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Guantánamo, symbole de l’arbitraire

Keystone

Le député au Conseil de l'Europe et sénateur Dick Marty salue la décision du président américain Barack Obama de fermer la prison illégale à Cuba. Pour le Tessinois, Guantánamo est le symbole d'une politique antiterroriste arbitraire et inefficace.

Dick Marty s’occupe depuis longtemps déjà du dossier des personnes arrêtées par les Etats-Unis suites aux attentats du 11 septembre 2001. Il avait notamment enquêté sur les vols et les prisons secrets de la CIA en Europe pour le compte du Conseil de l’Europe.

swissinfo: Qu’arrivera-t-il aux plus de 200 prisonniers encore détenus à Guantánamo?

Dick Marty: C’est un grand problème. Cela me rappelle Kafka… Des gens sont enfermés à Guantánamo sans que les autorités aient la moindre preuve contre eux. D’un point de vue juridique, ils ne sont pas coupables, ce sont des personnes qui ont été arrêtées en un certain endroit de la planète, souvent par des bandes pakistanaises ou afghanes, qui les ont vendues à la CIA pour 5000 dollars.

Avec le temps, même les Américains ont remarqué qu’on ne pouvait retenir aucune charge contre ces personnes enfermées illégalement. Plusieurs d’entre elles ont été libérées ces dernières années. D’autres doivent rester parce que si elles étaient expulsées, elles risqueraient l’arrestation et la torture dans leur pays d’origine. Il n’est pas tolérable que ces gens soient considérés comme des terroristes.

A mon avis, il revient à la communauté internationale de trouver une solution humanitaire.

swissinfo: La Suisse et d’autres pays occidentaux ont proposé d’accueillir des détenus. Ne devrait-il pas s’agir d’un problème strictement américain?

D.M.: Non, absolument pas. Presque tous les Etats ont collaboré à cette guerre antiterroriste mise sur pied par l’administration Bush, même si tous n’y ont pas mis la même intensité. Mais tous l’ont tolérée. Une responsabilité collective s’impose.

swissinfo: A quel point la Suisse a-t-elle soutenu cette guerre?

D.M.: La Suisse a toléré que les avions de la CIA survolent son territoire. Personne n’a voulu savoir ce qui se passait dans ces avions. Si nous voulons rester fidèles à notre tradition humanitaire, nous devons proposer notre aide. Je suis heureux que le gouvernement ait franchi cette étape.

swissinfo: Que se passera-t-il avec les prisonniers qui ne seront pas libérés car de graves soupçons pèsent sur eux?

D.M. Cela est un énorme problème pour l’administration Obama. Comment utiliser contre ces suspects des preuves qui ont été obtenues sous la torture et par des moyens illégaux? Ce genre de preuves est inutilisable dans tous les pays civilisés.

swissinfo: En novembre dernier, la Suisse a rejeté les demandes d’asile de trois anciens détenus de Guantánamo. Aujourd’hui, elle est prête à en accueillir d’autres. N’est-ce pas une contradiction?

D.M.: Il y a d’abord eu une décision administrative, en l’occurrence de l’Office fédéral des migrations, et maintenant une décision politique au plus haut niveau. J’aurais été heureux qu’on prenne cette mesure immédiatement, sans attente que la nouvelle administration Obama soit en place.

Car chaque jour qui passe est un jour de plus pour ces gens enfermés illégalement dans une prison. Celles et ceux qui ont un tant soit peu un sentiment du droit doivent réfléchir à cette situation.

swissinfo: Y voyez-vous aussi un lien avec les intérêts suisses, notamment le fait qu’UBS soit sous le coup d’enquêtes aux Etats-Unis?

D.M.: Je ne pense pas que l’administration Obama va soudainement changer son opinion sur l’affaire d’UBS parce que trois ex-détenus de Guantánamo seraient accueillis en Suisse. L’offre est un signe de notre bonne volonté et il est apprécié à ce titre par le nouveau gouvernement.

swissinfo: Des observateurs critiques, parmi lesquels les cantons, mettent en garde contre l’accueil de gens potentiellement dangereux. Y a-t-il un risque?

D.M.: Faisons l’hypothèse que je sois un jour interné en clinique psychiatrique suite à une confusion ou un faux diagnostic. Les médecins finissent par dire: «Cet homme n’est pas à sa place ici, il faut le laisser sortir.» Je sors. Et tous disent que je suis fou et malade, parce que j’ai fait un passage en psychiatrie!

Dans un Etat de droit, on reste sans voix devant de telles réactions.

swissinfo: Pas de risque pour la Suisse, donc?

D.M.: Qui nous fera croire que la sécurité de la Suisse ou des cantons est menacée par l’arrivée de trois anciens détenus de Guantánamo?

Ce qui me dérange aussi dans cette réaction est que, s’il s’agissait de trois milliardaires russes soupçonnés d’avoir des liens avec la mafia, on les accueillerait.

swissinfo: Au Conseil de l’Europe, vous avez lancé un appel pour que la vérité soit enfin faite sur les prisons secrètes de la CIA. C’est un appel au nouveau président ou à l’Europe?

D.M.: A tous. Je crois que l’Amérique a déjà fait un énorme pas en reconnaissant que Guantánamo est illégal et qu’il y a des prisons secrètes que l’on doit fermer.

Il revient aux Européens de faire le pas suivant. Ils doivent reconnaître qu’ils ont travaillé pour l’OTAN. Tous les membres de l’OTAN ont participé. Mais on ne peut plus se couvrir avec le secret d’Etat, désormais.

Tous les gouvernements ont le devoir de dire la vérité ou au moins d’enquêter pour connaître la vérité. La vérité est le bien le plus précieux d’une démocratie.

swissinfo: Qu’attendez-vous encore du nouveau président américain en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme?

D.M.: Je souhaite une lutte «propre» et efficace et j’attends aussi qu’il se préoccupe des circonstances politiques favorisant le terrorisme. Il s’agit ici de mener une véritable collaboration internationale.

L’administration précédente laissait prendre toutes les décisions importantes à la CIA, le reste des responsables ne pouvait que les soutenir.

Il est en outre très important que les Etats-Unis adhèrent au Tribunal pénal international, ce qu’ils se sont refusés de faire jusqu’ici, comme la Russie, la Chine et Israël.

Interview swissinfo, Gaby Ochsenbein
(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)

Prison ouverte pour les suspects des attentats du 11 septembre le 11 janvier 2002 sur la base navale de Guantánamo Bay, à Cuba.

Depuis, quelque 800 prisonniers y ont été emmenés.

Fin 2008, il y avait environ 250 personnes de 30 pays. Une centaine sont originaires du Yémen.

Pour près de 60 prisonniers, un retour dans leur pays est synonyme d’arrestation, de torture et de détention arbitraire. Les pays concernés sont la Chine, la Libye, la Russie, la Syrie, la Tunisie et l’Ouzbékistan.

Suite à la décision du président Obama de fermer la prison, Washington a demandé l’aide de ses partenaires étranger pour y parvenir.

Le CICR a annoncé que 4 Irakiens ont été transférés le 18 janvier
vers leur pays.

1945: naissance au Tessin.

1975: licence en droit à Neuchâtel, puis doctorat.

1975-1989: procureur du Tessin.

1989-1995: membre du gouvernement cantonal tessinois.

1995: élu à la Chambre haute du Parlement fédéral sous l’étiquette radicale (PRD / droite)

Depuis 1999: député au Conseil de l’Europe.

Depuis 2005: préside la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme du Conseil de l’Europe (CE).

2005-2007: rapporteur spécial du CE sur les transports de prisonniers par la CIA en Europe et sur les prisons secrètes en Europe.

2007: Prix de la Société internationale pour les droits de l’homme (SIDH).

Depuis juillet 2008: enquête pour le CE sur un trafic d’organes présumé au Kosovo.

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