Comment est née la protection des civils en temps de guerre
Malgré son isolement relatif après la Deuxième Guerre mondiale, en raison de ses relations avec les puissances de l'Axe, la Suisse réussit à convoquer une importante conférence diplomatique en 1949 afin de renouveler les Conventions de Genève. Une étape fondamentale dans l'évolution du droit international humanitaire.
La Deuxième Guerre mondiale a mis le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à rude épreuve. Bien que l’organisation ait pu aider des milliers de prisonniers de guerre, ses efforts pour protéger la population civile ont eu des effets plutôt limités. Et le CICR n’a pas vraiment cherché à s’opposer à l’extermination des Juifs et des TsiganesLien externe par le régime nazi.
«Plus encore que tous ceux qui l’ont précédé, le dernier conflit a causé d’indicibles souffrances. La guerre totale frappe cruellement et aveuglément. Elle n’épargne personne. Les misères et les calamités qu’elle entraîne sont terribles. Les Conventions de 1929 se sont, hélas, souvent révélées insuffisantes pour en atténuer les effets. Notre tâche sera de tenir compte des tragiques expériences que le monde a faites et de combler autant que possible les lacunes qui ont été constatées dans les textes de 1929. […] Par-dessus tout, la Seconde Guerre mondiale a démontré que les conventions de Genève resteraient incomplètes si elles n’assuraient pas également la protection des personnes civiles.»
Extrait du discoursLien externe prononcé par le conseiller fédéral Max Petitpierre à l’ouverture de la Conférence diplomatique le 21 avril 1949 à Genève.
+ Le CICR, un instrument des intérêts suisses ?
La Suisse, en tant qu’Etat dépositaire des Conventions de Genève, savait depuis longtemps que les bases juridiques internationales des activités de la Croix-Rouge étaient insuffisantes pour relever les défis posés par les conflits armés modernes.
Une réforme nécessaire
«La grande œuvre humanitaire conçue par Henri Dunant a rendu et rendrait encore d’immenses services en temps de guerre. Mais son efficacité dépend, dans une large mesure, des moyens juridiques dont elle dispose pour agir», écrivait le Conseil fédéral dans une lettre aux Etats signatairesLien externe des Conventions de Genève en juin 1939.
«Dès la Conférence internationale de la Croix-Rouge à Tokyo en 1934, des travaux concrets avaient démarré sur une révision des Conventions de La Haye et de Genève et sur de nouveaux projets de conventions, en particulier pour la protection des civils», rappelle Sabine Dändliker, collaboratrice scientifique aux Documents diplomatiques suisses (Dodis).
Dans les années qui suivirent, deux commissions d’expertsLien externe élaborèrent des propositions pour discussion lors d’une conférence diplomatique que la Suisse avait l’intention de convoquer en 1940. Le déclenchement de la guerre en décida autrement.
Après la fin des hostilités, le sujet a rapidement refait surface, et pas seulement à l’initiative de la Suisse. Lors d’un entretien en juin 1945 avec Carl J. BurckhardtLien externe, président du CICR et ambassadeur de Suisse à Paris, le ministre français des Affaires étrangères Georges BidaultLien externementionnaitLien externe par exemple «la nécessité de pousser dès maintenant la codification, dans le cadre des conventions, de tous les éléments résultant des expériences de cette guerre et ceci notamment en ce qui concerne la protection des civils.»
En avril 1947, une commission d’experts gouvernementaux, convoquée par le CICRLien externe à Genève, a formulé des recommandations en vue d’une révision des Conventions de Genève de 1929 (sur les blessés et malades et sur les prisonniers de guerre) et de la Convention de La Haye de 1907 sur la guerre navale. La commission a également posé les principes d’une nouvelle convention sur la protection des civils en cas de guerre.
Conférence internationale de Genève
Sur la base des travaux de la commission, le CICR a invité le Conseil fédéral à convoquer une conférence diplomatique pour discuter des nouvelles conventions. Le gouvernement s’est joint immédiatementLien externe au mouvement. «Dans un contexte international profondément modifié, il était vital pour la Suisse, qui n’était pas membre de l’ONU, de réaffirmer l’importance de sa neutralité et de préserver son rôle dans le développement du droit international humanitaire», note Sacha ZalaLien externe, directeur de Dodis.
Le processus de révision des Conventions de Genève offrait à la Suisse l’occasion, comme l’a noté en juillet 1947 Paul RueggerLien externe, envoyé suisse à Londres et futur président du CICR, de démontrer «la valeur et la nécessité de la neutralité suisse sans laquelle l’action de la Croix-Rouge Internationale ne peut pas […] se déployer efficacement.» Même si – ajoutait le diplomate – la Suisse devait éviter de donner l’impression de «vouloir amalgamer les intérêts de notre Pays avec ceux de l’organisation internationale de Genève».
Toutefois, la voie vers un renouvellement des Conventions de Genève n’était pas sans obstacles. Si l’accord des Pays-Bas, Etat dépositaire de la Convention de La Haye, n’a pas posé de problèmesLien externe particuliers, les critiques du CICRLien externe par la Croix-Rouge américaine et la Suède étaient plus préoccupantes.
Berne craignait «les ambitions dominatrices des Etats-Unis», visant à remplacer le CICR par la Ligue des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et la concurrence de la Suède, qui, contrairement à la Suisse, avait rejoint l’ONU dans le domaine humanitaire.
Il y avait aussi la question de la participation des pays d’Europe orientale au processus de révision du droit international humanitaire. Paul Ruegger avait fait remarquerLien externe en 1947 «qu’une condition de la Russie est, bien sûr, la participation effective de l’Union soviétique et des Etats se trouvant derrière le rideau de fer.»
L’un des obstacles possibles à la participation des pays du bloc socialiste était la présence du dictateur espagnol Franco, invité à la conférenceLien externe en tant que qu’Etat signataire des Conventions de Genève de 1929. L’invitation adressée à Israël, dont le gouvernement provisoire en 1948 avait notifié au gouvernement suisse son intention d’adhérer aux Conventions de Genève, a également provoqué quelques bouleversements.
Le jour de l’ouverture de la conférence diplomatique à Genève, le 21 avril 1949, les chefs des délégations de l’Afghanistan, de l’Egypte, du Liban, du Pakistan et de la Syrie protestèrentLien externe «énergiquement» contre la présence des «Sionistes de Palestine sous le nom d’Etat d’Israël».
Malgré les difficultés, «durement touchée par les divergences d’opinion compréhensible, mais parfois profondes», comme le relevait Max PetitpierreLien externe, la conférence diplomatique de Genève qu’il présida fut un succès. Le 12 août 1949, toutes les délégations présentes signèrent l’acte final. 17 pays, dont la Suisse, ont immédiatement signé les quatre conventionsLien externe élaborées par la conférence.
+ Grandeur et limites des Conventions de Genève (2009)
Une deuxième cérémonie de signature eut lieu à Genève le 8 décembre 1949. Quatre jours plus tard, la délégation soviétique, arrivée en retard en Suisse pour cause de mauvais temps, signa également les documents.
Max Petitpierre avait écrit à Paul Ruegger quelque temps auparavant: «Comme vous, je pense que la Conférence a fait ressortir ce qu’il y a de constructif dans la neutralité perpétuelle de notre pays.»
Traduit de l’italien par Frédéric Burnand
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.