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Quand le Shah d’Iran s’est brouillé avec la Suisse

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Les locaux du consulat général d'Iran à Genève pendant son occupation par un groupe d'étudiants iraniens en juin 1976. SRF

En 1976, un groupe d'étudiants iraniens occupe le consulat général d'Iran à Genève. Cette affaire met à rude épreuve les relations entre la Confédération et un monarque qui réprime durement ses opposants. À Berne, les intérêts économiques prévalent.

Le matin du 1er juin 1976, deux jeunes gens se présentent au consulat d’Iran à Genève pour renouveler leur passeport et sont reçus par le consul adjoint. Quelques minutes plus tard, une dizaine d’autres jeunes entrent dans le consulat et occupent les locaux. Alors que certains des occupants commettent des actes de vandalisme, d’autres utilisent le téléscripteur du consulat pour envoyer un communiqué de presse, selon le rapportLien externe établi dans la foulée par la police genevoise.

Les inspecteurs arrivent sur les lieux vers onze heures. Les occupants – des étudiants iraniens vivant en Italie, en Allemagne et en Autriche – acceptent, après discussions, de quitter les lieux. Les agents notent que le personnel du consulat n’a pas subi de sévices, à l’exception du consul général Reza Esfandiary, «lequel a été aspergé de vernis noir à la face et sur ses vêtements».

Au début, cependant, les policiers semblent ne pas avoir compris la raison principale de cette action: les militants ont pénétré dans le bureau occupé par des agents de la Savak, la police secrète du Shah, pour y voler des milliers de documents. Et dans les semaines qui suivent, des extraits de ces documents sont publiés dans la presse.

«Les autorités fédérales se retrouvent dans une situation très délicate», note Sacha Zala, directeur des Documents diplomatiques suisses (DodisLien externe). «D’une part, ils doivent faire face à la dure réaction de Téhéran, d’autre part, ils sont confrontés à l’indignation de l’opinion publique suisse sur les activités de la Savak sur le sol suisse.»

L’occupation du consulat général à Genève, comme l’écrit l’historienne Daniela Meier Mohseni, auteure d’un livre en allemand* sur les relations entre la Suisse et l’Iran, «a marqué l’apogée des actions perturbatrices de l’opposition iranienne dans le pays de vacances du Shah».

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Un invité de marque de plus en plus contesté

Mohammad Reza Pahlavi (Shah d’Iran entre 1941 et 1979) a suivi une partie de ses études (1931-36) au très select Institut Le Rosey à Rolle, sur les bords du lac Léman. Un séjour qui marque le début d’une relation personnelle avec la Suisse. Depuis la seconde moitié des années 1960, il y passe régulièrement ses vacances avec sa troisième épouse, Farah Diba.

>> Une interview du Shah d’Iran et de son épouse à leur descente d’avion à Genève en mai 1962 (archives RTS)

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En 1968, il acquiert une villa dans la station grisonne de Saint-Moritz, qui devient rapidement une résidence d’hiver informelle pour la cour impériale.

Mais la présence du Shah en Suisse finit par causer des soucis aux autorités fédérales. Dans les années 1960, le despotisme croissant du régime de Reza Pahlavi incite l’opposition iranienne à s’organiser au niveau international, en s’associant notamment avec des mouvements étudiants. Le premier signe de cette alliance vient de BerlinLien externe où, en 1967, une manifestation contre une visite du Shah provoque des troubles.

Un mouvement d’opinion hostile au régime iranien se forme également en Suisse. À l’automne 1971, la participation de la Suisse aux somptueuses célébrations du 2500e anniversaire de l’Empire perse à Chiraz, l’ancienne Persépolis, suscite une large controverseLien externe.

Au même moment, la condamnation à mort du frère d’un étudiant iranien en Suisse provoque des protestations. En juin 1972, la venue à Genève du Shah pour participer à l’assemblée générale de l’Organisation internationale du travail (OIT) est accueillie par de virulentes manifestations de rue.

Des protestations qui obligent Berne à accorder une attention particulière à la sécurité de la famille impériale dans sa résidence de Saint-MoritzLien externe et dans ses autres lieux de résidence en Suisse. Le Shah, lui, ne manque pas d’exprimer sa déceptionLien externe face aux critiques à l’encontre de sa personne et de sa politique.

Intérêts économiques croissants

Après des années de désintérêt relatif de l’industrie suisse pour le marché iranien (Reza Pahlavi s’en plaint encore en 1970Lien externe), le volume des échanges entre les deux pays augmente rapidementLien externe au cours des années 1970.

>> «Iran, les dollars et le rêve», un reportage de Temps Présent,  alors que les pays occidentaux subissent de plein fouet le premier choc pétrolier (RTS, avril 1974)

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Tirée par le secteur pétrolier, l’économie iranienne devient particulièrement attractive pour les exportateurs suisses. Les gros investissements du régime de Téhéran dans les forces armées offrent également de nouvelles opportunités. En quelques années seulement, l’Iran devient l’un des principaux clients de l’industrie suisse de l’armement, même si les autorités fédérales sont conscientesLien externe des réactions que peuvent provoquer ces ventes. En 1975, la balance commerciale entre les deux pays penche résolument en faveur de la Suisse, à hauteur de 530 millions de francs suisses (valeur de l’époque).

L’affaire de la Savak

L’équilibre prudent de la politique suisse, soucieuse de profiter de la croissance économique de l’Iran, mais aussi attentive aux sensibilités de l’opinion publique, est perturbé par l’occupation du consulat iranien à Genève.

Cette action place les autorités fédérales dans une situation très difficile: le droit internationalLien externe donne à l’État hôte, en l’occurrence la Confédération, l’obligation de protéger les représentations consulaires et leurs archives. Toutefois, les autorités judiciaires compétentes sont celles du canton de Genève.

Les occupants sont d’abord arrêtés, puis libérés sans caution et quittent la Suisse. Les documents subtilisés sont également sortis du pays. L’ambassade iranienne dépose dans un premier temps une plainte contre les étudiants, avant de changer d’avis pour éviter d’offrir une plateforme politique à l’opposition. Cependant, les avocats de la défense parviennent à maintenir la poursuite de la procédureLien externe judiciaire en vue d’un procès.

De son côté, la police fédérale enquête sur les activités de la police secrète du Chah en Suisse, à la suite notamment d’une question urgentLien externee posée par Jean Ziegler, alors parlementaire socialiste. L’enquête sur la Savak conduit à l’expulsion en août du premier secrétaire de la délégation permanente iranienne auprès de l’ONU à Genève, Ahmad Malek-Mahdavi.

Un souverain offensé

L’Iran réagit avec indignation, expulsant à son tour un diplomate suisse. Les relations entre les deux pays entrent dans une crise profonde. Le gouvernement iranien accuse la Suisse de favoriser l’opposition iranienne et demande à plusieurs reprises une sanction exemplaire à l’encontre des occupants et la restitution des documents volés. D’autre part, il s’attache à ne pas reconnaître l’authenticité des documents volés, empêchant ainsi la tenue du procès à Genève.

«Ce qui est évident, et j’en ai les preuves, c’est que le Souverain iranien est très mécontent», écrit en septembre 1976Lien externe Charles-Albert Wetterwald, l’ambassadeur de Suisse à Téhéran. «Il n’a pas caché à un de nos compatriotes, reçu en audience, que l’attitude suisse l’avait vexé et qu’il pouvait bien se passer de nous.»

Le mécontentement du souverain se manifeste concrètement par la révocation du traitement favorable précédemment accordé aux entreprises suisses. Alors que les problèmes avec le secteur privé sont relativement limités, l’industrie suisse se heurte à des obstacles croissants pour accéder aux marchés publics. Des millions de dollars sont en jeu.

Les entreprises poussent au dégel

Les autorités fédérales n’ont de cesse de trouver des solutionsLien externe. En novembre 1976, elles en viennent à faire pressionLien externe sur la télévision publique alémanique (DRS) pour qu’elle reporte de quelques jours l’émission CH-Magazins consacrée à l’affaire de la Savak en Suisse et qu’elle intègre le point de vue du gouvernement.

>> Une émission sur la Savak, la police politique du régime, et ses activités en Suisse (RTS, décembre 1976)

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Au cours de l’hiver, la crise finit par s’apaiser. En mars 1977, divers signaux envoyés à Téhéran permettent enfin à la Suisse d’envoyer un messager de paix à la cour du Shah, en la personne de l’ancien président de la Banque nationale suisse (BNS), Edwin Stopper. «Les échanges sur les problèmes économiques n’ont commencé qu’après que la paix avait été scellée par une tasse de thé », précise Edwin StoppeLien externer. Au cours des discussions, le Shah a réitéré son intérêt pour la promotion et le développement des relations commerciales avec la Suisse.

«Au-delà des gestes de réconciliation, les intérêts économiques finissent par prévaloir sur les frictions politiques», note Yves Steiner, collaborateur de Dodis. Cette nouvelle harmonie permet à l’industrie suisse de renouer avec les bonnes affaires. Entre 1976 et 1977, les exportations vers l’Iran augmentent de 20%. Mais peu après, la révolution qui porte au pouvoir l’Ayatollah Khomeini change le cours des relations entre les deux pays.

>> Un reportage chez des Suisses restés à Téhéran, alors que la révolution khomeyniste est toujours en cours (RTS, mars 1979):

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Cet article fait partie d’une série consacrée aux Histoires de la diplomatie suisse, en partenariat avec les Documents diplomatiques suisses (DodisLien externe).

Institut de l’AcadémieLien externe suisse des sciences humaines et sociales, le Centre de recherche Dodis réunit des historiens indépendants qui s’attachent à rendre compte de la politique étrangère et des relations internationales de la Suisse depuis la fondation de l’État fédéral en 1848, sur la base des documents diplomatiques que le centre numérise depuis plus de 20 ans.

* Daniela Meier: Helvetias guter Draht zum Pfauenthron. Die Beziehungen der Schweiz zu Iran (1946-1978). Zurich (Editions Orell Füssli ), 2002.

Traduit de l’italien par Frédéric Burnand

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