L’asile à l’heure de la privatisation
Dernier en date, le canton de Fribourg a décidé de confier l'encadrement des requérants d'asile à une société privée. Jusque-là, et depuis 24 ans, c'est la Croix-Rouge qui assumait ce mandat.
Les cantons font leurs comptes, dans un domaine où la tendance est au durcissement et au report de charges suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi fédérale sur l’asile.
A l’heure actuelle, près de 870 personnes en moyenne demandent chaque mois l’asile en Suisse. La majorité d’entre elles déposent formellement leur requête dans les quatre centres d’enregistrement nationaux, où la prise en charge est assurée par une société privée.
Au milieu des années 1990, la Confédération en effet a été parmi les premières à privatiser son mandat sur l’asile. En le confiant à ORS Service AG (Organisation für Regie und Spezialaufträge) – une entreprise née il y a une quinzaine d’années et installée à Zurich – elle a ouvert la voie à d’autres collectivités publiques.
Ainsi, ORS s’occupe aujourd’hui de l’asile pour plusieurs communes, en Suisse alémanique surtout, ainsi que pour les cantons de Zurich, Bâle-Campagne et Soleure. Dernier client en date, Fribourg a récemment préféré ses services à ceux de la Croix-Rouge, qui s’occupait pourtant de l’asile dans le canton depuis 24 ans.
Série de critiques
Répétant le scénario de Soleure, où ORS a été préféré à l’organisation humanitaire Caritas, la décision a suscité un tollé. La gauche fribourgeoise a critiqué le remplacement d’un mandataire à but non lucratif par une société anonyme tenue au profit.
Au niveau national, les associations actives dans le domaine de l’asile ont également formulé des reproches à l’encontre d’ORS. Pêle-mêle, la société engagerait du personnel trop peu qualifié et aurait tendance à privilégier les jeunes pour économiser sur les salaires. ORS aurait en outre tendance à privilégier une vision plus sécuritaire qu’humanitaire de l’asile.
«ORS n’est pas Blackwater!, relève Yann Golay, porte-parole de l’aide suisse aux réfugiés (OSAR). Les employés qui y travaillent font un travail de qualité. Mais il est clair qu’ORS a une manière de faire plus axée sur la sécurité que celle d’une institution étatique ou d’une œuvre d’entraide.»
Une manière de faire qui en tout cas ne déplaît pas à la Confédération. Porte-parole de l’Office fédéral des migrations (ODM), Jonas Montani signale à cet égard que les responsables des centres d’enregistrement fédéraux sont satisfaits d’ORS.
«Si tous ces reproches étaient vrais, on peut se demander pourquoi ORS est dans ce domaine depuis 15 ans», souligne pour sa part Eric Jaun, patron de la société. S’il tient à assurer qu’«aucun centime de profit n’est fait sur le dos des requérants», il ne communique pas de chiffres. La presse parle néanmoins d’un chiffre d’affaires de 25 millions de francs.
Le bras répressif de l’Etat
Le recours à ORS reflète en fait une double tendance à la privatisation des tâches de l’Etat et au durcissement de la loi sur l’asile – conséquence de la votation populaire de septembre 2006 – qui ne joue pas vraiment en faveur des œuvres caritatives.
Pour revenir au canton de Fribourg, ORS s’y est implantée en 2006 car la Croix-Rouge avait décliné le mandat lié aux requérants frappés d’une non-entrée en matière (NEM). Elle avait alors craint de devenir le bras répressif de l’Etat, une position contraire à ses valeurs.
Directeur de la Croix-Rouge fribourgeoise, Charles Dewarrat fait en effet valoir les principes de son organisation, mais aussi le fait que les associations d’utilité publiques sont le mieux à même de gérer les mouvements de personnel qu’implique le mandat de l’asile. Et de citer l’exemple du canton de Vaud, où la Fareas chargée de l’encadrement des requérants va être étatisée alors qu’elle était à l’origine une fondation privée.
Logique financière critiquée
Responsables de la gestion de l’asile, les cantons doivent en réalité souvent éponger des déficits dans ce secteur. Et l’entrée en vigueur au 1er janvier 2008 de la suppression de l’aide sociale à tous les requérants déboutés fera encore gonfler leur facture puisqu’elle entraînera une diminution des montants fédéraux alloués aux cantons.
«Ces trois dernières années, le canton a toujours pris en charge les déficits de l’asile. Pour 2008, on l’a estimé à 3 millions de francs. Si on avait renouvelé le mandat de la Croix-Rouge, il aurait atteint 3,8 millions», explique Hans-Jürg Herren, secrétaire général de la Direction des affaires sociales du canton de Fribourg.
Du côté des associations d’aide aux requérants, on déplore cette logique financière. A l’instar de Bathasar Glättli, secrétaire général de Solidarités sans frontières: «Depuis les années 1990, le financement est devenu un moyen plus important d’influencer les cantons. Ils ont intérêt à ce que les requérants soient au noir, sinon ils doivent payer de leur poche. Pour nous, le but des subventions fédérales ne doit pas être de faire gagner de l’argent aux cantons, mais de faire du mieux possible dans le domaine de l’intégration.»
swissinfo, Carole Wälti
En septembre 2006, 68% des citoyens suisses ont approuvé un durcissement de la loi sur l’asile. Il s’agissait de la neuvième révision depuis 1984.
Selon le nouveau droit, les requérants en attente de renvoi peuvent être détenus plus longtemps, les requérants dont la demande a été refusée se voient privés d’aide sociale et les personnes arrivant sans papiers sont exclues d’office de la procédure. L’admission pour motifs humanitaires a été supprimée.
A côté de ce durcissement, la nouvelle loi facilite le regroupement familial et l’accès au marché du travail pour les requérants admis à titre provisoire.
Une partie des nouvelles mesures prévues sont entrées en vigueur le 1er janvier 2007. Les dispositions restantes – dont la suppression de l’aide sociale à tous les requérants déboutés – entreront en vigueur le 1er janvier 2008.
Selon les dernières données disponibles, quelque 10’500 personnes ont demandé l’asile en Suisse en 2006. Soit près de 500 de plus qu’une année auparavant (+ 4,7%). A l’inverse, un recul de près de 30% avait été enregistré entre 2004 et 2005.
En 2006, le nombre de demandes d’asile le plus important est venu de Serbie. Arrivent ensuite l’Erythrée, l’Irak et la Turquie.
A fin décembre 2006, près de 45’000 personnes étaient concernées par une procédure d’asile en Suisse.
Sur l’année, 1834 demandes se sont soldées par une non-entrée en matière et 5840 par une décision négative. Enfin l’asile en Suisse a été accordé à 1857 personnes.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.