L’Europe ne veut pas d’armistice sur la fiscalité cantonale
Dans un document de travail, remis aux Etats membres, la Commission européenne affirme qu'elle pourrait respecter un cessez-le-feu, mais refusera de signer un armistice avec la Suisse sur la question de la fiscalité cantonale. Car les concessions sont trop limitées. A Berne, on se refuse à tout commentaire.
«En reconnaissance des progrès accomplis en vue de résoudre le problème des aides d’Etat, une annonce pourrait stipuler que nous ne poursuivrons pas l’examen du dossier en termes politiques pour le moment. Cela pourrait signifier qu’on continuerait à travailler sur d’autres accords bilatéraux que nous estimons être dans notre intérêt. Cela pourrait encourager les efforts de réforme en Suisse et permettrait en même temps d’éviter de compromettre (l’objectif) d’autres améliorations en accord avec les développements internationaux.»
Bruxelles moins généreux
Dans un «non papier» de quatre pages – un document de travail – , la Commission européenne explique aux Etats membres de l’Union européenne (UE) ce qui pourrait être offert à la Suisse en échange des concessions qu’elle s’est déclarée prête à faire afin d’aplanir le différend sur la fiscalité cantonale qu’elle entretient depuis plusieurs années avec l’UE.
Bruxelles se montre beaucoup moins généreux qu’en juillet, quand il avait suggéré d’enterrer définitivement la hache de guerre, ce que les vingt-sept Etats de l’UE ne sont pas prêts à faire.
Dans le cadre d’une nouvelle réforme autonome de sa législation sur la fiscalité des entreprises, la Suisse est disposée à abolir le régime des sociétés boîtes aux lettres, à interdire aux holdings basées sur son territoire d’exercer des activités commerciales à l’étranger et à contraindre les cantons à accroître légèrement la taxation des holdings et des sociétés mixtes.
Une imposition toujours faible
Dans son analyse, la Commission salue le «pas en avant qualitatif» qu’a effectué Berne, mais fait remarquer que les concessions helvétiques demeurent malgré tout limitées. En raison d’une «réduction significative» de la base taxable des holdings (elle est plafonnée à 15% des bénéfices nets) et des sociétés mixtes (20%) à l’échelle cantonale, les taux de taxation effectifs auxquels elles seraient soumises – «8,6-11% environ» au total, impôt fédéral compris, demeureraient «nettement inférieurs» à ceux des autres entreprises suisses.
Les avantages comparatifs dont les holdings et les sociétés mixtes bénéficient actuellement – une défiscalisation de leurs revenus d’origine étrangère au niveau cantonal – «seraient diminués de moins de 20%», écrit Bruxelles.
«Quoique réduits, les risques de détournements fiscaux des budgets des Etats membres (de l’Union) seraient toujours présents», poursuit-il, en notant que ses «préoccupations» relatives à la mauvaise application par la Suisse des règles européennes sur les aides d’Etat demeurent presque intactes.
L’UE juge que les régimes fiscaux qu’elle critique menacent le bon fonctionnement de l’accord de libre-échange qu’elle a conclu avec la Suisse en 1972.
Le hic, c’est que «la Suisse prétend que ses propositions représentent le maximum de ce qui pourrait être accepté politiquement» dans le pays (un référendum paraît inévitable) et qu’à défaut d’arracher une déclaration dans laquelle l’Union s’engagerait à mettre le dossier au frigo «pour le moment», Berne «ne lancera pas la moindre réforme» de la fiscalité des entreprises.
Pas de «carte blanche»
Dans ce cadre, la Commission est prête à faire un geste, mais très prudemment. «Il devrait être possible pour nous de reconnaître que nous avons réalisé quelques progrès en vue d’une solution satisfaisante», mais la déclaration qui pourrait être publiée «ne devrait pas donner l’impression que l’Union accorde une carte blanche à des réformes qui doivent encore être introduites».
Bruxelles relève que le processus législatif helvétique «durera plusieurs années. Ce n’est pas une garantie de succès.» Pendant ce temps, «la pression de la communauté internationale dans le dossier de la concurrence fiscale déloyale ira dans la direction» de celle qu’exerce déjà l’UE.
Bref, «notre prise de position ne pourrait être que provisoire», écrit la Commission, en soulignant que son éventuelle déclaration «ne doit pas voir d’effets sur le mandat de négociations» que les Vingt-Sept lui avaient confié en mai 2007. Il réclame sinon l’abolition, du moins une profonde modification des régimes fiscaux incriminés, sous peine, pour la Suisse, de s’exposer à des sanctions européennes.
Les experts des vingt-sept pays de l’UE se pencheront à nouveau sur la question le 29 septembre. En attendant, à Berne, on se refuse à tout commentaire: «C’est une affaire interne à l’Union européenne», relève Tilman Rens, le porte-parole du Bureau de l’intégration.
Tanguy Verhoosel à Bruxelles, swissinfo.ch
Privilèges. Le conflit entre Berne et Bruxelles tourne autour des régimes fiscaux de certains cantons suisses. L’UE dénonce les privilèges qu’ils accordent.
Déloyauté. L’UE juge déloyale et contraire à l’Accord de libre-échange de 1972 l’imposition des sociétés étrangères à Zoug, Schwyz et Obwald, entre autres.
Position suisse. Berne estime que les procédures de taxation des entreprises d’administrations, de sociétés mixtes et des holdings sortent du champ d’application de l’Accord de libre-échange de 1972. Cet accord concerne uniquement le commerce de certains biens (produits agricoles transformés et industriels).
OCDE. De son côté, l’Organisation de coopération et de développement économique ne voit rien à redire aux régimes fiscaux des cantons suisses.
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