De nouvelles mesures contre le terrorisme inquiètent les ONG
Le gouvernement suisse veut se doter de nouveaux outils pour prévenir le terrorisme. Il soumet au Parlement une loi qui permet de mieux surveiller les suspects et de limiter leurs mouvements. Des mesures qui pourraient conduire à toute une série de dérives, dénoncent plusieurs organisations.
Les «terroristes potentiels» pourraient à l’avenir être davantage surveillés et limités dans leurs déplacements. Le gouvernement suisse veut améliorer la préventionLien externe des actes terroristes en donnant de nouveaux outils à la police, afin de lui permettre de «traiter le phénomène de radicalisation dans toute sa complexité» et de mieux protéger la population.
Pour pouvoir agir lors des premiers signes naissants de radicalisation, le Conseil fédéral a élaboré une loiLien externe qui édicte toute une série de mesures policières applicables en dehors de la procédure pénale. La police fédérale (fedpolLien externe) pourrait par exemple obliger une personne à se présenter régulièrement auprès d’un office, lui interdire d’avoir des contacts avec certains individus, l’obliger à rester dans un périmètre défini, lui interdire de quitter le territoire suisse ou l’assigner à son domicile. Les policiers auraient aussi la possibilité d’utiliser la surveillance électronique et la localisation par téléphonie mobile.
Mineurs aussi concernés
Cette série de dispositions préventives inquiète vivement la Plateforme des organisations non gouvernementalesLien externe (ONG) actives en Suisse dans la défense des droits humains. «Ces mesures nous semblent disproportionnées, car elles sont très restrictives et prises sur la base de simples soupçons, relève Alain Bovard, chargé de plaidoyer à la section suisse d’Amnesty International. De plus, elles pourraient être appliquées à des mineurs, ce qui est contraire à la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant.»
La loi prévoit effectivement que l’interdiction de contact et l’obligation de rester dans un périmètre pourraient être prononcées dès l’âge de 12 ans, l’assignation à domicile dès l’âge de 15 ans. Ce qui risque d’entraîner la stigmatisation, voire la criminalisation, des jeunes sans qu’ils n’aient été coupables d’une infraction pénale, s’inquiètent les ONG.
Le gouvernement reconnaît que son projet «s’accompagne de restrictions parfois considérables des droits fondamentaux et des droits de l’homme garantis par la Constitution mais aussi par le droit international public. Aussi est-il accordé une attention particulière aux principes de proportionnalité et de légalité.»
Pas de liste des organisations terroristes
Le Conseil fédéral a également décidé de modifier certaines lois dans le cadre de la mise en œuvreLien externe de la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme. Il renonce notamment à dresser une liste des organisations qu’il reconnaît comme terroristes au profit d’une simple définition: «qui poursuit le but de commettre des actes de violence criminels visant à intimider une population ou à contraindre un État ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque».
Trop vague, estime Alain Bovard: «Le Conseil fédéral veut interdire certaines activités, mais sans préciser lesquelles. Cela laisse énormément de pouvoir d’appréciation aux juges cantonaux: une organisation pourrait donc être reconnue comme terroriste dans un canton et pas dans un autre.»
Risque pour les acteurs humanitaires
Le nouveau projet prévoit de punir les individus qui participent à des organisations terroristes, mais également ceux qui les soutiennent, une disposition qui pourrait pénaliser les acteurs humanitaires sur le terrain. «L’interdiction d’activités de soutien à des organisations désignées comme terroristes pourrait aboutir à la criminalisation des activités usuelles des organismes humanitaires impartiaux et de leur personnel», indique le Comité international de la Croix-Rouge (CICRLien externe) dans sa prise de position lors de la consultation.
La Plateforme des ONG suisses pour les droits humains demande au Parlement de renvoyer le projet au gouvernement pour qu’il le corrige. Si le renvoi devait être rejeté, elle exhorte les nouveaux élus à supprimer au moins la disposition la plus restrictive sur l’assignation à résidence et à exclure les mineurs de ces mesures policières. «Ces changements législatifs peuvent mener à toute une série de dérives, car les notions sont floues et laissent trop de place à l’interprétation. De plus, on reste dans le domaine de la suspicion», conclut Alain Bovard.
L’appel des ONG a peut-être été entendu: le Conseil des États a renvoyé lundi soir les deux projets en commission pour clarifier certains aspects juridiques, notamment en lien avec la coopération internationale.
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