L’OMS veut plus d’argent pour les crises sanitaires
C’est la première Assemblée mondiale de la santé à s’attaquer aux défaillances de l’OMS face à l’épidémie Ebola en Afrique de l’Ouest. Pour améliorer sa réponse à ce type de crises, l’organisation appelle les Etats membres, dont la Suisse, à augmenter leurs contributions.
Les Etats ont une attitude paradoxale face à l’OMS. S’ils réclament aujourd’hui un engagement plus important de l’OMS face à des épidémies comme Ebola – un virus qui a contaminé plus de 26’000 personnes et fait 11’000 morts en Afrique de l’Ouest – ils se sont refusé ces dernières années à augmenter leur contribution au budget ordinaire de l’agence pour lui préférer des financements volontaires à des fins précises.
Patrick Durisch, de la Déclaration de Berne, une ONGLien externe suisse analysant les politiques de développement, souligne les termes de cette contradiction: «Après la crise financière qu’a traversée l’OMS en 2010, un projet de réforme a été lancé. Selon les pays occidentaux, il ne fallait pas changer la constitution de l’OMS, mais limiter son mandat à ce qu’elle sait faire le mieux, soit édicter des normes, sans intervenir sur le terrain. Et ce en laissant la place à d’autres acteurs plus efficaces, comme les ONG ou des fondations privées. A contrario aujourd’hui, ils attendent de l’OMS qu’elle réagisse aux urgences sanitaires internationales comme Ebola. On veut donc une OMS forte, sans lui en donner les moyens et en laissant les Etats définir l’ensemble des priorités nationales.»
Urgences sanitaires : l’OMS annonce un nouveau plan
La 68e Assemblée mondiale de la santé (AMS) réunit quelque 3000 délégués de 180 pays réunis à Genève jusqu’au 26 mai.
A l’ouverture de l’Assemblée, Margaret Chan, directrice générale de l’OMS, a annoncé la création d’un nouveau programme destiné à répondre aux urgences sanitaires «de manière rapide, souple et efficace».
Pour ce programme, Margaret Chan a proposé un fonds de 100 millions de dollars et souhaité qu’il soit réalisé d’ici la fin de l’année.
De son côté, la chancelière allemande a insisté sur la nécessité de réformer l’OMS. Angela Merkel a critiqué la coexistence de 150 bureaux et de 6 bureaux régionaux en plus du siège de l’OMS.
Le conseiller fédéral Alain Berset – ministre suisse en charge de la santé publique – a, lui, rappeléLien externe les défis mondiaux en matière de santé: «L’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest nous a profondément marqués. Epidémies, conflits armés, crise économique, changements climatiques, nouveaux défis: autant de situations qui poussent nos systèmes de santé à leurs limites et testent leur capacité de résistance.»
Et le ministre d’ajouter : «L’OMS doit pouvoir pleinement assumer son rôle en matière d’épidémies, d’urgences humanitaires et, plus généralement, de sécurité sanitaire mondiale.»
swissinfo.ch avec l’ATS
Selon l’ambassadeur Tania Dussey-Cavassini, vice-directrice de l’Office fédéral de la santé publique (OFSPLien externe) et membre de la délégation suisse à l’Assemblée mondiale de la santé (AMSLien externe), il est probable que les Etats réunis à Genève se mettent d’accord pour augmenter le plafond des dépenses de l’OMS. «Cette augmentation sera une première depuis quelques années. Il y a une volonté des Etats pour dire que l’OMS est importante et pour qu’elle soit capable de gérer une crise comme Ebola.»
Directrice générale de l’OMS, Margaret Chan propose un budget en hausse de 10% pour les années 2016 et 2017, soit 4,4 milliards de dollars (4,1 milliards de francs suisses) au total. Sur ce montant, près de 236 millions doivent servir à renforcer les capacités de préparation, de surveillance et de réponse de l’agence de l’ONU en cas d’urgence sanitaire.
Réformes en vue
Encore faut-il que les Etats se mettent d’accord pour réformer l’institution. Une question qui est également au menuLien externe de l’AMS, qui se tient jusqu’à la fin mai.
Publié une semaine avant l’ouverture de la conférence, un rapportLien externe préliminaire d’un groupe d’experts mandaté par l’OMS a pointé les principaux problèmes et émis une première série de recommandations qui seront affinées ultérieurement lors de la publication du rapport final.
Principal grief: la lenteur de la réaction de l’agence. «L’épidémie de virus Ebola, qui a débuté fin 2013 en Afrique de l’Ouest, est la plus importante et la plus complexe flambée épidémique jamais observée pour cette maladie (…) Le groupe d’experts n’a pas encore su déterminer pourquoi les avertissements lancés en amont, entre mai et juillet 2014 environ, n’ont pas déclenché d’action efficace et adaptée (…) Il est le plus souvent admis que l’OMS ne possède pas de moyens ni de culture solides en matière d’action d’urgence. Qui plus est, s’agissant de cette situation d’urgence particulière, l’OMS a attendu août 2014 pour chercher à obtenir l’appui des autres organismes des Nations Unies et des acteurs humanitaires.»
Le poids de l’urbanisation
Pour l’ambassadeur Tania Dussey-Cavassini, cette défaillance de l’OMS s’explique en premier lieu par l’augmentation récente des crises sanitaires: «Ces 15 dernières années, les questions sanitaires internationales (SRAS, grippes aviaires) ont pris une ampleur toujours plus grande.» Et ce sur fond d’urbanisationLien externe croissante de la planète avec des systèmes de santé longtemps négligés par les grands acteurs du développement que sont la Banque mondiale et le FMI.
«On n’est pas arrivé à contenir l’épidémie, parce qu’elle présentait des caractéristiques nouvelles par rapport aux épidémies précédentes. En particulier, elle a lieu en milieu urbain. Il y a 40 ans, Ebola frappait des communautés rurales isolées», relève Tania Dussey-Cavassini, avant d’ajouter: «Les problèmes de santé ne peuvent plus être abordés sous le seul angle de la santé. Il faut inclure les politiques sectorielles qui ont une influence sur la santé, comme l’accès à l’eau potable. Et c’est là que le bât blesse. Il faut que l’ensemble des Etats prennent conscience qu’il faut agir sur les facteurs ayant un impact sur la santé et ne pas seulement se préoccuper de l’accès et de la qualité des soins.»
Le rôle du secteur privé
Face au manque chronique de moyens de l’OMS, des acteurs privés jouent un rôle croissant. Depuis sa création en 2000, la fondationLien externe Bill & Melinda Gates prend une place toujours plus importante. Ces dernières années, la fondation du créateur de Microsoft était le premier ou le deuxième contributeur de l’OMS derrière les Etats-Unis.
Pour Tania Dussey-Cavassini, cette évolution est positive: «C’est la réalité de notre monde. Les acteurs non étatiques sont devenus des grandes puissances. Les ONG, les fondations ont réussi à réorienter certaines politiques internationales en matière de santé. Avec une cible très claire, une volonté ferme et des moyens extraordinaires, la Fondation Gates a obtenu des résultats remarquables, comme avec le VIH/sida en Inde. Si l’innovation provient de personnes pensant différemment et qu’elles viennent du privé, tant mieux. Ce qui compte, c’est le résultat. Mais évidemment, on ne peut pas laisser la Fondation Gates décider de la pluie et du beau temps à l’OMS.»
Patrick Durisch insiste sur ce dernier point: «Qu’une personne qui n’est pas un élu puisse mettre sur la table un gros montant, cela a forcément une influence sur les choix de l’agence. Mais quels sont les critères pour allouer les ressources? L’OMS doit avoir ce rôle, non Bill Gates.»
Ce sujet sera abordé lors de l’assemblée de la santé. L’objectif est d’adopter des lignes directrices pour l’ensemble des acteurs non-étatiques qui collaborent avec l’OMS, soit les ONG, tout comme le secteur privé.
«Si on arrive à bien définir les relations entre l’OMS et différents acteurs qui ont différents intérêts, ce serait un bon premier pas. Mais on en est loinLien externe», regrette Patrick Durisch.
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