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«En France, les partis politiques font croire que l’écologie est un thème comme un autre»

S. Iuncker-Gomez
L'Hispano-Suisse Silvia Iuncker-Gomez vit en France et est membre du parti suisse Les Vert-es. Màd

Silvia Iuncker-Gomez est une Genevoise «verte» devenue frontalière. Élue municipale en France, elle regrette que l’écologie ne soit pas davantage considérée par la classe politique française.

«J’ai toujours aimé la politique, mais je m’intéresse surtout à la manière dont elle forme la vie citoyenne», déclare Silvia Iuncker-Gomez. Une envie d’agir concrètement qui a pris corps lorsqu’en 2020, lors des dernières élections municipales françaises, des amis lui ont proposé de figurer sur une liste de démocratie participative, sans casquette politique.

Silvia Iuncker-Gomez, 47 ans, vit depuis 2009 avec son mari et ses deux enfants en France, à une quinzaine de kilomètres de Genève. Elle est née dans la cité de Calvin de parents espagnols ayant fui le franquisme. «Immigrée de deuxième génération», elle obtient la nationalité suisse à 24 ans.

Mais alors que son origine espagnole l’a «beaucoup poursuivie» dans sa jeunesse, c’est finalement celle-là même qui lui permet de prendre part au projet politique de sa commune de résidence en France. En effet, le traité de Maastricht de 1992 accorde aux personnes ayant la nationalité d’un État membre de l’Union Européenne le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales de l’État membre dans lequel elles résident.

L’élection présidentielle française vue par les Suisses de France

La France est le pays qui accueille la plus grande communauté de Suisses de l’étranger avec près de 201’000 personnes officiellement inscrites auprès des représentations consulaires.

Avant la prochaine élection présidentielle qui aura lieu les 10 (premier tour) et 24 avril (second tour) 2022, SWI swissinfo.ch a décidé de recueillir le témoignage de Suisses de France actifs – ou l’ayant été – dans les principaux partis politiques suisses, dans le but d’obtenir une vue helvétique sur la politique française.

Les partis suisses représentés sont: Parti socialiste (PS, gauche), Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), Le Centre (anciennement PDC, centre), Les Vert-e-s (gauche).

À petits pas dans la politique

Pendant ses études en sciences politiques, Silvia Iuncker-Gomez travaille en tant que procès-verbaliste au Grand Conseil genevois (le parlement cantonal du canton de Genève) et y côtoie de nombreuses formations politiques.

Elle s’intéresse à l’environnement et, de fil en aiguille, s’aperçoit que Les Vert-es sont le parti qui lui correspond le mieux. Elle ne s’est jamais considérée comme une «militante écolo à tout prix», elle apprécie surtout leur «vision intégrée du citoyen, où le monde est appréhendé dans sa globalité». Elle est donc devenue membre du parti et l’est encore aujourd’hui.

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Une relation houleuse

Malgré son réel intérêt pour la politique, la Suissesse «ne (se) retrouvai(t) dans aucun projet». Jusqu’à ce projet-là: «C’est un projet local, de démocratie participative, un modèle un peu différent» de ce qui se fait en France habituellement.

S. Iuncker-Gomez en réunion du conseil municipal
Silvia Iuncker-Gomez en séance du Conseil municipal de Monnetier-Mornex fin mars 2022. Màd

Ce «modèle un peu différent» a des airs de démocratie directe à la suisse, «mais avec les obstacles inhérents au système français», tempère Silvia Iuncker-Gomez. «Il y a une vraie crise dans la politique française», dit-elle. «C’est la raison pour laquelle les partis proposant des projets participatifs n’ont jamais été aussi nombreux qu’aux dernières élections municipales. Je sens un besoin de la population française de prendre les choses en main».

Pour autant, elle imagine mal comment un système de démocratie directe pourrait se frayer un chemin dans une France qui, selon elle, «a une histoire compliquée avec le référendum». Elle cite en exemple le référendum de 1969 qui a vu Charles de Gaulle démissionner de son poste de président ou encore celui de 2005 sur la Constitution européenne, auquel le peuple français a dit non mais que la classe politique a tout de même fini par ratifier.

Silvia Iuncker-Gomez se demande fondamentalement si un système identique à celui de la Suisse serait souhaitable pour la France, car «ce n’est pas dans leur culture». En revanche, elle pense que la tendance pourrait s’intensifier à un niveau local.

Manque de personnalité

La Suissesse observe d’un regard distant la campagne présidentielle en cours. Si, avec Emmanuel Macron, elle a «le sentiment de renouer avec un homme politique qui a la stature de président de la République», elle déclare ne pas avoir eu d’attentes particulières quant à son quinquennat.

Si elle avait le droit de vote, elle voterait «à gauche», mais pas forcément pour le candidat vert Yannick Jadot, car elle pense qu’il ne parviendra pas à rassembler. Selon les derniers sondages, ce dernier est crédité d’à peine 7% des intentions de vote. «C’est une histoire de personnalités. Jusqu’à aujourd’hui, les personnalités vertes n’ont pas percuté en France», dit-elle sur le ton de la déception.

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Kai Reusser – Emilie Ridard / swissinfo.ch

Une vague jaune, mais pas verte

Silvia Iuncker-Gomez regrette que «les Verts n’arrivent pas à s’imposer» en France, contrairement à une tendance que l’on observe dans plusieurs pays européens, dont la Suisse. Elle l’explique par le fait que la thématique soit récupérée par les autres partis et noyée dans leurs programmes: «Ils font croire que l’écologie est un thème comme un autre».

Elle considère que cette problématique n’est pas suffisamment prise au sérieux par la classe politique française et y voit des incohérences: «D’un côté on parle d’enjeux climatiques, mais de l’autre les transports publics et la mobilité douce sont inexistants dans les campagnes». Celle qui vit dans un petit village le constate au quotidien. «On est obligé d’être motorisé», déclare-t-elle.

Dans ces conditions, il n’est peut-être pas étonnant que les populations soient plus intéressées par comment payer leur plein d’essence que par les problématiques environnementales?

Perte de crédibilité

«Je pense que ce n’est pas vrai de dire que la question environnementale n’est pas une préoccupation», rétorque la Suissesse. Et d’ajouter que dans les sondages, l’environnement et le réchauffement climatiques arrivent fréquemment dans le top 5 des principales inquiétudes des Françaises et Français. Selon un récent sondage Ipsos, 25% d’entre eux placent l’environnement en tête de leurs préoccupations, derrière le pouvoir d’achat et le système de santé.

Silvia Iuncker-Gomez relève toutefois que les différents scandales environnementaux de ces dernières années peuvent avoir eu un impact négatif sur la crédibilité du discours écologique. Elle mentionne les éoliennes, «qui ne sont finalement pas si écologiques qu’on le pensait», ou la relance du nucléaire annoncée par Emmanuel Macron».

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Trop d’égo

Comme la plupart des observatrices et observateurs de l’élection présidentielle à venir, Silvia Iuncker-Gomez imagine mal qu’une figure de la gauche puisse passer le premier tour, «à part peut-être Jean-Luc Mélenchon», dit-elle sans trop y croire.

Elle regrette que les candidates et candidats de gauche ne se soient pas alliés pour s’offrir une chance d’aller au second tour. «Mais il y a tellement d’égo!». Pour la Genevoise, le monde politique français est un star-system, chose qu’elle trouve problématique. «En Suisse, les politiciennes et politiciens sont plus humbles», conclue-t-elle.

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Discussion
Modéré par: Emilie Ridard

Quels sont pour vous les principaux avantages et inconvénients du système politique français par rapport à celui de la Suisse?

Alors que la France est un pays particulièrement centralisé fondé sur un système pyramidal, la Suisse est une démocratie semi-directe organisée de manière décentralisée.

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