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«Ennahdah va y laisser des plumes»

Ali Laarayedh est membre du parti islamiste Ennahdah de la mouvance des Frères musulmans. swissinfo.ch

De passage à Genève, le ministre tunisien de l'Intérieur affirme à swissinfo.ch qu’il n’y aura pas de recul concernant le statut des femmes dans son pays et que les salafistes violents sont marginalisés. Ali Laarayedh est conscient que son parti Ennahdah essuie les plâtres de la révolution.

Membre du parti islamiste Ennahdah de la mouvance des Frères musulmans, Ali Laarayedh a passé de nombreuses années dans les geôles du régime Ben Ali, où il a subi tortures et isolement jusqu’en octobre 2004. Et voilà qu’il se retrouve aujourd’hui à la tête du puissant ministère de l’Intérieur, qui gérait la répression brutale des islamistes, sous l’ancien régime.

Créé par le gouvernement suisse, le Centre pour le contrôle démocratique des forces armées (DCAF) vient d’organiser une réunion sur la réforme des forces de sécurité en Tunisie.

swissinfo.ch: Quel était l’objectif de cette réunion?

Ali Laarayedh: Cette réunion a permis de faire un tour d’horizon des réformes au sein des forces de sécurité tunisiennes après la révolution. Et ce pour savoir comment garantir les droits de l’homme, comment mettre en place une police républicaine qui échappe aux interférences politiques ou culturelles, comment faire des réformes structurelles pour assurer un contrôle par la société civile et le pouvoir législatif, et former des agents qui soient bien imprégnés des droits de l’homme.

swissinfo.ch: Où en sont ces réformes?

A. L.: Nous avons des projets avec différentes organisations internationales et plusieurs pays. Dans la majorité de ces projets, il y a la formation, les échanges de savoir-faire et la fourniture d’équipements. Nous voulons élever le niveau de nos cadres et de nos agents à tous les échelons des forces de sécurité.  

swissinfo.ch: Mais des voix critiques assurent que le courant ne passe pas entre vous et les corps de police.

A. L.: Ce sont des commentaires infondés. Je maitrise mes dossiers. Il n’y a pas de malaise au sein des forces de sécurité tunisiennes qui sont formées de la police, de la garde nationale et des forces de protection civile. Nous avons aussi des syndicats de police, ce qui n’existait pas sous l’ancien régime.

swissinfo.ch: Vous avez subi dans votre chair la répression du régime Ben Ali. Comment passe-t-on des geôles, de l’isolement, à la tête du ministère qui gérait cette répression?

A. L.: J’ai même été condamné à mort en 1987. Mon arrivée à la tête du ministère de l’Intérieur concrétise la révolution qu’a connu la Tunisie. Personnellement, je laisse ce passé à l’histoire. Pour moi, la vraie victoire est celle des valeurs pour lesquelles j’ai combattu avec bien d’autres personnes. Nos objectifs sont en train d’être réalisés, le principal étant l’instauration de la démocratie.

Nous cherchons à établir non seulement un régime démocratique, mais aussi une société démocratique, c’est-à-dire des citoyens qui connaissent leurs droits et devoirs  et le sens du respect des droits de l’homme.

Je ne porte pas les séquelles des différentes périodes difficiles que j’ai passées. Je travaille avec tous les responsables, y compris ceux qui m’ont peut-être causé des ennuis, étant entendu que les responsables d’exactions passeront devant la justice.

swissinfo.ch: Mais humainement, passer d’une cellule d’isolement à une charge aussi lourde, ça doit être fort comme expérience.

A. L.: C’est fort, surtout quand je vois que le ministère de l’Intérieur de Tunisie est comme un Etat avec tous les domaines qui sont de sa compétence. J’ai parfois l’impression d’être un chef de gouvernement. C’est un travail dur, qui a été difficile à assimiler.

Mais aujourd’hui, je travaille sereinement. Ce qui me préoccupe, c’est qu’il y a beaucoup de travail et peu de temps pour l’accomplir. 

swissinfo.ch: Votre parti Ennahdah a montré de la compréhension à l’égard des salafistes avant de critiquer leur extrémisme. Mais leurs milices semblent aujourd’hui hors de tout contrôle et font régner la peur. Votre réaction?

A. L.: Un peu partout dans le monde, il y a un problème avec le salafisme. Mais le salafisme est un phénomène social avec plusieurs courants. Il y a ceux qui sont pacifiques. Ils ont leur approche de la religion, de l’histoire, de la société.

Quant à la faction violente du salafisme, il a fallu du temps pour que les Tunisiens prennent conscience que condamner leurs actions violentes n’était pas une atteinte aux libertés. Les auteurs de violence sont aujourd’hui arrêtés et poursuivis en justice. Il faut que tout le monde respecte la loi. Pour les courants pacifiques du salafisme, c’est affaire de politique.

Je suis contre l’approche du salafisme. Au sein de notre parti Ennahdah, nous en avons une autre. Le parti Ennahdah ressemble aux partis chrétiens conservateurs. Il donne une bonne place à la religion comme source d’inspiration sur le plan personnel et familial. Mais son approche de la religion n’est pas tournée vers le passé. Il veut intégrer les différents acquis de l’humanité contemporaine avec notre identité arabo-musulmane, africaine, méditerranéenne. Nous voulons à la fois être dans notre temps et dans notre culture.

swissinfo.ch: En Europe, comme en Tunisie, certain craignent un recul en matière de droits en particulier concernant le statut et les droits des femmes. Que leur répondez-vous?

A. L.: Il n’y aura pas de recul sur les acquis de la femme. Les quelques factions qui les menacent sont très minoritaires. Ce qui compte, c’est de concrétiser ces droits dans la société, surtout dans les campagnes.

swissinfo.ch: Comme en Egypte, vous essuyez les plâtres de la révolution. Vous ne craignez pas de décevoir la population et de perdre les prochaines élections?

A. L.: En effet, dans les périodes post-révolutionnaires, les gouvernements ont tendance à tomber comme des mouches et certains partis peuvent disparaître. Donc, nous allons laisser des plumes. Mais maintenant que le peuple nous a choisis, nous devons assumer nos responsabilités, quitte à perdre toutes nos plumes.  

Les différentes commissions ont achevé leurs travaux concernant la nouvelle constitution. Les discussions ont commencé en séance plénière de l’assemblée constituante.

Début 2013, l’assemblée constituante devrait terminer ses travaux.

Après quoi se tiendront en été ou en automne les élections présidentielles et législatives, suivies par des élections municipales.

Ali Laarayedh est né en 1955.

Il a été le porte-parole d’Ennahdah de 1981 à 1990, avant d’être arrêté.

Il a été condamné à 15 ans de prison par le régime Ben Ali. Durant son emprisonnement, il a été torturé.

Le régime du président Zine Ben Ali, au pouvoir depuis 1987, est tombé en janvier 2011. Le 26 décembre, Ali Laarayedh devient ministre de l’Intérieur.

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