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Une gifle pour l’UDC qui préserve l’Etat de droit

Manifestation de joie des adversaires de l'initiative à l'annonce des résultats définitifs. Keystone

Pour la presse suisse, le refus clair de l’initiative de mise en œuvre de l’expulsion des «criminels étrangers» représente un véritable camouflet pour l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice). Par ce vote, les citoyens ont plébiscité une politique raisonnable et refusé des recettes populistes. Reste à voir si ce vote constitue un tournant. 

Pour la presse suisse, le résultat de dimanche marque clairement une défaite pour l’UDC. Que ce soit en allemand, français ou italien, le mot que l’on rencontre le plus souvent pour qualifier ce résultat est celui de «gifle» pour le premier parti du pays.

C’est notamment le cas du «Temps». Le quotidien romand estime que «les représentants de l’UDC réunis hier à Einsiedeln pouvaient se lamenter, car la magie noire qu’ils ont tentée ce week-end n’a pas fonctionné comme prévu. Renverser l’ordre juridique, violer la séparation des pouvoirs, agiter les peurs, tout cela aurait pu amener à ce que la poudre et la foudre embrasent la vie politique suisse. Au lieu de cela, c’est une saine sanction démocratique qui s’est exprimée».

«Pour un parti qui avait fait de cette votation un symbole de la trahison de la volonté populaire de la part de la ‘caste’ politique, il s’agit d’une journée à oublier», note pour sa part la «Regione Ticino», journal de Bellinzone. 

En Suisse alémanique, le «Tages-Anzeiger» estime que «ce résultat est un affront pour l’UDC qui doit concéder une défaite dans une politique des étrangers qui est son cœur d’affaires. Ce fut un jour terrible pour l’UDC et une grande journée pour la Suisse.»

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«24 heures» conclut que la droite conservatrice a perdu un peu de son flair dans cette affaire. «Cette fois, les stratèges de l’UDC n’ont pas senti d’où le vent pouvait souffler. Le parti nationaliste conservateur est pourtant passé maître dans sa faculté à identifier, intensifier et scénariser les problèmes qui préoccupent les Suisses», juge le quotidien vaudois.

Une victoire de la raison… 

Pour beaucoup de commentateurs, le résultat de dimanche est dû au fait que les Suisses ont privilégié la raison. «La Suisse calme le jeu», titre par exemple «Le Matin». Le quotidien populaire romand estime que «les Suisses ont dit non à un parti qui transforme notre paysage politique en campagne perpétuelle. Fatigués peut-être des attaques à répétition contre le système et les institutions suisses». 

«Il se confirme une tendance qui dure depuis des décennies: les citoyens débattent encore et encore sur la bonne politique des étrangers, mais rejettent les pseudo-solutions extrêmes telles l’initiative de mise en œuvre», écrit la «Neue Zürcher Zeitung». Le quotidien zurichois note encore que «les étrangers qui vivent en Suisse peuvent respirer. Ils ne seront pas bannis dans le ghetto d’une justice à deux vitesses.» 

«Une majorité claire des citoyens résiste à la tentation de se défouler sur les étrangers criminels et leurs familles. Le sens de ce que notre Etat de droit tolère est intact. Et la confiance du peuple dans les juges et le Parlement et bien plus grande que ce que l’UDC prétend toujours. Le refus de l’initiative de mise en œuvre est une défaite pour les populistes et une victoire de la raison et de l’empathie», juge de son côté le quotidien bernois «Der Bund».

«Le non à cette horrible initiative de mise en œuvre est un oui à une Suisse accueillante. A une Suisse des êtres humains plutôt que des possesseurs de passeport. A une Suisse de la raison et du cœur. Désormais, on peut être un peu plus fier de ce pays qu’auparavant. Le plus réjouissant et le plus important dans ce refus massif: l’UDC a échoué dans sa tentative de fourguer à la Suisse une identité qu’elle n’a pas. Ici les Suisse, là les étrangers. Les étrangers auraient en outre été exposés à des normes absurdement rigoureuses. L’UDC a besoin d’une xénophobie latente pour sa politique, pas la Suisse», juge le grand quotidien de boulevard alémanique «Blick», pourtant parfois critiqué pour ses gros titres sur des chauffards, des criminels ou des abuseurs de l’aide sociale d’origine étrangère. 

… sur les recettes à l’emporte-pièce 

Après avoir loué la raison, bon nombre de commentateurs fustigent les solutions simplistes et excessives de l’UDC.

C’est notamment le cas dans le commentaire commun des quatre quotidiens cantonaux romands «Le Journal du Jura», «La Liberté» (Fribourg), «L’Express» et l’«Impartial» (Neuchâtel). «La grande supercherie de l’UDC n’a pas passé la rampe. L’initiative dite de ‘mise en œuvre’ portait en effet très mal son nom. D’une part, le texte du parti blochérien ne visait pas à concrétiser le vote populaire de 2010 sur le renvoi des étrangers criminels: il le travestissait clairement, en le durcissant via un nouveau catalogue d’infractions mineures susceptibles de déboucher sur une expulsion du territoire suisse. D’autre part, il affirmait à tort que le Parlement fédéral rechignait à appliquer la première initiative.»

Plusieurs commentateurs estiment au passage que l’UDC est meilleure pour dénoncer des problèmes que pour apporter des solutions. C’est notamment le cas avec son initiative qui demandait une limitation de l’immigration, il y a deux ans.

«Deux ans après le 9 février 2014, l’impression que l’UDC soulève des lièvres mais n’apporte aucune solution a sans conteste pesé. Nous sommes entrés dans un climat d’incertitude économique. Celle-ci inquiète trop pour qu’on accepte de défier une fois de plus nos principaux partenaires et voisins – qui plus est en bafouant notre Constitution», remarque «24 heures».

Même constat pour le «Tages-Anzeiger». Pour le journal zurichois, «deux ans plus tard, on n’a pas avancé d’un mètre. Ce qui frappe bien plus, c’est l’insécurité juridique et les menaces de confrontation avec notre plus grand partenaire commercial».

Réactions de la presse internationale 

Corriere della seraLien externe (Italie): Le gouvernement suisse pousse un soupir de soulagement: une victoire du oui aurait mis encore un peu plus la Suisse dans l’embarras face à la communauté internationale. Mais le 59% sorti des urnes confirme le rapport contrasté de l’opinion suisse par rapport aux étrangers, un sentiment qui oscille entre refus et accueil le plus organisé d’Europe. 

Financial Times (Royaume-Uni): Le rejet clair de l’initiative de mise en œuvre, qui, jusqu’il y a peu de mois, semblait destinée au succès, a montré les limites de l’influence de la droite ultra-conservatrice, victorieuse lors des élections législatives d’octobre dernier. 

BBC (Royaume-Unis): Ce résultat est un coup dur pour le parti de droite. La participation élevée, supérieure à 60%, et la grande majorité contre l’initiative de mise en œuvre montrent clairement que le peuple était d’avis que l’UDC était allée trop loin. 

El País (Espagne): Le vote a mis une fois de plus en évidence la division de la société suisse sur le thème de la politique d’immigration et d’asile. 

Rue89Lien externe (France): On connait depuis des années le symbole du parti xénophobe suisse, l’UDC: deux moutons noir et blanc séparés par une frontière. Dimanche, c’est ce symbole qu’ont utilisé les Suisses pour se réjouir de la victoire du Non à une nouvelle votation à l’initiative de l’UDC. 

Libération (France): Ce refus net des Suisses marque un coup d’arrêt pour l’UDC qui a fait ces dernières années de l’immigration son sujet phare. 

Público (Portugal): Bien que 41% des Suisses étaient d’accord avec cette initiative, la majorité a eu le bon sens de la rejeter.

Pas une défaite totale

Malgré la «gifle» de dimanche, bien des commentateurs jugent que l’UDC n’est de loin pas à terre. «Ce vote est une nouvelle défaite pour l’UDC, dont on a tendance à ne retenir que les rares victoires thématiques. Ce n’est certainement pas un échec total. Très approfondi, le long débat a sensibilisé une seconde fois l’opinion aux mesures d’expulsion pour raisons de délinquance», note le journal des affaires «L’Agefi».

«Le parti a perdu un peu de crédibilité, mais ne ressort pas affaibli du scrutin et son message anti-étrangers reste porteur, avertit la «Tribune de Genève». Il a d’ailleurs encore une fois dicté l’agenda politique pendant des semaines et a réussi le «tour de passe-passe de faire revoter le peuple sur un sujet déjà accepté en votation et déjà traduit par le Parlement dans une loi d’application», souligne le quotidien valaisan «Le Nouvelliste».

«Mais dans l’euphorie de la victoire, les opposants se tromperaient s’ils considéraient le revers de cette journée pour l’UDC comme une défaite. Surtout parce que les magistrats devront appliquer la nouvelle loi et prouver dans les faits le tour de vis en matière d’expulsion. S’ils ne le font pas, l’UDC aurait beau jeu de revenir à la charger et d’obtenir les faveurs du peuple», fait remarquer le «Corriere del Ticino».

Proche de l’UDC, le quotidien bâlois «Basler Zeitung» relativise pour sa part la victoire des opposants à l’initiative de mise en œuvre. «Ce n’est pas la ‘société civile’ qui a gagné hier, ainsi que l’ont autocélébré quelques-uns des vainqueurs, mais la foi et la confiance d’une majorité des citoyens, pour qui la mise en œuvre de l’initiative de renvoi décidée par le Parlement est suffisante pour renvoyer effectivement les criminels du pays. Cette victoire dans les urnes et une victoire à l’essai.»

Et la «Basler Zeitung» d’avertir: «Ceux qui ont gagné hier sont ceux qui prétendent mieux savoir que le ‘simple peuple’. Cela pourrait rapidement changer, et pas seulement en Suisse. Les partisans de Donald Trump aux Etats-Unis, les eurosceptiques en Grande-Bretagne et dans les nombreux autres Etats de l’UE ainsi que les 41% de partisans de l’initiative de mise en œuvre n’ont guère de choses en commun, si ce n’est la méfiance envers des élites et le pouvoir qui influencent leur vie, mais qui ne sont même pas capables de résoudre les problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés.»

Une mobilisation hors du commun

La plupart des commentateurs ont été frappés par la vaste mobilisation contre l’initiative de l’UDC. «Le militantisme des exigences de l’UDC a uni et mobilisé les adversaires. Et ce n’est clairement pas seulement la classique concurrence des partis politiques. Il y a eu dans les villes et dans les milieux universitaires jeunes des mouvements d’opposition d’une force rarement vue en Suisse», note la «Neue Luzerner Zeitung».

«Malgré tout, de par son agressivité abusive, ce texte a présenté – à son insu – une autre facette au fil des semaines d’une campagne acharnée. Il a rassemblé contre lui le monde politique, les milieux économiques et la société civile. Constat réjouissant, ce ne sont pas les seuls intérêts de la place économique qui ont soudé les détracteurs: ces derniers ont serré les rangs pour défendre les droits fondamentaux et la grosse minorité de résidents étrangers. Rien que pour cela, la Suisse libérale et humaniste peut remercier l’UDC», estiment les journaux régionaux de l’arc jurassien et de Fribourg.

La «Nordwestschweiz» insiste pour sa part sur les nouvelles formes de mobilisation. «Ce qui est véritablement nouveau dans l’opposition d’aujourd’hui, c’est sa mise en réseau numérique. On a fait de la publicité et cliqué sur les médias sociaux. On y a partagé des articles, lancé des appels. Et une bonne partie de l’argent pour les annonces et les affiches classiques a été récoltée par le biais du financement participatif numérique.»

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