«Cette élection n’est pas une surprise»
L’élection d’Ignazio Cassis au gouvernement marque le grand retour de la Suisse italophone au gouvernement. Pour Nenad Stojanovic, politologue, universitaire et ancien journaliste parlementaire, ce choix de l’Assemblée fédérale était hautement prévisible. Interview.
swissinfo.ch: On peut dire que l’élection d’Ignazio Cassis a été conforme à ce que tout le monde attendait, y compris vous.
Nenad Stojanovic: Effectivement, cette élection n’est pas une surprise. On savait dès le début qu’Ignazio Cassis était le favori. Il y a toutefois eu un petit moment de suspense lors du premier tour, lorsqu’il n’a reçu que 109 voix. Certains observateurs pensaient qu’il aurait pu avoir la majorité absolue dès le premier tour, ce qui n’a pas été le cas.
Mais au second tour, il y eu 125 voix, ce qui correspond grosso modo au soutien presque compact de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), d’environ deux tiers du Parti libéral-radical (PLR / droite) et d’environ la moitié du Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit). Cela veut dire également qu’il n’a eu que très peu ou peut-être même aucun soutien de la part de la gauche. Mais il ne s’agit évidemment que de suppositions. On ne sait jamais comment les parlementaires ont voté.
swissinfo.ch: Bien que ne faisant pas partie du Parlement fédéral, le Genevois Pierre Maudet est arrivé en deuxième position. Une très bonne performance qui peut étonner. Comment l’expliquez-vous?
N.S.: Pierre Maudet a obtenu 90 voix au second tour, ce qui est un résultat tout à fait honorable. Il a fait une excellente campagne personnelle à partir du début août. Il a approché pratiquement tous les membres du groupe libéral-radical aux Chambres fédérales, afin de figurer sur le ticket officiel du parti. Il y est parvenu et a ensuite continué cette campagne auprès d’autres parlementaires. On peut dire qu’il n’avait rien à perdre et, vu qu’il est jeune – 39 ans –, on peut se dire qu’il aura des chances s’il se représente dans une dizaine d’années, quand Ignazio Cassis s’en ira.
swissinfo.ch: A contrario, Isabelle Moret signe presque une contre-performance pour quelqu’un de bien connue au Parlement.
N.S.: Elle aurait bien sûr pu espérer avoir plus de voix au premier tour par rapport à Pierre Maudet. Elle n’a pas réussi, même si elle a eu un bon score au premier tour avec 55 voix contre 62 à Pierre Maudet. Au second tour, elle a perdu du terrain avec seulement 28 voix. Cela signifie que beaucoup de supporters d’Isabelle Moret au premier tour se sont orientés ensuite vers ses deux adversaires.
swissinfo.ch: On avait dit dès le départ que cette candidature d’Isabelle Moret était peut-être la plus faible des trois, alors qu’elle aurait par exemple pu profiter d’un effet femme. Les attaques personnelles entendues durant la campagne ont-elles pu jouer un rôle?
N.S.: Je ne dirais pas qu’elle est partie avec un handicap dès le début. Elle avait même plus de chances que Pierre Maudet, étant donné qu’on la connaît depuis longtemps au Parlement. C’est vrai que durant le mois d’août, les médias disaient qu’elle n’a pas le format, qu’elle ne résiste pas au stress et qu’elle donne des réponses contradictoires. On peut aussi spéculer sur le fait qu’il y a eu un effet femme négatif pour elle.
Mais d’après ce que j’ai entendu hier soir encore à l’Hôtel Bellevue, où étaient réunis bon nombre de journalistes et de politiciens, on relevait surtout qu’elle n’avait pas convaincu par rapport à la connaissance des dossiers et que Pierre Maudet était meilleur sur ce point.
swissinfo.ch: Une bonne partie de la campagne s’est faite dans les médias et donc sous les yeux du public. C’est un phénomène assez nouveau en Suisse. S’achemine-t-on vers des sortes de primaires à la française?
N.S.: Il était effectivement surprenant de constater un tel intérêt pour une élection que tout le monde estimait jouée d’avance. Pourtant, il régnait une sorte de tension qu’on n’avait pratiquement jamais vu auparavant.
swissinfo.ch: Pour le Tessin, cette élection est-elle surtout un symbole ou aura-t-elle des effets concrets?
N.S.: C’est bien sûr surtout symbolique, mais les symboles politiques sont importants. C’est symbolique parce que le conseil fédéral doit représenter l’ensemble du pays et essayer de défendre les intérêts de toutes les régions.
C’est une réussite qui suit plusieurs échecs de candidats italophones qui n’avaient même pas réussi à convaincre dans leurs rangs. Cette fois, cela a fonctionné, parce que la Suisse romande est considérée comme surreprésentée au gouvernement avec trois membres sur sept, ce qui est très rare. Beaucoup de gens en Suisse alémanique ont considéré qu’il était préférable de céder une place à la minorité italophone qui n’était plus représentée depuis 1999.
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