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Le rôle méconnu de la Suisse dans la crise des otages américains en Iran

Daniel Warner, politologue helvético-américain

Un documentaire suisse présenté au récent Festival du film de Soleure décrit la manière dont les diplomates suisses se sont retrouvés au centre d'une crise géopolitique il y a 40 ans – et comment ils ont contribué à la conclusion d'un accord. Le regard du politologue Daniel Warner.

Aucune célébration ne marquera le 40e anniversaire de la crise des otages en Iran. Du 4 novembre 1979 au 20 janvier 1981, 52 diplomates et citoyens américains ont été retenus en otages à l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran.

Les 444 jours de captivité ont été les plus longs de l’histoire pour ce type d’otages et ont marqué le début de relations hostiles entre les Etats-Unis et l’Iran. L’intrusion de 400 étudiants et révolutionnaires iraniens dans l’ambassade a constitué un tournant dans la politique du Moyen-Orient, ainsi que la cause probable de la défaite de Jimmy Carter à l’élection présidentielle de 1980.

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Daniel Warner est un politologue suisse et américain. Il a notamment enseigné à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève (HEID). Courtesy

Y a-t-il quelque chose à célébrer à propos de cette crise? Si le mot célébrer est trop fort, il y a certainement lieu de reconnaître au moins les efforts diplomatiques exceptionnels déployés par le ministère suisse des Affaires étrangères (DFAE) et son ambassadeur à Téhéran, Erik Lang, tout comme ses collègues, Flavio Meroni, Pascal Décosterd et Franz Muheim, en vue de la résolution du conflit.

Agissant en tant qu’intermédiaires entre les deux parties, Erik Lang et ses collègues ont été en mesure de négocier un accord, avec l’aide de l’Algérie, afin de libérer les diplomates et les citoyens sans perte humaine, à l’exception de huit Américains tués au cours d’une tentative de sauvetage infructueuse.

«Erik Lang n’a jamais été honoré de tous ses efforts pour libérer les otages», déclarait il y a plus de 10 ans un ambassadeur à la retraite, lors d’une cérémonie à la mémoire du défunt secrétaire d’Etat suisse et médiateur auprès des Nations Unies, Edouard BrunnerLien externe.

Une reconnaissance de Lang et de ses collègues qui a lieu aujourd’hui au travers d’un documentaire. Le réalisateur Daniel Wyss a présenté son film intitulé «AmbassadeLien externe» au FestivalLien externe du film de Soleure qui s’est tenu fin janvier. Centré sur la résolution de la crise et le rôle de la Suisse, le film mêle des interviews principalement avec des participants suisses et américains et des images d’actualité des 444 jours de prise d’otages pour montrer les tensions entre la foule en colère qui a pris le contrôle de l’ambassade et les défis posés aux négociations pour les diplomates suisses qui ont servi de «puissance protectrice».

«Le film m’a enchanté, m’a déclaré Erik Lang au téléphone. Ce film montre exactement ce que nous avons vécu pendant la Révolution.»

Puissance protectrice

Qu’est-ce qu’une «puissance protectrice»? Le rôle de la puissance protectrice est défini dans la Convention de VienneLien externe de 1961 sur les relations diplomatiques. L’article 45 c) précise: «L’Etat accréditant peut confier la protection de ses intérêts et de ceux de ses ressortissants à un Etat tiers acceptable pour l’Etat accréditaire.»

Pourquoi la Suisse a-t-elle été choisie? Le rôle de la Suisse en tant que puissance protectrice est historique et repose sur sa neutralité formelle. La Suisse était une puissance protectrice pendant la guerre franco-prussienne de 1870-1871 et a continué de l’être pendant les deux guerres mondiales. La Suisse a représenté 35 pays durant la Seconde Guerre mondiale avec plus de 200 mandats spécifiques. Le plus éminent des médiateurs fut Walter Stucki, qui représentait plus de 20 Etats sous le gouvernement de Vichy en France entre 1940 et 1944. Entre 1946 et 1964, la Suisse avait 46 mandats. La Confédération représente aussi les intérêts des Etats-Unis à Cuba depuis 1961 ainsi que ceux de Cuba aux Etats-Unis depuis 1991.

«Le choix de la Suisse était conforme à la politique de neutralité de la Suisse, mais également au fait que nous avons acquis un savoir-faire dans ce domaine délicat», souligne Erik Lang.

Par conséquent, sans surprise, Washington demanda de l’aide à Berne en novembre 1979, pour ses relations consulaires et diplomatiques avec l’Iran, le Conseil fédéral acceptant la mission. A partir de ce moment, comme en témoigne le film, les diplomates suisses étaient responsables du bien-être des otages. Dans des interviews et des scènes touchantes, le documentaire montre la joie des otages libérés et le soulagement des diplomates. Une réunion à Montreux en octobre 2018 des Suisses impliqués présente les affinités des participants pour les négociations diplomatiques intenses – un «moment de grande émotion» selon Erik Lang.

Reunion scene from Ambassade
Une scène du documentaire avec (depuis la gauche) Erik Lang, Pascal Décosterd et Flavio Meroni. Climage

Un nouveau rôle pour la Suisse?

Pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour que se réalise un tel film? L’absence d’intérêt pour le rôle de la Suisse est peut-être typique de sa discrétion. La prise d’otages est une violation grave du droit international, un moment de choc émotionnel qui a défié toutes les règles diplomatiques. Après tout, une ambassade est la propriété de son pays et non du pays hôte.

A la demande de l’ancien secrétaire d’Etat Henry Kissinger et du président de la Chase Manhattan Bank, David Rockefeller, les Etats-Unis ont accueilli le shah d’Iran en exil le 29 octobre 1979 pour y être soigné. Le sentiment anti-américain s’est dès lors intensifié en Iran, avec des manifestations dans les rues. L’occupation de l’ambassade était imprévue et constituait une catastrophe diplomatique. Bien que les Suisses aient pu sortir de l’impasse, rien ne justifiait une publicité de ces efforts face aux tensions persistantes entre la République islamique d’Iran et les Etats-Unis.

Fait intéressant, Daniel Wyss a expliqué dans une interview après une projection à Soleure qu’au fond de son esprit, le moment était venu pour un tel film puisque les tensions entre les Etats-Unis et l’Iran se préparaient à une nouvelle crise. Le rôle historique de la Suisse peut être répété.

Ramifications

Pour ceux qui recherchent plus de théâtre que ce documentaire, le thriller de Ben Affleck, «Argo» (2012), qui a remporté trois Oscars, représente une autre facette de cette prise d’otages. Glorifiant le rôle de la CIA en aidant six diplomates américains à échapper à l’Iran pendant la crise, le film a été critiqué pour ses inexactitudes historiques, mais a connu un succès au box-office.

Contenu externe

Comme le dit Daniel Wyss: «Nous devons nous rappeler que [le sauvetage] a impliqué six Américains, alors que la crise qui a duré 444 jours touchait 52 otages. Ambassade est probablement moins spectaculaire, mais l’histoire qu’elle raconte a des ramifications qui perdurent jusqu’à ce jour.»

Daniel Wyss a également noté qu’«Argo» était le vrai nom du pseudo film utilisé par les agents comme couverture pour prendre les six otages. Le nom de l’avion de Swissair sur lequel l’agent de la CIA et les otages étaient partis s’appelait «Argovie», le nom d’un canton suisse.

«Ambassade» sera diffusée le 10 février sur RTS2 à 21h05.Lien externe

Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand

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