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L’universalité dévoyée des droits de l’homme

Une image tirée du film 'Stuff Of Life' d'Amnesty International, qui dénonce la pratique du 'waterboarding', soit un simulacre de noyade. Keystone

Soixante ans après l'adoption de la Déclaration des droits de l'homme, son universalité est attaquée de toutes parts. Constats inquiets relevés à l'occasion d'un colloque de deux jours organisé par l'Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT).

«Depuis les attentats du 11 septembre 2001, nous assistons à une érosion inquiétante de la prohibition de la torture.»

Lors d’un colloque de deux jours organisé par l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), Eric Sottas, secrétaire général, rappelle que, si le phénomène n’est pas nouveau, les justifications, elles, le sont: «Alors que les dictatures des années 80 ne reconnaissaient pas leurs abus, la plupart de nos gouvernements aujourd’hui admettent les faits mais les justifient par une approche culturelle ou des raisons sécuritaires et économiques.»

Des dizaines de scientifiques, membres de ONG, écrivains, journalistes, experts, politiciens étaient réunis à Genève les 4 et 5 décembre pour analyser le «choc des convictions» qui marque notre XXIème siècle. Tous s’accordent à dire que les attentats du 11 septembre 2001 ont marqué un tournant, ouvrant la brèche à des débats dans les médias sur la légitimité ou non du recours à la torture.

Réveil d’un relativisme culturel

«Un courant mineur en Occident trouve qu’il n’est pas illégitime de mettre en balance des milliers de vies sauves contre une qu’il faudrait torturer, précise Eric Sottas. Avec ce genre de thèses, on a assisté au réveil d’un relativisme culturel qu’on avait cru enterré lors de l’adoption en 1993 de la Déclaration de Vienne. A l’heure ou nous fêtons le 60ème de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il est important de revenir à ses fondements.»

De son coté, Stéphane Hessel, ambassadeur français et l’une des chevilles ouvrières de la Déclaration universelle, se souvient que des représentants de Chine, d’URSS, du Liban, d’Amérique du Sud ont participé à l’élaboration du texte de cette Déclaration.

Selima Ghezali, journaliste et écrivain algérienne, rappelle, elle, les vertus émancipatrices qu’a eues la Déclaration universelle pour les peuples colonisés.

«Je fais partie de ceux qui savent que l’universalité des droits de l’homme a contribué à nous maintenir en vie, annonce-t-elle en préambule. Lors de l’adoption de la Déclaration universelle, au lendemain de la 2ème guerre mondiale, cette notion ne s’appliquait pas à mon pays, ni aux autres colonies dans le monde. C’est en puisant dans les concepts de droits de l’homme que les Algériens ont pu faire avancer leur cause indépendantiste face aux Français.»

«Une fois l’indépendance obtenue, les anciens Etats colonisés ont signé les différents traités et pactes, car cela leur permettait d’être intronisés dans la communauté internationale. Mais ils n’ont jamais mis en œuvre la totalité des droits contenus dans les instruments internationaux. De ce fait, la population algérienne ne s’y reconnaissait pas, elle a vite considéré que ses dirigeants étaient issus des résidus de la colonie», ajoute-t-elle.

Gigantesque choc des cultures

Selima Ghezali raconte comment, suite au 11 septembre, le gouvernement algérien s’est proposé en «candidat au sauvetage de l’humanité menacée par les intégristes. Aujourd’hui, l’Algérie, prétendant adhérer à cette ligne universelle, se présente comme réservoir de know how pour combattre le terrorisme. Le modèle de l’universalité des droits de l’homme est utilisé pour justifier la répression.»

Pour l’écrivaine algérienne, ce genre de politique mène à un gigantesque choc des cultures. «Les Algériens sont persuadés que la barbarie vient de l’extérieur. Les populations réagissent alors en proposant des alternatives inquiétantes. De son côté, l’Occident est convaincu de l’inverse.»

Le conseiller aux Etats Dick Marty, rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur les détentions secrètes, dénonce l’impunité des sociétés occidentales au lendemain du 11 septembre. «Cette attitude risque de pousser les musulmans modérés qui constituent l’immense majorité de la communauté de l’islam dans le camp des extrémistes, avertit-il. Avec quelle autorité peut-on maintenant dénoncer les violations des droits fondamentaux dans des pays comme la Tchétchénie ou la Chine?»

Le sénateur suisse critique aussi les listes noires de «terroristes» établies par le Conseil de sécurité de l’ONU ou l’Union Européenne. «Des exemples scandaleux qui privent les intéressés de leurs droits fondamentaux.»

Dans ce contexte difficile, la société civile reste l’une des rares garantes de l’application universelle des droits de l’homme.

Selima Ghezali rappele que chaque mercredi à Alger, des femmes viennent rappeler la mémoire des disparus depuis plus de 10 ans, et réclamer la vérité sur leurs enfants. «Sans les ONG, il y a longtemps que ces femmes auraient disparu ou se seraient découragées, poursuit-elle. Les années 90 ont plongé l’Algérie dans une guerre civile dont on n’a toujours pas compris les enjeux. Ces femmes sont ce qui nous reste de visible de cette guerre qui a fait 200’000 morts et 14’000 disparus.»

«Ces abus sont commis en toute officialité»

Et Dick Marty de rappeler que les prisons secrètes ont été révélées à la fois par Human Rights Watch (HRW) et par le Washington Post. Mais, avant même les ONG et les médias, ce sont des fonctionnaires de la CIA qui ont réagi, car ils n’étaient pas d’accord de faire ce que l’on attendait d’eux.

De même, en Italie, les députés ont été exemplaires dans la quête de la vérité lorsqu’ils ont montré que des prisonniers transitaient par leur pays pour être transféré dans des lieux de détention secrets. Cela alors que le gouvernement italien a tout fait pour étouffer les enquêtes.

«Nous ne sommes pas dans un débat académique, a lancé Eric Sottas. Il s’agit de Guantanamo, d’Abu Ghraib, où ces abus sont commis en toute officialité ces dernières années. Nous devons travailler à y mettre un terme. Il n’est pas question seulement de torture, mais aussi des refoulements de prisonniers chez eux, où ils risquent la torture malgré de pseudos garanties.»

Selon Stéphane Hessel, les Etats, ces monstres froids, ne subissent pas suffisamment de pressions pour que les textes qu’ils adoptent deviennent réalité. Dick Marty assure, quant à lui, que tant qu’on ne sanctionnera pas les auteurs des massacres de Sabra et Chatila, au Liban, ou de ceux perpétrés par l’armée américaine à Mi-Lai, au Vietnam, il sera difficile de progresser.

swissinfo, Carole Vann / Tribune des droits humains

Créée en 1986, l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) constitue aujourd’hui la principale coalition internationale d’organisations non gouvernementales luttant contre la torture, les exécutions sommaires, les disparitions forcées et tout autre traitement cruel, inhumain ou dégradant.

Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations Unies, est le président de la Fondation de soutien à l’Organisation.

Avec 282 organisations affiliées dans le monde à son Réseau SOS-Torture et plusieurs dizaines de milliers de correspondants dans tous les pays, l’OMCT est le plus important réseau d’organisations non gouvernementales actives dans la protection et la promotion des droits de l’homme dans le monde.

Son Secrétariat international basé à Genève accorde une assistance individualisée médicale, juridique et/ou sociale à des centaines de victimes de la torture et diffuse chaque jour des appels urgents dans le monde entier, en vue de protéger les individus et de lutter contre l’impunité.

Dans le cadre de ses activités, l’OMCT soumet également des communications individuelles et des rapports alternatifs aux mécanismes des Nations Unies et collabore activement à l’élaboration de normes internationale de protection des droits de l’homme.

L’OMCT jouit du statut consultatif auprès de l’ECOSOC (Organisation des Nations Unies), l’Organisation Internationale du Travail, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, l’Organisation Internationale de la Francophonie et le Conseil de l’Europe.

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