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Face au manque de financement pour le Yémen, les humanitaires doivent faire des choix difficiles

Un travailleur humanitaire à Sanaa, au Yémen
Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), 17 millions de personnes au Yémen sont en situation d’insécurité alimentaire. Six millions d’entre elles sont au bord de la famine. Keystone / Yahya Arhab

Le Yémen reste l’une des pires crises au monde, mais le financement des opérations humanitaires est en baisse. Alors que des espoirs de paix naissent, les organisations d’aide mettent en garde contre les conséquences de ce sous-financement.

Vendredi débute une vaste opération d’échange de près de 900 prisonniers issus de la guerre civile qui ravage le Yémen depuis plus de huit ans. Quelques jours auparavant, des responsables saoudiens et yéménites étaient réunis dans la capitale, Sanaa, pour des pourparlers en vue de mettre un terme aux hostilités. Si elles sont encourageantes, ces avancées ne permettront toutefois pas, dans l’immédiat, d’atténuer la crise humanitaire qui pèse sur le pays et pour laquelle les financements s’amenuisent.

«Ce que notre personnel humanitaire devra décider, c’est quel camp nourrir, lequel ne pas nourrir, quelles familles recevront un abri, lesquelles seront mises de côté», déclare Jan Egeland, secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), une ONG basée à Oslo. En raison du sous-financement de ses opérations, l’équipe du NRC au Yémen sera contrainte de faire des choix difficiles. «Nous disposons encore d’une partie de l’argent obtenu l’année dernière, mais la réserve est désormais presque épuisée.»

La crise humanitaire au Yémen est l’une des plus graves au monde. Les Nations unies estiment que 21,6 millions de personnes dans le pays, soit plus des deux tiers de la population, ont besoin d’une aide humanitaire pour couvrir leurs besoins essentiels tels que la nourriture, la santé et l’éducation. Le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU, qui gère au Yémen l’une de ses plus importantes opérations, indique que 17 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire. Six millions d’entre elles sont au bord de la famine.

Il y a encore quelques années, les organisations humanitaires étaient en mesure de collecter suffisamment de fonds pour venir en aide à la plupart des Yéménites dans le besoin. Entre 2017 et 2019, les plans d’aide que coordonne l’ONU étaient financés en moyenne à 81%Lien externe. Au cours de cette période, les besoins ont pourtant grimpé de 2,3 milliards à 4,2 milliards de dollars (2 à 3,7 milliards de francs). Au cours des trois dernières années, la couverture de financement est tombée à une moyenne de 58%.

En février, à l’occasion d’une conférence des donateurs à Genève, les Nations unies avaient espéré récolter pour le Yémen 4,3 milliards de dollars (3,8 milliards de francs) en 2023. Mais les donateurs internationaux ont promis 1,2 milliard de dollars (1,1 milliards de francs); une somme insuffisante pour tenir jusqu’à la fin de l’année.

Espoirs de paix

Ce manque de financement arrive au mauvais moment pour le Yémen. Depuis 2014, le pays est plongé dans une violente guerre civile entre les forces des rebelles Houthis, liées à l’Iran, et le gouvernement internationalement reconnu, soutenu par une coalition dirigée par l’Arabie saoudite. L’ONU estime que la guerre au Yémen a tué plus de 377’000 personnes, directement ou indirectement, et en a déplacé 4,5 millions d’autres.

De récents pourparlers entre des responsables houthis et saoudiens, sous la médiation d’Oman, ont toutefois fait renaître l’espoir de voir le conflit prendre fin. Les délégations seraient en train de négocier un cessez-le-feu. Dimanche, l’envoyé spécial des Nations unies pour le Yémen, Hans Grundberg, a décrit la situation actuelle comme «le plus proche que le Yémen ait été d’un réel progrès vers une paix durable».

Ces négociations ont gagné en intensité après que l’Arabie saoudite et l’Iran, qui se livrent une guerre par procuration au Yémen, ont accepté en mars de rétablir leurs relations diplomatiques dans le cadre d’un accord négocié par la Chine. Plus tard dans le mois, les parties belligérantes du Yémen sont parvenues à un accord à Genève, sous la supervision de l’ONU et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), pour libérer 887 détenus des deux camps.

Cet échange de prisonniers, le plus important depuis 2020, se déroulera au cours des trois prochains jours. Selon l’accord, les Houthis libéreront 181 prisonniers en échange de 706 personnes détenues par les forces gouvernementales yéménites. La question de savoir si ces efforts permettront d’ouvrir la voie à des négociations élargies entre les parties en vue d’un règlement politique du conflit n’est pas encore tranchée. Ils constituent toutefois ce que l’on appelle des mesures de confiance.

«La bonne volonté que montrent les parties au conflit sur des enjeux humanitaires essentiels contribue à créer un environnement qui permet ensuite de parler de choses plus difficiles», déclare Fabrizio Carboni, directeur régional du CICR pour le Proche et le Moyen-Orient.

Éviter une dépendance à l’humanitaire

Pour le NRC, le moment est mal choisi pour cesser de soutenir la population du Yémen. «C’est une occasion en or de sortir de cette horrible dépendance à l’aide humanitaire et de ces besoins immenses que la guerre a engendrés, car il y a la perspective non seulement d’un cessez-le-feu, mais aussi d’un règlement politique», déclare Jan Egeland, qui s’inquiète des conséquences d’un tarissement des fonds. «Deux choses peuvent se produire. L’une, c’est que les gens recommencent à mourir, massivement. Et l’autre, c’est que la guerre reprenne.»

Au CICR, qui travaille au Yémen dans des régions inaccessibles aux autres acteurs humanitaires et où les conséquences des combats se font le plus sentir, la baisse des niveaux de financement est également une source de préoccupation. En 2022, pour la première fois en 11 ans, les opérations de l’organisation dans le pays ont été sous-financées. Et dans un environnement difficile comme le Yémen, où l’accès et la sécurité restent des défis, les coupes budgétaires peuvent compromettre la capacité des organisations humanitaires à opérer sur le terrain.

«Notre acceptation dans ce genre d’environnement est déterminée aussi par la pertinence du service que l’on fournit, rappelle Fabrizio Carboni. Donc, si on doit faire des choix, il y a un enjeu pour notre pertinence. Et puis les choix, ce n’est pas qu’on coupe du gras. Le Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a un budget au Yémen de 181 millions de francs et le CICR de plus de 100 millions de francs, mais en termes de besoins, on pourrait tout à fait utiliser le double.»

Multiplication des crises

Ce manque de financement pour le Yémen pourrait-il résulter des récentes avancées politiques? Fabrizio Carboni, du CICR, ne le pense pas. Selon lui, les pays donateurs comprennent que les négociations actuelles n’offrent qu’une faible lueur d’espoir et que même si les combats cessent les besoins humanitaires ne disparaîtront pas du jour au lendemain. «Je crois que la baisse de financement est liée à une tendance assez terrifiante ces dernières années, qui est la multiplication des crises.»

Conflits persistants, changement climatique, effets de la pandémie de Covid, guerre en Ukraine: de multiples facteurs aggravent les anciennes crises humanitaires tout en en créant de nouvelles. Ceux-ci pèsent également sur les budgets des pays donateurs.

En l’absence de paix, l’aide humanitaire reste une bouée de sauvetage. «L’aide humanitaire ne va jamais résoudre les problèmes structurels du Yémen. On ne va jamais résoudre les problèmes de sécheresse, les problèmes de santé, de sécurité alimentaire du pays de manière durable. Ce n’est pas les humanitaires qui font ça, c’est le politique», indique Fabrizio Carboni.

Texte relu et vérifié par Reto Gysi von Wartburg

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