Fêter Marignan pour redorer les relations franco-suisses
Des historiens, mais aussi des politiques, souhaitent préparer d’ores et déjà le 500e anniversaire de 1515. Pas simple, pourtant, de célébrer une défaite monumentale.
«1515, c’est Marignan». La date a marqué tous les écoliers. Au point d’en faire un peu oublier l’événement.
Les 13 et 14 septembre 1515, 20’000 fantassins suisses affrontent près de Milan l’armée de François 1er. Bilan, apocalyptique pour l’époque: entre 9000 et 10’000 morts côté helvétique, 5000 à 8000 parmi les hommes du roi de France.
Vainqueur, le jeune souverain commence son règne en fanfare. La Suisse, elle, renoncera définitivement à son aventurisme militaire.
Longue préparation
Certaines commémorations se préparent bien en amont. Créée pour le 450e anniversaire, en 1965, la Fondation Pro Marignano a été réactivée pour l’occasion. Son président, le colonel Roland Haudenschild, se rend chaque année en septembre sur les lieux de l’affrontement. Il y assiste à la célébration organisée par la ville de San Giuliano, à deux pas de l’actuelle Melegnano.
«Rien ne rappelle l’ancien champ de bataille», raconte Roland Haudenschild. A l’exception du bloc de granit représentant deux guerriers terrassés, réalisé en 1965 par le sculpteur Josef Bisa.
La «plaine compartimentée à l’extrême par une quantité de canaux d’irrigation parfois profonds et souvent difficiles à franchir», que décrit l’historien Didier Le Fur, a été rattrapée par la banlieue sud de Milan.
Roland Haudenschild parle de ses projets avec une grande prudence. Rien n’est fait. La Fondation cherche des sponsors.
Plusieurs pistes
«Je rêve d’un événement festif, populaire, confie l’historien franco-suisse Alain-Jacques Czouz-Tornare. La Suisse, assez isolée en ce moment, ne devrait pas négliger une occasion de se rapprocher de ses voisins, notamment de la France. En 1967, un colloque sur les grandes heures de l’amitié franco-suisse s’est tenu au Château de Coppet, ainsi qu’aux Archives nationales, à Paris. Il faudrait organiser un événement de ce genre.»
Le Centre d’histoire et de prospective militaire (CHPM) pourrait organiser en 2014 un symposium international, «autour de Marignan». «On oublie un peu trop souvent que la bataille de Marignan ne met pas aux prises que des Suisses et des Français, note l’historien Olivier Bangerter. Outre l’apport, décisif le 14 septembre, de l’armée vénitienne, il y a des participants d’autres nationalités (actuelles) dans la bataille, comme les lansquenets allemands et certains Ecossais dans l’armée française. L’armée vénitienne comporte aussi des estradiots (cavaliers légers) originaires de Grèce ou d’Albanie, voire de Croatie et de Bosnie actuelles.» Une guerre européenne avant l’heure.
Pas simple, pourtant, de commémorer une défaite. Pour contourner l’obstacle, Jean-Pierre Dorand, historien et député au parlement du canton de Fribourg, propose de célébrer la Paix perpétuelle avec la France, signée à Fribourg en 1516.
Une idée qu’il a transmise au gouvernement fribourgeois. Sans résultat pour l’instant. «L’exécutif estime que cette commémoration relève des sociétés historiques. Alors que pour Fribourg comme pour la Suisse, cette date est d’une importance majeure!», relève Jean-Pierre Dorand.
Glorieuse défaite
Marignan, une défaite? Un traumatisme pour les cantons, notamment de Suisse centrale, qui tenaient le Milanais. Mais avec le temps, cette raclée s’est curieusement muée en événement providentiel. En «glorieuse défaite», dont nous parlent tous les bons esprits du XIXe et du XXe siècle.
Autrement dit, 1515 marquerait la fin des rêves expansionnistes suisses et le point de départ de la neutralité.
Vraiment? La fin des rêves suisses en Europe, sans doute. Il faut quand même rappeler qu’en 1513, les Suisses assiégeaient Dijon. On leur colle alors une réputation, pas tout à fait infondée, de guerriers implacables se vendant au plus offrant.
«Les Suisse ne comprenaient qu’un seul langage: l’argent», va jusqu’à écrire aujourd’hui le biographe de François 1er Robert J. Knecht.
«Militairement, ce qui a fait leur succès – les carrés de piquiers, mobiles mais avec peu d’artillerie – sera aussi cause de leur chute lorsque les techniques militaires changeront», remarque Olivier Bangerter. Après Marignan, le service mercenaire à l’étranger sera en quelque sorte régularisé.
Quant à la neutralité, elle attendra. «Le traité avec la France de 1521 est tout sauf un traité de neutralité, mais bien une alliance défensive et un contrat de fourniture de troupes», rappelle Olivier Bangerter.
«La Paix perpétuelle de 1516 place pour longtemps la Suisse sous orbite française, ajoute François Walter, auteur d’une toute récente Histoire de la Suisse dont le troisième volume vient de paraître. La neutralité, elle, ne sera formalisée qu’en 1815.»
Des Suisses peu friands de commémorations
Roland Haudenschild n’est pas certain de rallier la Confédération à ses projets. La Suisse est moins friande que la France de commémorations nationales. «Il ne faut jamais trop compter sur l’Etat, note Alain-Jacques Czouz-Tornare. En 1998, le projet de commémorer la République helvétique s’était heurtée au refus catégorique de Berne.»
En 2003, Pascal Couchepin participait tout de même au Sénat français à un colloque consacré au bicentenaire de l’Acte de Médiation voulu par Bonaparte pour la Suisse. «Oui, mais Couchepin avait une grande conscience historique», remarque l’historien, un brin désabusé. «Cette année-là, j’ai d’ailleurs perdu ma charge de cours à l’Université de Fribourg, officiellement parce que les relations franco-suisses n’intéressaient plus personne…»
Mathieu van Berchem, Paris, swissinfo.ch
Marignan opposa, les 13 et 14 septembre 1515, les troupes du roi de France François Ier aux Suisses, qui défendaient le Milanais. Le duc Maximilien Sforza, leur protégé, était en outre allié au pape Léon X et à l’empereur Maximilien Ier.
Une partie des capitaines suisses (notamment ceux de Berne, Soleure et Fribourg) accepta de négocier et, le 8 septembre, signa avec François Ier le traité de Gallarate, qui prévoyait la paix et le versement d’un million de couronnes aux Confédérés. Cette décision ne fut pas acceptée par tous, en particulier par Uri, Schwytz et Glaris.
Le 13 septembre, sous l’impulsion du cardinal Mathieu Schiner, une masse de guerriers se ruait vers Marignan. Sans succès.
Le 14 septembre, l’artillerie française fit un carnage dans les carrés suisses repartis à l’assaut. Après un recul, les Suisses lancèrent une nouvelle attaque qui aurait pu être victorieuse si 12000 hommes de la République de Venise n’étaient pas arrivés en renfort dans la matinée. Les Confédérés se replièrent sur Milan.
(Extraits du Dictionnaire historique de la Suisse)
Histoire de la Suisse, par François Walter, éditions Alphil.
Marignan, par Didier Le Fur, éditions Perrin.
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