«Un choc pour la démocratie locale»
Diminution de la participation aux élections, augmentation des candidats, disparition de mouvements politiques locaux et d’élus sans parti: les fusions de communes ont aussi des effets sur la démocratie. Cependant, cet aspect est négligé dans les processus d’agrégation.
Les communes suisses en chiffres
Le 1er janvier 2018, la Suisse comptait 2222 communes, soit 33 de moins qu’un an plus tôt. En 1850, il y en avait environ 3200, un nombre resté assez stable pendant plus de 100 ans. C’est en 1995 que l’on est descendu pour la première fois en dessous de la barre des 3000 communes. Depuis lors, le processus d’agrégation s’est amplifié. Pratiquement 500 communes ont disparu au cours des dix dernières années. Et le phénomène devrait encore se poursuivre.
Les fusions de communes sont l’un des principaux changements dans le panorama institutionnel suisse des dernières décennies. La fusion la plus spectaculaire qui a eu lieu jusqu’à présent est sans aucun doute celle de Glaris. Par la volonté de la Landsgemeinde, la traditionnelle assemblée où le peuple se rassemble et vote à main levée, le nombre de communes dans le canton est passé de 25 en 2011 à seulement 3 aujourd’hui.
Même si les fusions de communes n’ont pas été aussi «brutales» dans le reste du pays, il n’en reste pas moins que ce phénomène progresse et que certains cantons procèdent à une politique très poussée dans ce domaine. De manière générale, les objectifs visés sont le renforcement de l’efficacité des infrastructures, la compression des coûts et une plus grande professionnalisation des services.
Ce sont donc des considérations administratives et financières qui conduisent généralement deux ou plusieurs communes voisines à décider de s’unir en une seule entité. Et toute la réflexion du processus d’agrégation tourne autour de ces éléments.
On ne se préoccupe en revanche généralement pas des répercussions politico-démocratiques. Or c’est une erreur, car il y en a, ainsi que l’ont montré des études du Centre pour la démocratie d’Aarau (ZDA).
Les plus petites sont les plus touchées
«La fusion de deux communes ou plus est un choc pour la démocratie locale», dit Daniel KüblerLien externe, membre de la direction du ZDA et professeur à l’Université de Zurich. Un choc qui est plus fort pour les petites communes qui s’incorporent à une grande commune, ajoute le chercheur.
«Il y a dans les communes des réseaux politiques locaux. Ceux-ci sont perturbés par la fusion. Ils doivent se réorganiser, parce qu’ils se retrouvent dans une commune devenue soudain plus grande, où existent aussi les réseaux politiques des autres anciennes communes et auxquels ils ne sont pas reliés», explique Daniel Kübler.
Ces réseaux ont diverses fonctions. Ils font en particulier circuler les informations et mobilisent l’électorat, ajoute le spécialiste de la démocratie. Ces réseaux se retrouvent déboussolés, probablement en raison de deux conséquences des fusions de communes révélées par les recherches du ZDA.
Diminution de la participation
La première est une nette diminution du taux de participation aux élections communales. La seconde est la disparition d’élus issus de mouvements locaux ou sans parti au profit de candidats de partis bien établis.
«Le fait qu’il y a généralement dans la commune issue de la fusion plus de représentants de la commune qui était la plus grande avant la fusion est probablement dû à la déstabilisation des réseaux de mobilisation», observe Daniel Kübler. L’électorat de la commune la plus petite est par ailleurs moins enclin à participer, car il s’identifie moins à la nouvelle entité née de la fusion.
Plus de candidats
L’abaissement de la participation représente indubitablement un effet négatif. Un autre phénomène constaté par les recherches du ZDA est en revanche positif: après les fusions, le nombres de candidats par siège augmente. «Cela signifie que l’électorat a plus de choix», relève l’expert.
Les chercheurs ne savent en revanche pas si le fait que les mandats politiques deviennent l’apanage de membres de partis installés au niveau cantonal est un plus ou un moins pour la démocratie.
Il ne s’agit certainement pas des seuls effets des fusions communales sur la démocratie locale. Il suffit de penser aux communes où l’assemblée communale a été remplacée par un parlement local suite à la fusion, ou vice-versa.
Examiner les risques pour les prévenir
Selon le politologue, il est important que les conséquences possibles d’une fusion sur la démocratie locale soient soigneusement examinées dès le début de la réflexion sur le processus d’agrégation. «Il faut être conscient qu’il existe un risque de choc pour la démocratie locale. Or cette prise de conscience est un premier pas vers la solution», estime le politologue. Si la question est examinée de manière approfondie, on peut en effet adopter des mesures «pour compenser et agir contre les effets néfastes», selon lui.
Et le professeur de citer l’exemple de la fusion entre la commune de Rohr et la ville d’Aarau. Lors de la première élection au parlement de la nouvelle commune, on a maintenu les deux anciennes circonscriptions électorales séparées. Cela a permis de garantir un nombre déterminé de sièges à ce qui est désormais devenu le quartier de Rohr.
«Lors de l’élection suivante, il n’y avait plus de circonscriptions séparées, mais de nouveaux liens avaient pu se créer dans l’intervalle», explique Daniel Kübler. En particulier des liens entre les anciens élus indépendants de Rohr et Pro Aarau, une formation d’indépendants qui existait déjà dans l’ancienne commune d’Aarau.
Un bon instrument
Le politologue juge que des circonscriptions électorales séparées représentent un bon instrument pour faciliter l’intégration des habitants des anciennes communes plus petites et leur accès aux mandats politiques. Il précise toutefois que tous les cantons ne le permettent pas.
Les partis de l’ancienne commune la plus grande ont également un rôle important à jouer dans la facilitation et la stimulation de cette intégration: ils ont en particulier la responsabilité d’exercer leur influence dans leurs sections existantes dans les petites communes ou de l’étendre en créant de nouvelles sections s’ils n’y étaient pas déjà présents, note Daniel Kübler.
La démocratie n’est pas acquise
Ce qui ressort des études du ZDA montre que «la démocratie, même au niveau local, ne va pas de soi. Pour la faire fonctionner, il faut l’engagement de différents acteurs politiques, des citoyens, des élites; il nous faut un certain volontarisme», souligne l’expert.
Dans les fusions communales, il est donc fondamental de se préoccuper des effets sur la démocratie locale. S’il y a une prise de conscience de ce qu’implique une fusion dans ce domaine et de la nécessité d’«agir pour maintenir la qualité de la démocratie, je pense que cela peut être bénéfique pour le fonctionnement de la démocratie en Suisse à tous les niveaux», conclut Daniel Kübler.
Journées de la démocratie d’Aarau
Le thème des fusions sera approfondi lors des 10eJournées de la démocratie d’AarauLien externe. Un débat public intitulé «Fusions de communes – Opportunité ou danger pour une démocratie vivante?» aura notamment lieu le 1er mars à Baden avec des experts, dont Daniel Kübler.
Chaque année, ces Journées sont l’occasion de débattre de questions politiques d’actualité. Y participent des représentants des universités, de la politique, des médias et du grand public.
Les Journées sont organisées par le Centre pour la démocratie d’AarauLien externe. Pour célébrer cette 10e édition, le ZDA a décidé d’effectuer une sorte de «road tour» à travers le canton d’Argovie, afin de se faire mieux connaître.
#DearDemocraty, le plateforme de swissinfo.ch sur la démocratie directe, est le partenaire médiatique des Journées de la démocratie d’Aarau.
(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)
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