Pourquoi la Suisse n’a pas (encore) signé le traité prohibant les armes nucléaires
La Suisse, comme de nombreux Etats, n’a pas signé et ratifié le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires adopté à l’ONU l’été dernier. Explications, alors que le parlement doit débattre de la question.
Directrice de la Campagne pour l’abolition des armes nucléaires (ICANLien externe), Beatrice Fihn l’a répétéLien externe ce samedi à la RTS: «Si la Suisse ne signe pas ce traité, on se posera des questions sur son statut de championne du droit humanitaire et du désarmement. Je pense que cela minerait sa crédibilité sur ce terrain-là.» Basée à Genève, l’ICAN a reçu le Prix Nobel de la paix 2017 pour son rôle moteur dans l’adoption du Traité sur l’interdiction des armes nucléaire censé renforcer l’article 6 du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNPLien externe, 1968).
Sera-t-elle suivie par le Parlement suisse? Le Conseil national, la chambre du peuple, doit en effet débattre prochainement de la question à la suite d’une motion Lien externedéposée par le député socialiste Carlo Sommaruga, qui invite le Conseil fédéral «à signer au plus vite le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires et à le soumettre sans tarder à la ratification du parlement.»
Qui possède combien d'armes nucléaires dans le monde ? On fait le point avec cette infographie #goodbyenukesLien externe pic.twitter.com/PCQZ7xDBV8Lien externe
— ICAN France (@ICAN_France) 2 février 2016Lien externe
Les doutes de Berne
Ambassadrice représentant la Suisse à la Conférence du désarmement, Sabrina Dallafior défend le sérieux de la position adoptée par Berne. «La Suisse a participé aux négociations et aux travaux préparatoires du traité. Nous avons approuvé le résultat des négociations le 7 juillet dernier car la Suisse partage le souhait d’arriver à un monde sans armes nucléaires et soutient la mention dans le traité de l’impact humanitaire catastrophique d’une utilisation de l’arme nucléaire.»
Mais il faudra attendre quelques mois pour savoir si Berne s’engage à signer et ratifier un tel accord. Comme le précise l’ambassadrice, «un groupe interdépartemental à Berne analyse le texte pour évaluer sa cohérence sur le plan juridique et son articulation par rapport au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), et si l’interdiction est la meilleure méthode pour parvenir au désarment nucléaire. »
Le gouvernement, en effet, ne cache pas un certain scepticisme face à cet accord: «Nous ne sommes pas sûrs que ce traité soit réellement un pas vers l’élimination des armes nucléaires, puisque les pays possédant la bombe atomique n’en font pas partie, alors que nous sommes convaincus qu’ils doivent être impliqués, eux et leurs alliés. Ce traité ne devrait pas être contre eux mais avec eux», insiste Sabrina Dallafiore.
Une argumentation qui n’ébranle pas Beatrice Fihn: «Le désarmement est quelque chose qui se fait sur le long terme. Nous allons pouvoir interdire et éliminer toutes les armes nucléaires. La seule question qui se pose est la suivante: va-t-on le faire maintenant ou après les avoir utilisées?», interroge l’activiste, dans le même entretien à la RTS.
Compromis difficile
Conseiller au Geneva centre for security policy (GCPS), Marc FinaudLien externe, lui, souligne les difficultés de la position suisse: «Berne veut étudier toutes les implications du traité. C’est logique et juridiquement justifié. Mais ce que la Suisse espère faire – combler le fossé entre les opposants et les partisans du traité – ressemble à la quadrature du cercle. Vous en êtes ou pas. Il n’y a pratiquement pas de compromis possible.»
Comme l’explique ce spécialiste de la prolifération des armes au GCSPLien externe, «les États qui possèdent des armes nucléaires et ceux qu’ils protègent en vertu d’accords bilatéraux comptent toujours sur ces armes. Ils ne veulent pas qu’elles soient qualifiées d’illégales ou illégitimes, car cela remettrait en question leur accords de défense. Mais la grande majorité des pays du monde sont derrière ce texte (122 ont adopté le traité, 57 l’ont signé et 5 l’ont ratifié pour l’heure). C’est donc une tendance croissante et une norme qui existera. Et c’est là que tous les pays devront faire un choix. Pour la Suisse, il sera difficile de maintenir une position de compromis.»
De fait, le traité manifeste un début de prise de conscience face aux menaces renouvelées posées par les bombes atomiques.
Menaces multiples
Car le risque reste très palpable en Corée du Nord. Ce même si l’annonce spectaculaire d’une possible rencontre entre l’Américain Donald Trump et le Nord-Coréen Kim Jong-Un qui se déclare prêt à négocier la dénucléarisation de la péninsule coréenne a fait un peu baisser la tension.
Reste un fait. La Corée du Nord est désormais considérée comme une nouvelle puissance nucléaire, s’ajoutant aux 8 pays détenteurs d’armes nucléaires (France, Royaume-Uni, Russie, Etats-Unis, Chine, Israël, Inde et Pakistan).
Le risque de prolifération est donc loin d’être écarté, d’autant que le président des Etats-Unis menace toujours de faire dérailler l’accord international sur le nucléaire iranien qui vise justement à éviter que Téhéran ne devienne une autre puissance nucléaire.
Risque d’érosion des traités existants
Et ce n’est là qu’une partie de la menace posée par l’armement nucléaire. «Cela fait plusieurs années que la Suisse observe avec beaucoup d’inquiétude la tendance vers l’armement plutôt que le désarmement. Bien que la quantité d’armes nucléaires ait diminué, des efforts conséquents portent sur leur développement qualitatif. Tous les pays possédant l’arme nucléaire ont des programmes de modernisation», relève Sabrina Dallafior.
Une inquiétude partagée par António Guterres. Lors d’une séance, le 18 janvier dernier, du Conseil de sécurité consacrée à la non-prolifération des armes de destruction massive, le Secrétaire général de l’ONU l’a soulignéLien externe avec force: «Les inquiétudes dans le monde au sujet des armes nucléaires ont atteint leur plus haut niveau depuis la guerre froide. Cela dans un contexte d’augmentation des budgets militaires et de suraccumulation d’arme.» Un croissance du commerce des armes documentée dans le dernier rapport Lien externedu SIPRI.
Le Portugais pointe en particulier Washington et Moscou: «La confiance concernant la question du nucléaire et d’autres questions entre les États-Unis et la Fédération de Russie continue de faiblir. Les mesures vitales de réduction des armements stratégiques prises pendant et après la guerre froide sont menacées. Il semble qu’il n’y a plus d’intérêt à négocier de nouveaux traités de réduction de l’arsenal nucléaire après l’expiration du Traité sur des mesures visant de nouvelles réductions et limitations des armements stratégiques offensifs, en 2021.»
Conférence du #désarmementLien externe à #GenèveLien externe: « Nous devons prévenir une nouvelle course aux armements nucléaires. Il ne nous faut pas plus d’armes; il nous faut plus de dialogue. » https://t.co/xcjwZuvybvLien externe @UNGenevaLien externe @Geneve_intLien externe pic.twitter.com/NVODBVpPidLien externe
— Ignazio Cassis (@ignaziocassis) 26 février 2018Lien externe
Le réveil de la Conférence du désarmement
Pertinent ou non, le Traité prohibant les armes nucléaires est donc loin d’être la seule réponse pour faire face à la menace nucléaire. Et à GenèveLien externe, la Conférence du désarmement (CDLien externe), qui s’est mise d’accord sur une nouvelle méthode de travail après 20 ans de paralysie, peut en apporter d’autres, si la volonté d’avancer manifestée par ses membres se confirme.
«Je constate que cette décision a été prise par consensus, ce qui semblait impossible auparavant à la CD. Cela concerne le nucléaire, mais aussi les autres développements dans l’industrie de l’armement. Le désarmement est un tout», relève Sabrina Dallafior.
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