Face à la crise au Sud, la DDC se veut pragmatique
Originaire du Nord, la crise financière produit des effets dévastateurs dans le Sud, constate la Direction du développement et de la coopération (DDC). Une réalité qui incite l'agence gouvernementale suisse à la flexibilité.
Pays prioritaire de la DDC depuis 40 ans, la Bolivie a bénéficié l’an dernier d’un engagement de 14,45 millions de francs. 13,5 millions sont budgétisés cette année.
Dans ce pays, la Suisse cherche à encourager la croissance économique pour réduire la pauvreté. Elle appuie des projets indigènes ou utilisant les potentialités du lieu. Des projets voués aux besoins des marchés locaux comme internationaux. En particulier, elle favorise l’agriculture multifonctionnelle.
L’autre aspect de son implication porte sur la promotion de la bonne gouvernance et de la démocratisation. Mais pour la DDC, la crise est une mauvaise nouvelle.
La croissance de l’économie bolivienne risque de passer de 6,5% (2008) à 2% cette année, en lien avec la baisse de prix des matières premières (70% des exportations boliviennes).
Un quart des Boliviens vivent à l’étranger. Mais 60 rentrent chaque jour depuis la seule Espagne. Un trend du retour qui réduit la manne des transferts d’argent (7,5% du PIB). Corolaire, le chômage sur place augmente.
Dans une Bolivie confrontée à un taux de pauvreté de 60%, l’inflation (12% l’an dernier) et les conditions économiques nouvelles jettent toujours plus de gens dans la pauvreté et l’extrême pauvreté…
Cette situation incitera la DDC à s’y investir davantage. L’agence privilégiera à l’avenir la flexibilité en fonction des situations qui se présenteront dans chaque pays concerné par son action.
En cas d’urgence, elle n’hésitera pas à changer les priorités dans la lutte contre la pauvreté, a-t-elle indiqué mercredi lors d’une conférence de presse annuelle sans grand contenu.
Faire face à la crise exige un renfort de la coopération internationale, poursuit la DDC. Il faut aussi améliorer l’efficacité de cette coopération «en tirant profit des synergies entre aide bilatérale et aide multilatérale».
Sur le plan intérieur, la DDC salue l’intention du Parlement de porter le montant de l’aide publique au développement à 0,5% du revenu national brut. Les moyens supplémentaires feront l’objet d’un débat aux chambres fédérales cet automne.
Le message qui sera rédigé par la DDC et le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) contiendra les mesures rendues nécessaires par la crise justement. Patron de la DDC, Martin Dahinden répond à swissinfo.
swissinfo: La crise est une catastrophe pour la finance, l’est-elle aussi pour les pays du Sud de la planète ou de l’Est de l’Europe?
Martin Dahinden: C’est bien sûr le cas. Au départ, on pensait que ces pays seraient peu affectés par la crise financière. On a ensuite observé des effets considérables dans les pays de l’est de l’Europe par le bais des marchés financiers.
Pour les pays du sud, la transmission s’est fait par l’économie réelle. Dans ces pays, beaucoup d’investissements [directs et transferts de capitaux] ont été retirés ou ajournés, parce que l’appréciation du risque a changé. Ces pays sont également confrontés à une dégradation des conditions concernant leurs exportations de matières premières [dont les prix ont baissé].
Un autre problème touche ces pays. Beaucoup de leurs ressortissants, qui ont émigré et envoient de l’argent à leurs familles restées au pays [300 milliards de francs dans le monde], perdent leur emploi. Ils rentrent dans leur pays d’origine et ne trouvent pas de travail.
Ces situations varient d’un pays à l’autre. Mais elles affectent gravement les pays en voie de développement.
swissinfo: Cette situation modifie-t-elle la stratégie et l’activité quotidienne de la DDC?
M.D.: Nous allons apporter des adaptations à nos programmes à l’échelle des différents pays. Mais l’orientation stratégique de la DDC ne nécessite pas une adaptation de fond.
swissinfo: Avez-vous les moyens d’appliquer cette stratégie?
M.D.: Nous avons une stratégie qui correspond aux moyens. Mais il est clair qu’il existe toujours des possibilités de faire mieux et plus.
Il est important à mes yeux d’avancer sur la question de la sécurité alimentaire. C’est un point central. Il faut aussi avancer sur les autres éléments qui mènent à une réduction de la pauvreté: l’emploi, l’éducation, etc.
swissinfo: Vous estimez que la crise n’est pas comparable à celle des années 30. Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer?
M.D.: La crise des années 30 est survenue dans un contexte complètement différent. La similitude se situe dans leur démarrage, avec la crise financière au départ, et dans leur gravité.
Mais dans les années 30, le système monétaire était entièrement différent. Il ne permettait pas de réagir. Le régime en matière de commerce n’était pas «multilatéralisé», il n’y avait pas les contacts et les coopérations qu’on observe aujourd’hui entre les pays.
swissinfo: Pour vous, cette crise est-elle un petit accident ou un événement susceptible d’engendrer un changement de philosophie global?
M.D.: Je ne suis pas prophète. Mais je pense que nous sommes confrontés à une crise grave, plus profonde que les récessions observées ces dernières dix ou vingt années.
Cette crise a le potentiel de changer les choses de manière plus fondamentale. Tout dépendra des bonnes ou mauvaises réactions pour la combattre.
Interview swissinfo, Pierre-François Besson
But. Face aux nouveaux défis comme le changement climatique ou la crise financière, la DDC a entrepris en mai 2008 une réorganisation qui se poursuit. L’objectif: plus d’efficacité.
Chefs. La première phase de la réorganisation est achevée. La direction a été réduite de 11 à 7 membres. Et un état-major de direction été créé.
Secteurs. Les activités sont regroupées en quatre domaines, qui sont la coopération globale, la coopération régionale, l’aide humanitaire et la coopération avec l’Europe de l’Est.
Chiffres. Ces derniers mois, 340 collaborateurs sur les 600 de l’agence ont changé de poste. La DDC dispose d’un budget annuel de 1,4 milliard de francs (2008).
Projets. Dans le cadre de la contribution de la Suisse à l’élargissement de l’Union européenne, la DDC et le SECO ont déjà approuvé des demandes de financement de projets pour 135,5 millions de francs.
Exemples. Ces projets vont de la réorganisation de homes d’enfants à la modernisation du système judiciaire, de mécanismes de financement de la préparation de projets en passant par la promotion des énergies renouvelables.
A dix. Les dix pays partenaires de la contribution suisse sont l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la Slovaquie, la Slovénie, la République tchèque, la Hongrie et Chypre.
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