Trump n’a pas renoncé à affaiblir les organisations internationales
Lorsque Donald Trump est entré en fonction en janvier dernier, les responsables genevois ont prédit une période tumultueuse pour les organisations internationales comme l'ONU. Depuis lors, ladite Genève internationale a été en grande partie épargnée par les coupes budgétaires. Mais des observateurs préviennent que la politique étrangère «America First» de Trump pourrait à terme conduire à une catastrophe.
«Nous vivons une expérience gigantesque et risquée et c’est un véritable test pour les institutions américaines et mondiales», s’inquiète Thomas BierstekerLien externe, spécialiste de la gouvernance mondiale au Graduate institute (IHEID) à Genève, à swissinfo.ch.
Poussé par ses promesses de mettre l’Amérique au premier plan, le président des USA s’est concentré sur la renégociation des relations extérieures, faisant confiance aux accords bilatéraux, tout en portant plusieurs coups à la coopération internationale et à la diplomatie multilatérale.
En ce qui concerne le commerce international, Donald Trump s’est plaint du déficit commercial des États-Unis avec la Chine, a critiqué l’Organisation mondiale du commerce (OMC) basé à Genève, s’est retiré des pourparlers commerciaux du Partenariat transpacifique et a exigé une révision de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).
Au cours de la campagne, il a ouvertement critiqué des organisations comme l’ONU. Au pouvoir, il a semblé adoucir son ton, affirmant que l’ONU avait un grand potentiel, louant le Secrétaire général Antonio Guterres pour son travail de réforme et promettant d’être un «partenaire» pour faire de l’organisation une «force plus efficace pour la paix».
Pourtant, en juin, le président a annoncé qu’il souhaitait retirer les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat et, en octobre, les États-Unis ont officiellement informé l’UNESCO qu’ils s’en retiraient, invoquant «la persistance d’un parti pris anti-israélien». En décembre, les États-Unis se sont également retirés de l’initiative des Nations unies en matière de migration.
Et ça n’est pas tout. Washington a également revu à la baisse son financement des institutions internationales. En avril, l’administration Trump a décidé de réduire les dons au Fonds des Nations Unies pour la population (UNPFA). Ce mois-ci, le département d’État américain (ministère des affaires étrangères) a déclaré qu’il divisait par deux son aide de 125 millions de dollars destinée à l’Office des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA). Mais la décision financière la plus importante a été prise juste avant Noël lorsque Washington a annoncé que le budget de fonctionnement de l’ONU pour 2018-2019 serait amputé de 5 % à 5,4 milliards de dollars. Et cela suite à une campagne concertée des États-Unis et de l’Union européenne.
Les États-Unis sont le principal contributeur de l’ONU, avec 22 % de son budget de base et 28,5 % de son budget de maintien de la paix de 7,3 milliards de dollars. Ils sont également le principal bailleur de fonds des grandes institutions spécialisées des Nations Unies comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), dont le siège est à Genève.
Genève est reconnue comme une plaque tournante pour des dizaines d’organisations internationales, les Nations Unies et plus de 250 agences non gouvernementales.
«Nous ne les laisserons plus profiter de la générosité du peuple américain», a déclaréLien externe l’ambassadrice des États-Unis auprès de l’ONU Nikki Haley, ajoutant que «l’inefficacité et les dépenses excessives de l’organisation» étaient bien connues.
Incidence financière limitée
Valentin ZellwegerLien externe, ambassadeur de Suisse à l’ONU (Genève) relève qu’ «à ce stade, il est encore trop tôt pour dire quelles seront les conséquences concrètes sur les organisations internationales basées à Genève. Les coupes budgétaires décidées à la 5e Commission de l’Assemblée générale en décembre affectent le Secrétariat de l’ONU de manière transversale, et non seulement les organisations internationales basées à Genève. Par ailleurs, il est important de noter certaines évolutions positives, comme la création de cinq postes pour les organes de traités dans le domaine des droits de l’homme à Genève ainsi que cinq postes pour ONU-Femmes, dont un à Genève.»
Ian Richards, secrétaire exécutif du syndicat des Nations Unies, estime que la réduction du budget de base n’aura qu’un impact limité à Genève. Selon un articleLien externe paru récemment dans la Tribune de Genève, le lobbying de António Guterres et l’arbitrage de dernière minute d’un groupe de pays, dont la Suisse, auraient réussi à limiter les pertes d’emplois.
Interrogées par swissinfo.ch, de nombreuses organisations spécialisées basées à Genève, telles que l’Organisation internationale du travail (OIT), qui dépendent principalement de dons volontaires des Etats, se disent confiantes que les niveaux actuels de financement du gouvernement américain ne devraient pas être affectés.
Au contraire, le politologue américain David SylvanLien externe qualifie d’importante la réduction du budget de base de l’ONU. Professeur au Graduate Institute, il pense aussi que la pression américaine sur les budgets de l’ONU et de ses agences spécialisées se poursuivra.
Un système multilatéral en péril
Mais plutôt que financière, la menace la plus grave qui pèse sur la Genève internationale vient de l’affaiblissement à long terme de la légitimité du système multilatéral, ajoute David Sylvan.
L’OMC est une cible évidente. Mu par ses promesses de mettre l’Amérique au premier plan et de protéger les travailleurs américains contre ce qu’il considère comme des pratiques commerciales déloyales de la Chine et d’autres pays, Trump a affaibli l’OMC et son organe de règlement des différends commerciaux. Un avis partagé. «Rétrospectivement, 2017 pourrait marquer le début de la fin d’un système de libre-échange fondé sur des règles communes», a déclaréLien externe à l’agence Reuters André Sapir, chercheur à l’Institut d’études économiques Bruegel, à Bruxelles.
Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU est également dans la ligne de mire de Washington. Lors de sa visite en juin dernier à Genève, Nikki Haley a déclaré que le conseil doit se réformer et éliminer ses préjugés «anti-israéliens chroniques». Bien qu’elle n’ait pas annoncé un retrait des États-Unis du Conseil, elle ne l’a pas non plus exclu à terme.
Thomas Biersteker relève que personne n’a été nommé comme nouveau chef de la mission américaine à Genève et comme représentant permanent des États-Unis auprès de l’OMC et du Conseil des droits de l’homme depuis la victoire présidentielle de M. Trump : «C’est révélateur d’un manque d’intérêt pour le monde et c’est conforme à une tendance isolationniste.»
Boucher les trous
Après un an d’observation de Trump, il est souvent difficile d’expliquer le motif de ses tweets impulsifs et réactifs sur les affaires étrangères. Mais une chose est claire, pour Thomas Biersteker: «Il est toujours en mode campagne électorale. Et à certains égards, il est comme un chien qui aboie, mais ne mord pas.»
Se référant au fait que nombre de postes de haut-rang n’ont pas été repourvus au sein de l’administration, en particulier au ministère des affaires étrangères, David Sylvan relève que «personne ne s’occupe de la boutique, alors c’est le statu quo. La politique américaine à l’égard des organisations internationales est menée à un niveau beaucoup plus bas en raison des tensions entre Trump, le secrétaire d’État américain Rex Tillerson et le département d’État.»
L’une des leçons intéressantes de 2017, les deux experts en conviennent, est que d’autres pays cherchent à remplir certains des rôles de leadership laissés vacants par les États-Unis, comme le montre l’Accord de Paris sur le climat et, plus récemment, lors d’un débat du Conseil de sécurité des Nations unies sur les manifestations iraniennes.
«Le retrait ou l’abdication du leadership américain n’a pas été aussi extrême que nous le craignions, mais il pourrait finir par avoir des effets désastreux. Quoi qu’il en soit, le reste du monde avance et n’attend pas que les États-Unis se réveillent. Les autres puissances disent que le changement climatique, comme d’autres sujets sont des questions trop importantes et qu’elles poursuivront ces programmes avec ou sans les USA», relève Thomas Biersteker.
Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand
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