La 5e Suisse plébiscite les liens avec l’UE
Réuni samedi à Fribourg, le 86e Congrès des Suisses de l'étranger a planché sur «La Suisse sans frontières: chances et risques de la libre circulation des personnes». Le conseiller fédéral Moritz Leuenberger a plaidé pour une Suisse ouverte.
«Tout n’est pas parfait dans l’application des accords bilatéraux avec l’Union européenne (UE), mais je suis convaincu que personne, parmi nous, ne souhaite revenir en arrière.» Ce message fort a été lancé par Robert Engeler, installé en Italie depuis 1961.
Il résume bien ce qu’on a pu entendre samedi durant ce congrès, qui a réuni entre 300 et 400 personnes au Forum de Fribourg. Il portait sur les multiples aspects de la libre circulation des personnes, colonne vertébrale des accords qui règlent les relations entre la Suisse et l’UE.
Les débats ont, entre autres, été suivis par une vingtaine de jeunes Suisses de l’étranger venus pour un séminaire sur la question pendant toute la semaine.
Avantages considérables
«En général, ces accords nous offrent des avantages considérables, surtout dans le domaine de l’autorisation de séjour et de travail, qui faisaient l’objet de grandes difficultés auparavant, même s’il subsiste en certains endroits des problèmes avec l’assurance maladie et l’AVS», a poursuivi Robert Engeler.
Cette opinion se retrouve dans une enquête réalisée par l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE) dans la perspective de ce congrès: 67% des sondés jugent positifs les effets de la libre circulation Suisse-UE.
Logiquement, les «parlementaires» du Conseil des Suisses de l’étranger ont approuvé vendredi à la quasi-unanimité la reconduction de la libre circulation et son extension. Ceci dans la perspective d’un éventuel référendum contre ce double objet, et donc de votation populaire, en 2009.
Invité d’honneur samedi, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger a relevé que l’OSE était la première organisation à donner son mot d’ordre pour cette probable votation.
Citoyenneté et territorialité
Les débats ont été ouverts par des considérations pleines de finesse de Joëlle Kuntz, journaliste et écrivain franco-suisse, sur la citoyenneté et la territorialité.
Il fut un temps où les absents n’avaient pas voix au chapitre et, aujourd’hui que les frontières sont tombées, «l’acte civique se fait hors-sol», «la frontière est à l’intérieur de nous» et «la notion de diaspora acquiert une valeur positive qu’elle n’avait pas auparavant».
Pour Joëlle Kuntz, qui vote en Suisse comme en France, ces «changements de perspectives» ont profondément modifié «le sens global des appartenances politiques qui, en se multipliant, contribuent à l’abaissement des frontières». Et de conclure que la compatibilité de ces apparences multiples s’inscrit dans l’histoire du monde».
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Suisses de l’étranger
La perfection n’existe pas…
Les délégués de l’OSE ont eu l’occasion d’exprimer leurs préoccupations le matin lors de trois ateliers (sécurité, économie et vie quotidienne), et d’une table ronde l’après-midi.
Pour les expatriés aussi, l’ouverture des frontières pose des problèmes de sécurité, ou plutôt d’insécurité: «Un sentiment variable en fonction des personnes et des endroits, qui fait que les frontières disparaissent dans les faits mais pas dans les esprits», selon un intervenant.
Pour ce qui est de l’économie, un autre a relevé qu’il est impératif de veiller de près à empêcher la sous-enchère salariale, notamment dans l’agriculture et la construction.
Un troisième a mis en garde contre les «graves répercussions» économiques qu’aurait un refus de prolonger les accords bilatéraux pour les concitoyens qui exercent une activité commerciale à l’étranger. Un autre encore a lancé qu’un refus «serait jugé comme très arrogant» en France, où il vit.
Un problème a été regretté en matière de bourses d’études pour Suisses de l’étranger, les cantons tendant de plus en plus à refuser leur subvention, sous prétexte de favoriser les contribuables.
De son côté, un Suisse de Vienne a expliqué que «même en Autriche, les peurs relatives à la libre circulation avec la Roumanie se sont avérées sans fondement».
…pas plus que l’indépendance
Plein de verve, le ministre Moritz Leuenberger s’est insurgé contre le titre «provocateur» du Congrès. «Comment la Suisse pourrait-elle se définir sans frontières?», a-t-il lancé à un public conquis.
Comme pour les individus, les familles, les Etats et les groupes d’Etats, les frontières sont aussi intérieures, dans le sens que chacun doit (se) fixer des limites. «Chaque liberté se définit en fonction d’une limite. Nous en avons besoin pour pouvoir les dépasser et les modifier», estime le socialiste zurichois.
Et d’évoquer ces «frontières intérieures auxquelles nous tenons, comme les langues et cultures nationales, mais qui font que tout le monde se sent défavorisé… y compris les Suisses de l’étranger».
Pour le conseiller fédéral, le respect de ces frontières intérieures équivaut à un indispensable respect des minorités: «La minorité doit pouvoir se reconnaître dans les décisions de la majorité, laquelle doit tenir compte des soucis de la minorité.»
A l’arrivée, conclut le ministre, «aucun pays ni individu ne peut se dire totalement autonome, car il sera toujours influencé par l’environnement, par le monde».
swissinfo, Isabelle Eichenberger à Fribourg
En 1999, l’UE et la Suisse ont signé un premier paquet de 7 accords bilatéraux, dont celui sur la libre circulation des personnes (ALCP/Schengen), en vigueur depuis le 1er juin 2002.
Suite à l’élargissement de l’UE, le 1er mai 2004, il a été complété par un protocole qui règle l’introduction progressive de la libre circulation avec les 10 nouveaux Etats membres, entré en vigueur le 1er avril 2006.
Cette année, le parlement a décidé à fois de prolonger cet accord et de l’étendre aux deux nouveaux pays membres de l’UE, la Roumanie et la Bulgarie. En cas de référendum, le peuple pourrait avoir à se prononcer en février ou mai 2009 sur ce paquet unique.
Sur 250 questionnaires envoyés entre le 5 et le 30 juin 2008 à des membres du Conseil des Suisses de l’étranger et des clubs suisses situés dans l’UE, 67 ont été renvoyés.
67% des sondés jugent positifs les effets de la libre circulation Suisse-UE; 63% estiment ces effets positifs pour le séjour et l’établissement, 54% pour l’accès au travail. Par contre les effets sont négatifs en matière d’assurance vieillesse (36%) et l’assurance maladie (30%).
47% estiment que la libre circulation facilite l’intégration (24% estiment que non, 29% aucun changement).
Dans les domaines à améliorer, 28% citent l’assurance maladie et 26% l’assurance vieillesse.
En 2007, un Suisse sur dix vivait à l’étranger, soit 670’000 personnes immatriculées, dont 176’723 en France.
Près de 120’000 d’entre eux sont inscrits sur les registres électoraux.
Fondée en 1916, l’OSE a son siège à Berne et réunit 750 associations et institutions suisses à l’étranger.
Le 86e Congrès 2008 se tient à Fribourg du 22 au 24 août 2008.
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