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L’Ukraine, un pion sur l’échiquier du pouvoir

Depuis quelques jours, les manifestations pro-Russes se multiplient en Crimée. Keystone

La presse suisse commente abondamment ce lundi le déploiement des troupes russes en Crimée et la mobilisation en Ukraine. Avec le sentiment dominant que Vladimir Poutine avance ses pions dans la partie d’échecs engagée pour la domination en Mer Noire.

«Depuis la chute du président ukrainien Ianoukovitch, le président russe fulminait», notent La Tribune de Genève et 24 heures. «En Crimée, Vladimir Poutine disposait d’une belle carte pour déstabiliser le pouvoir naissant à Kiev. Dans cette péninsule historiquement liée à Moscou, les russophones sont majoritaires et attachés au Grand Frère de l’Est. Jouant sur la peur supposée d’une population, Moscou tenait sa revanche et décidait de recourir à la force».

Les deux quotidiens rappellent que la Russie possède à Sébastopol une base navale de 15’000 hommes, «dont l’utilité stratégique fut confirmée lors de l’intervention en Géorgie. La rhétorique du pouvoir dénonçait alors les fascistes de Tbilissi, comme aujourd’hui ceux de Kiev. En 2008, Poutine voulait dissuader la Géorgie d’entrer dans l’OTAN. Il y était parvenu sans autre conséquence. Cette année, il veut empêcher l’Ukraine de se tourner vers l’Europe».

Analyse similaire dans la Südostschweiz: «Moscou veut affaiblir le nouveau gouvernement ukrainien et renforcer la présence militaire russe en Crimée en vue du référendum sur l’autonomie de la péninsule qui doit se tenir le 30 mars. Car si les autonomistes l’emportent et que la Crimée reste partie de l’Ukraine, Poutine aura atteint son but le plus important. Le chemin de l’Ukraine vers l’OTAN sera barré, puisque l’alliance n’admet que des pays qui n’ont pas de conflit territorial».

Le président de la Confédération et ministre des Affaires étrangères suisse Didier Burkhalter a lancé lundi au Conseil des droits de l’homme à Genève un appel au dialogue et au respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

«Les récents événements en Ukraine nous ont démontré que la sécurité, la paix et les droits humains ne sont pas non plus acquis en Europe», a déclaré le président de la Confédération, également président en exercice de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

«Ces événements ont mis en évidence la nécessité de promouvoir le dialogue, de restaurer la confiance et de réaffirmer des valeurs communes. […] Il est important d’unir nos efforts pour soutenir l’Ukraine dans cette période difficile. Nous appelons tous les acteurs à respecter les principes de l’OSCE, notamment l’intégrité territoriale de l’Ukraine» a encore dit le chef de la diplomatie suisse.

«La présidence suisse de l’OSCE a proposé de convoquer un groupe de contact international sur l’Ukraine», a poursuivi Didier Burkhalter. Sa tâche essentielle consistera à «soutenir le pays dans sa période de transition». Le président de la Confédération a appelé «l’ensemble des acteurs principaux à rejoindre le mouvement» en vue de réunir ce groupe de contact.

Pour Tim Guldimann, représentant spécial de l’OSCE pour l’Ukraine, la création d’un tel groupe de contact est «possible». C’est ce qu’a déclaré le diplomate suisse lundi à l’issue d’une séance extraordinaire du Conseil permanent de l’OSCE à Vienne. Tant Angela Merkel que Vladimir Poutine y sont favorables, comme ils l’ont exprimé dimanche après un entretien téléphonique.

En outre, le secrétariat de l’organisation prépare un concept pour une mission d’observation sur le terrain. Il appartient cependant au Conseil permanent de décider de cette mission et la décision ne peut être prise qu’à l’unanimité, ce qui signifie qu’elle doit avoir le soutien de la Russie, un des 57 membres de l’OSCE, au même titre que l’Ukraine. Moscou a déjà fait part de ses doutes sur l’efficacité d’une telle mission.

(source: ats)

Risques de guerre

Son but, Poutine l’a même déjà atteint, jugent quant à eux le Bund et le Tages-Anzeiger. «Il y a une semaine, il fêtait à Sotchi la victoire sur le terrain de jeu, maintenant, il s’agit d’une toute autre victoire. Pourtant, Vladimir Poutine ne parade pas comme un chef des armées en Crimée. Pas de discours martial à la nation, pas de déclaration de guerre au monde. A vrai dire, le chef du Kremlin n’en a pas besoin, parce qu’il a déjà atteint son but: la Russie a pris le contrôle de la Crimée. Et pour ceux qui douteraient encore du fait accompli, le président s’est fait octroyer par son parlement le pouvoir de faire donner la troupe en Ukraine – et pas ‘seulement’ en Crimée».

Ce qui amène l’Aargauer Zeitung à juger «bien réel» le danger d’une guerre entre la Russie et l’Ukraine. Pourtant, écrit le quotidien, «on peut parier qu’aucun des deux pays ne veut vraiment d’une nouvelle guerre de Crimée. Celle de 1853-1856 appartient à ces guerres non souhaitées, mais qui sont le résultat d’erreurs diplomatiques, de malentendus et de défiance. Et il est triste de constater qu’au 21e siècle, on semble ne pas avoir tiré les leçons de l’histoire».

Pour la Neue Zürcher Zeitung, une telle guerre ne ferait «que des perdants. La grande perdante de cette affaire est déjà l’Ukraine. Dans un avenir prévisible, elle n’aura plus de gouvernement acceptable pour tout le pays. Si les pro-Russes reviennent au pouvoir à Kiev, l’ouest du pays se rebellera. Et dans le cas contraire, les parties pro russes se détourneront définitivement de Kiev».

«Mais la déstabilisation d’un pays de transit et d’un partenaire commercial important ne servirait pas non plus les intérêts russes», poursuit le quotidien. «Aujourd’hui déjà, l’insistance de Poutine sur le principe de non-ingérence, telle qu’il l’a martelée dans la crise syrienne, a perdu toute crédibilité. Le président russe montre son vrai visage, celui d’un homme qui maltraite sans scrupules les règles internationales».

«Un pur citoyen soviétique»

«S’il est une attitude dans laquelle les chefs du Kremlin ont souvent excellé, c’est celle du pompier pyromane», note de son côté Le Temps. «Exacerber les tensions pour mieux apparaître ensuite comme le sauveur tout désigné: la tactique peut sembler éculée. Elle est souvent infaillible».

«Mais de la même manière, personne, ou presque, n’est dupe aujourd’hui devant les manœuvres plus vastes de Vladimir Poutine. Se porter garant de la ‘sécurité’ de tout ce que la région compte de minorités russophones ne signifie rien d’autre que d’officialiser ce qui a déjà amené l’Ukraine à se trouver là où elle est: c’est lui couper les ailes et la transformer en perpétuelle vassale. C’est élargir un trou noir autour de la capitale de l’empire».

Un empire dont le maître du Kremlin a gardé une forte nostalgie, analyse la Berner Zeitung. «Pour Poutine, la puissance se mesure avant tout à la taille du territoire du pays. De nombreuses personnes en Russie partagent cette affinité avec l’infinitude de l’espace russe. Le chef du Kremlin l’avait souligné il y a quelques années en parlant de l’effondrement de l’Union soviétique comme de la plus grande catastrophe géopolitique du 20e siècle. Le président n’a pas de vision pour l’avenir. Il ne comprend pas les dynamiques sociales et historiques et fait peu de cas des différences entre civilisations. En ce sens, il est resté un pur citoyen soviétique».

Selon des recherches effectuées par l’hebdomadaire dominical Sonntagszeitung, des armes suisses jouent «un rôle tragique» dans les affrontements en Ukraine.

Des enregistrements vidéo prouveraient que des unités d’élite ukrainiennes auraient tiré sur des manifestants avec des répliques de fusils suisses fabriqués sous licence. Les licences ont été octroyées à l’Ukraine en 2009, dans le cadre d’un transfert de technologie, confirme le Secrétariat d’Etat à l’Ecoonomie (Seco). Ces armes devaient initialement servir à assurer la sécurité de l’Euro 2012 de football.

La Sonntagszeitung estime que les images de ces armes sur la place Maïdan de Kiev pourraient avoir une influence sur la politique suisse. Le 6 mars en effet, le parlement doit voter sur un assouplissement de l’Ordonnance sur le matériel de guerre.

L’impuissance de l’Occident

Face à ce qu’il nomme le jeu «Krim-inel» de Poutine» (Crimée s’écrivant «Krim» an allemand), le Blick relève l’inquiétude de l’Occident. «Le président américain Barack Obama a averti Poutine que le prix à payer pour une invasion serait ‘élevé’. Son ministre des Affaires étrangères John Kerry a fulminé contre la Russie, qui se conduit ‘comme au 19e siècle’ et menacé de l’exclure du cercle du G8».

Pur menaces verbales? En réalité, qui est prêt à «mourir pour l’Ukraine?», interroge Le Temps. «Sans même parler des divisions des Ukrainiens eux-mêmes, cette crise place les Occidentaux devant leurs propres contradictions, quelques jours à peine après que s’est achevée ‘la grande fête du sport’ à Sotchi. Jusqu’ici, les Etats-Unis avaient pris soin de regarder ailleurs. Et l’Union européenne est en quête d’une cohésion et d’une stratégie globale qui lui fait toujours pareillement défaut. Dans un autre théâtre de l’effroi, en Syrie, l’Occident a laissé la Russie agir à bride abattue. Peut-être n’avait-il d’autre choix? Mais en Ukraine aujourd’hui, comme ailleurs dans l’ex-bloc soviétique demain, il ne pourra plus faire l’économie d’une action décidée».

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