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«Gaza vit la pire crise humanitaire depuis 1967»

Combien de temps est-ce qu'un être humain peut supporter l'humiliation?, demande Issam Younis. Keystone/DPA

La trêve entre Israël et le Hamas arrive à échéance vendredi avec le risque qu'elle ne soit pas reconduite. De passage à Genève, Issam Younis, le défenseur des droits de l'homme le plus en vue de Gaza, dénonce le blocus total imposé par Israël. Et salue l'action de la Suisse.

Un homme au-dessus des parties. Issam Younis, le directeur du Al Mezan Center for Human Rights, a la confiance du Hamas et du Fatah. Les Israéliens ne le laissaient pas quitter Gaza (via Erez) depuis huit ans, mais grâce aux pressions du gouvernement allemand, il a pu se rendre à Weimar pour recevoir le prix de droits de l’homme de la ville.

De passage à Genève, il réclame la fin de la «punition collective» de tout un peuple et un processus de paix basé sur le droit international.

swissinfo: Quelle est la situation à Gaza?

Issam Younis: C’est la plus difficile depuis 1967. La fermeture de la bande de Gaza est totale et les gens n’ont pas le droit de se déplacer, d’entrer, de sortir. 1,5 millions de personnes vivent en état de siège. Ne pouvant être ravitaillée par mer, la population n’a ni carburant, ni diesel pour faire fonctionner les centrales électriques. L’électricité est coupée pendant de longues heures – 36 heures chez moi, si bien que nous n’avons plus d’eau potable.

Il est devenu très difficile de se procurer la nourriture de base et de satisfaire les besoins les plus élémentaires. 80% des familles de Gaza dépendent des agences de l’ONU, dont l’UNRWA [United Nations Relief and Works Agency for Palestine]. Le chômage touche 50% de la population et 75% des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté.

On ne peut pas mettre toute une nation en état de siège! A Gaza, il y a quatre points de passage: un pour le carburant, un pour les personnes, un pour les échanges commerciaux et un pour les matériaux de construction. Et un passage international avec l’Egypte, à Rafah.

Depuis 1967, les Israéliens nous ont rendus dépendants de leur pays: tout ce qui va et vient de Gaza doit transiter par ces points de passage et 90% des importations viennent de l’Etat hébreu. Maintenant, il n’y a que les biens de première nécessité qui passent et de façon très restreinte.

En novembre, seuls 66 camions ont été autorisés à venir à Gaza, la plupart pour l’UNRWA et les agences humanitaires. Aujourd’hui, il y a 11 camions par jour. En octobre, il y en avait 167 par jour, en mai 2007 il y en avait 475. Vous voyez la chute…

Gaza n’a pas les moyens de stocker les biens et le carburant. Si Israël ferme les frontières, Gaza s’assèche. 80% des pompes fonctionnent partiellement et 20% ont été complètement arrêtées. Nous avons aussi eu un problème avec la chlorite, qui sert à rendre l’eau potable. En novembre, Israël a laissé passer seulement 8% de la quantité nécessaire pour un mois.

La situation humanitaire est catastrophique. Même le Secrétaire général de l’ONU et la Haut commissaire aux droits de l’homme ont déclaré qu’Israël doit lever le blocus. C’est pire que la prison. Quand vous êtes incarcérés, vous avez au moins des gardiens qui sont obligés de vous donner à manger. Là, c’est la punition collective de tout un peuple. Une violation pure et simple des conventions de Genève.

swissinfo: Quelle est la situation politique?

I.Y.: L’idée de la communauté internationale et d’Israël est d’isoler le Hamas. Mais ça affecte toute la population… sauf le Hamas, qui contrôle les points de passage. C’est une arme stupide. Récemment, à la veille de l’Aïd [fête du mouton], Israël a décidé de ne pas laisser passer l’argent.

L’autorité palestinienne n’a pas pu payer les salaires, tandis que le Hamas a réussi à les payer à temps, en shekel. Personne ne peut accepter et justifier des attaques contre les civils, mais ça ne donne pas le droit de mettre toute une nation en état de siège. Si vous enfermez un chat pendant trois jours, sans lui donner à manger et à boire, dès que vous ouvrez la porte, il va vous mordre. Ils sont en train de pousser Gaza au-delà de ce scénario. Combien de temps est-ce qu’un être humain peut supporter l’humiliation?

swissinfo: Que cherche Israël?

I.Y.: Israël veut pousser Gaza à se séparer de la Cisjordanie. C’est très difficile d’avoir un Etat palestinien, c’est un idéal qui n’a pas de bases. Avant 1967, Gaza était sous administration égyptienne et la Cisjordanie sous administration jordanienne. Après 1967, elles sont passées sous administration israélienne.

Depuis 1994, le processus de paix d’Oslo a initié une politique systématique de séparation. Israël est en train de pousser Gaza vers l’Egypte pour se décharger de ses responsabilités. Et la communauté internationale dit: comme vous êtes séparés, on ne peut pas trouver un point d’accord.

swissinfo: L’élection d’Obama va-t-elle changer quelque chose?

I.Y.: Je ne pense pas. J’ai suivi ses discours: il s’est concentré surtout sur l’Iran et l’Irak et il a parlé de la sécurité d’Israël. Ce qu’il va faire n’est pas encore clair. Mais l’Europe devrait jouer un rôle plus important. La Cisjordanie, Gaza et le Moyen-Orient sont son arrière-cour.

swissinfo: Que pensez-vous de l’Initiative de Genève?

I.Y.: Elle a ses points positifs, mais nous n’avons pas besoin de nouvelles idées. Nous en avons déjà assez. Nous connaissons les causes du problème et savons comment le résoudre. Le territoire occupé depuis 1967 est la terre de l’Etat palestinien. Les Palestiniens ont le droit d’y retourner. Comment? C’est une autre histoire, qui fait l’objet de négociations.

Nous avons besoin d’une approche basée sur le droit international. La communauté internationale aime jouer au donateur, mais l’argent sans pression politique ne servira à rien. Il y a une trop grande tolérance des pratiques d’Israël.

Intreview swissinfo, Isolda Agazzi / InfoSud

«La Suisse joue un rôle important et pas seulement dans cette partie du monde, assure Issam Younis. Nous suivons avec intérêt les votes de la Suisse au Conseil des droits de l’homme, parce qu’elle ne s’aligne pas forcément sur l’Union européenne.»

«Les Suisses connaissent très bien la situation et ils sont prêts à intervenir. C’est un petit pays, on ne peut pas en attendre des miracles, mais elle est prête à faire sa part et à essayer de mettre fin à la misère. La Suisse est un vieux partenaire de beaucoup de Palestiniens. Elle devrait pousser en faveur du processus de paix. En tant que gardien des conventions de Genève, elle devrait jouer un rôle plus politique.»

«La DDC fait un très, très bon travail en Palestine, notamment pour soutenir la société civile palestinienne, assure Issam Younis, mais la semaine passée, les Israéliens ont refusé l’accès à la bande de Gaza même à son représentant.»

La DDC, dont le bureau se trouve à Jérusalem, a octroyé 20 millions de francs à la Palestine en 2007. Les projets portent sur l’amélioration des perspectives de paix, l’amélioration des conditions de vie, l’encouragement d’institutions viables à long terme, le soutien à l’UNRWA, au PAM, au CICR et à diverses ONG palestiniennes et internationales.

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