemment dans la salle. Selon moi, nous devrions supprimer cet organe et recommencer à zéro. Mais pour certains Etats, elle joue un rôle important et ils veulent qu’elle fonctionne.»
Marc Finaud, expert en désarmement au Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP), convient que la Suisse pourrait utiliser son savoir-faire diplomatique traditionnel et son poids pour rapprocher les positions sur des questions telles que l’interdiction des matières fissiles ou les garanties de non-attaque des Etats nucléaires. Mais la question plus large du désarmement nucléaire est beaucoup plus difficile. Il rappelle au passage que la Suisse hésite à signer le Traité d’interdiction des armes nucléaires.
En général, la communauté du désarmement à Genève n’a que des attentes «modestes» à l’égard de la Conférence du désarmement, note également l’expert:
«De nombreux sceptiques craignent que rien ne change de façon substantielle parce que les décisions procédurales ne peuvent surmonter la réalité des différents entre Etats. Les Etats dotés d’armes nucléaires sont déterminés à s’accrocher indéfiniment à leurs armes, alors que la majorité des pays sont déterminés à les interdire et à les éliminer le plus tôt possible. Il n’y a guère de place pour le compromis, a écritLien externe M. Finaud dans une analyse publiée sur le site du GCSP. On ne peut qu’espérer que des discussions honnêtes et sérieuses conduiront à un plus grand respect des accords passés de maîtrise des armements et ouvriront la voie à davantage de «mesures intérimaires sur la longue route vers un désarmement nucléaire complet.»
La réalité est qu’au cours des dernières années, tous les principaux accords de maîtrise des armements et de désarmement adoptés par la communauté internationale ont été négociés en dehors du cadre multilatéral et largement poussées par la société civile. Il s’agit notamment de la Convention d’Ottawa sur les mines antipersonnel, de la Convention sur les armes à sous-munitions, du Traité sur le commerce des armes et du Traité d’interdiction des armes nucléaires.
La nouvelle dynamique de la Conférence du désarmement est-elle une réaction à la signature, l’année dernière, du Traité d’interdiction des armes nucléaires et à l’attribution du prix Nobel de la paix à la Campagne internationale pour l’interdiction des armes nucléaires (ICAN), basée à Genève, se demande Marc Finaud.
Moment critique
De fait, la Suisse prend la présidence de la Conférence du désarmement à un moment critique. Reflétant les tensions mondiales, la Conférence du désarmement a été le théâtre de récents affrontements verbaux entre responsables américains, russes et nord-coréens au sujet des armes nucléaires et chimiques. Dans le même temps, les spéculations se sont multipliées à la suite de l’annonce surprise, ce mois-ci, d’un éventuel sommet bilatéral et de pourparlers nucléaires entre le président américain Donald Trump et Kim Jong Un de Corée du Nord.
«La quantité d’armes nucléaires a peut-être diminué, mais les capacités ont augmenté d’un point de vue qualitatif»
Sabrina Dallafior, ambassadrice de la Suisse auprès des Nations Unies
Parallèlement, le mois dernier, le Secrétaire général de l’ONU, M. Antonio Guterres, a exposé à la Conférence du désarmement ses plans en vue d’une nouvelle initiative mondiale de désarmement qui vise non seulement les armes nucléaires, chimiques et conventionnelles, mais aussi les armes autonomes et sans pilote, l’intelligence artificielle, la biotechnologie et les systèmes spatiaux. Il n’est pas clair quels aspects pourraient relever de la responsabilité de la Conférence du désarmement, le cas échéant. Son initiative a été saluée par le Ministre suisse des affaires étrangères, Ignazio Cassis, mais a suscité une réponse prudente de la part des représentants des puissances nucléaires.
L’Ambassadeur des Etats-Unis, M. Robert Wood, a déclaré que les diplomates devaient accepter que le désarmement nucléaire à court terme n’était pas réaliste. Plus tôt ce mois-ci, les Etats-Unis ont publié leur «examen de la posture nucléaire», qui justifiait l’expansion de leur capacité nucléaire à «faible rendement» en affirmant qu’elle découragerait la Russie de développer des armes nucléaires tactiques.
En examinant la situation dans son ensemble, Sabrina Dallafior a déclaré que la Suisse était très préoccupée par la tendance perçue à privilégier l’armement nucléaire plutôt que le désarmement: «La quantité d’armes nucléaires a peut-être diminué, mais les capacités ont augmenté d’un point de vue qualitatif. Tous les « Etats nucléaires mettent en œuvre des programmes de modernisation. Nous sommes convaincus que nous ne parviendrons pas à faire avancer efficacement le désarmement nucléaire qu’en travaillant avec les Etats dotés de l’arme nucléaire et non en travaillant contre eux.»
Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand
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