La crise des réfugiés donne des ailes à la droite conservatrice
Qu’ils soient étonnés ou convenus, les commentaires de la presse suisse en ce lendemain d’élections législatives soulignent tous la forte poussée de l’UDC (droite conservatrice). Et tous s’accordent à dire que la crise des réfugiés a beaucoup aidé le parti qui a fait de la lutte contre l’immigration et contre l’intégration européenne son fonds de commerce.
Plutôt surpris, le «Tages-Anzeiger» juge le résultat de l’UDC «d’autant plus remarquable qu’il survient une année après le succès de son initiative sur l’immigration de masse». Comme si la situation pour le moins imprévisible dans laquelle l’UDC a ainsi plongé la Suisse n’avait rien enlevé à son attractivité. «Quand un parti joue ainsi l’avenir du pays à quitte ou double sans être sanctionné dans les urnes, il peut en principe faire ou laisser faire ce qu’il veut, ses adeptes suivront», note le quotidien zurichois.
Un parti qui «présente un curieux mélange, à la fois nationaliste et conservateur, rebelle et imprégné d’idéologie libérale-agrarienne, mais qui parle aussi aux intellectuels urbains, avec des gens comme Roger Köppel» (rédacteur en chef de la très droitière «Weltwoche»). «Tant qu’elle peut pointer des problèmes comme le fait un parti d’opposition, mais n’a pas besoin de les résoudre, l’UDC continuera à avoir du succès», prédit le «Tages-Anzeiger».
Le «St. Galler Tagblatt» a lui aussi l’air de se frotter les yeux face au succès d’un parti qui «dans sa campagne, s’est largement foutu du contenu, préférant se profiler avec des vidéos clinquantes mais vides de sens sur YouTube et capitaliser comme d’habitude la phobie de l’étranger, au grand dam de plusieurs des siens, qui auraient pourtant eu quelque chose à dire sur des problèmes plus importants pour le pays».
Retour à la normale
Pas vraiment surprise du résultat, la «Neue Zürcher Zeitung» y voit quant à elle un «retour à la normalité» «Quand le peuple pense différemment qu’une grande partie du Parlement, des corrections deviennent inéluctables».
Pour autant, le quotidien zurichois proche des milieux économiques refuse de parler de «glissement à droite»: «Un gain de quelques pourcents n’est pas un glissement de terrain, même s’il peut en avoir l’air dans un système politique comme celui de la Suisse où les grands bouleversements sont si rares».
Mais surtout, «choisir ce terme, c’est insinuer qu’il existerait un bloc homogène à droite, alors qu’il y a en réalité deux partis qui sur les questions centrales ont des vues divergentes». Ainsi, poursuit la NZZ, «le ‘glissement à droite’ appartient, comme le ‘chaos de l’asile’, au vocabulaire de la peur, dont les partis aiment à se servir en période électorale. Mais leur répétition incessante ne les rend pas plus réels».
Le «Blick» lui aussi voit dans le verdict de ce dimanche un «retour à l’ordre traditionnel». «Le peuple veut des solutions pragmatiques pour contenir les flux de réfugiés, soit une mise en œuvre ferme de la loi sur l’asile. Et c’est à l’UDC qu’un électeur sur trois fait confiance pour les mettre en pratique».
Mais l’UDC devra aussi compter avec l’autre vainqueur et composer mieux avec les libéraux-radicaux du PLR. Car, poursuit le tabloïd alémanique, «même un parti à 30% ne peut pas mettre sa politique en œuvre tout seul. Et c’est un bon signe pour la Suisse».
La parenthèse de 2011 refermée?
«En 2011, la catastrophe de Fukushima a fait – en partie – le résultat des élections fédérales suisses, en propulsant les écologistes. En 2015, la crise migratoire a rendu l’UDC plus forte que jamais. Ainsi résumée, l’élection de dimanche peut donner l’impression que les affaires internationales font recette et donnent le ton dans les urnes», analyse «Le Temps».
Mais ce serait oublier, rappelle le quotidien romand, «que ce rendez-vous n’est au final que la juxtaposition de 26 élections cantonales. Le corps électoral veut élire des représentants capables de prendre en main les conséquences locales des grandes crises du monde. Les images de migrants qui affluent vers le Vieux Continent ont beau venir de Munich ou de Calais, des Suisses craignent de se faire envahir. L’UDC a profité à plein de cette peur, quand bien même le parti s’est montré discret sur le sujet ces dernières semaines. Une bonne partie des votants n’ont pas eu besoin qu’on leur sonne la corne pour trouver le chemin du repli sur soi».
«24 heures» tire également le parallèle avec l’élection de 2011, dont il se demande aujourd’hui si elle fut un «accident de parcours? Le ‘nouveau centre’ avait barré la progression de l’UDC, et fait croire à une ère inédite de la politique suisse. Elle n’aura pas duré plus d’une législature. Dimanche, le retour de balancier a été musclé».
«Avec ce Rechtsrutsch (le glissement est plus marqué outre-Sarine) revient la perspective d’une législature plus polarisée, comme en 2003-2007. Aux compromis tissés ces dernières années, sur les retraites, l’énergie, les transports, la fiscalité, pourraient succéder des affrontements plus durs, et une nouvelle litanie d’initiatives et de référendums», prévoit le quotidien vaudois.
Une voix claire
Pour le «Corriere del Ticino», la victoire de l’UDC a été favorisée par «un contexte politique confus, dans lequel se mêlent les préoccupations sur l’immigration, les inconnues de la politique d’asile (avec une nouvelle loi qui n’est pas encore en vigueur, mais déjà contestée par un référendum de la même UDC), la méfiance envers une classe politique qui n’a pas encore présenté une proposition concrète de mise en œuvre de l’initiative sur la limitation de la main d’œuvre étrangère, l’attitude très prudente de Berne envers l’UE et la rigidité de celle-ci, qui refuse de négocier avec la Suisse».
Sans oublier, ajoute le quotidien de Lugano, «l’ostracisme manifesté depuis huit ans envers l’UDC par la majorité de centre-gauche au Palais fédéral».
Constat identique dans «Le Nouvelliste». «En période de fortes incertitudes, liées à une situation économique morose et face à une immigration jugée incontrôlable, l’électorat a tendance à choisir les partis qui prônent la fermeté, le repli identitaire et le contrôle des frontières. Nos voisins européens connaissent exactement la même situation».
«De plus, ajoute le quotidien valaisan, le discours monomaniaque et décomplexé, répété en boucle par l’UDC, sur la limitation drastique du nombre d’étrangers et le refus de l’Europe, ne peut qu’achever de convaincre toutes celles et tous ceux qui se noient dans le brouhaha, devenu à force inaudible, des autres formations politiques».
«La Suisse a choisi clairement sa voie, constate la «Südostschweiz». Elle veut continuer sur le chemin de l’isolationnisme, en faisant confiance à l’UDC. Ce parti a compris comme aucun autre les soucis et les besoins actuels de la population. Mais quant à savoir si ses promesses électorales et ses idées de solutions sont applicables, ceci est une autre histoire».
Dans le domaine de l’énergie par exemple, le quotidien grison tient pour «aussi sûr que l’on dit ‘amen’ à l’église» que le tournant voulu par le Conseil fédéral (et qui prévoit notamment la sortie du nucléaire) sera, avec le nouveau parlement «très fortement mis sous la pression des critiques».
«L’UDC atteint un score historique, le PLR fête un come-back remarquable», écrit pour sa part la «Basler Zeitung», qui défend la ligne de la droite conservatrice. Et d’ajouter une pique à l’intention des démocrates-chrétiens: «Le PDC doit bien réfléchir s’il veut survivre durant les dix prochaines années. Ce parti devra décider s’il retourne dans le camp bourgeois ou s’il veut continuer à agir en tant que simple exécutant du parti socialiste».
Retour à une «formule magique» au gouvernement?
Les éditorialistes évoquent aussi l’avenir de la ministre des Finances Eveline Widmer-Schlumpf, dissidente UDC, désormais bien fragile au vu des pertes du centre et de son propre parti, le PBD.
Pour la NZZ, le résultat de ces élections doit faciliter le respect «du droit légitime de l’UDC à un deuxième siège au gouvernement». «La question du maintien d’Eveline Widmer-Schlumpf se pose avec plus d’acuité que jamais. Pour l’instant, le discours des vainqueurs reste courtois, mais la pression promet de grandir sur la Grisonne. Sa légitimité ne tient plus qu’à un fil», avertit «24 heures». Pour «Le Temps», les jeux semblent faits: «L’UDC a pris suffisamment d’ascendant pour réclamer dès dimanche un second siège au Conseil fédéral, au détriment d’Eveline Widmer-Schlumpf».
Oui mais, «personne ne peut prétendre à l’exécutif s’il n’est pas prêt à se conformer au principe de la collégialité. En 2007, Christoph Blocher avait voulu et obtenu ce second portefeuille pour son parti, avant d’être violemment rejeté en 2011», rappelle le quotidien romand.
«Aujourd’hui, rien n’indique qu’un second membre de l’UDC au Conseil fédéral puisse résoudre l’équation complexe d’un parti incapable de gouverner avec les autres formations politiques, avertit «Le Temps». Si un UDC peut se battre pour les bilatérales, cruciales pour l’avenir du pays, alors oui, un deuxième siège peut revenir à ce parti. Mais personne à l’UDC ne semble être raisonnable à ce point».
Même constat pour le «St Galler Tagblat»: «Il est clair que la seule condition pour un second siège UDC au Conseil fédéral devrait être que le parti est prêt à gouverner sérieusement et collégialement».
L’heure du choix
S’agissant de l’élection du gouvernement le 9 décembre, «La Regione» souligne le choix difficile qui sera celui du PLR. «Si les libéraux-radicaux sont pour la défense des accords bilatéraux, comme le clament leurs principaux dirigeants, comment le parti pourra-t-il soutenir l’élection d’un second ministre UDC, soit d’un parti qui veut les dénoncer?»
«A moins que les relations avec l’UE ne deviennent une monnaie d’échange pour d’autres questions, comme les retraites, l’assurance maladie, l’environnement ou l’énergie. Le PLR a dans les mains un nœud bien emmêlé, qu’il lui faudra dénouer d’ici au matin du 9 décembre», avertit le quotidien de Bellinzone.
Mais avant cela, la décision reviendra d’abord à la principale intéressée, qui devrait annoncer prochainement si elle est candidate ou non à sa propre succession. Pour «La Liberté» de Fribourg, Eveline Widmer-Schlumpf, «légitimée par l’histoire, l’est aussi par son bilan. Mais comme toute ministre des Finances, elle sait compter. Elle aura donc constaté que sa marge de sécurité à l’Assemblée fédérale a fondu hier en vue de sa réélection. Il lui revient dès lors de décider si elle entend aller au combat, au risque d’échouer, ou s’il est temps pour elle de prendre sa retraite politique.
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