La collecte de preuves augmente les chances de justice pour les Rohingyas du Myanmar
Cinq ans après la répression de l'armée du Myanmar qui a poussé un million de réfugiés rohingyas vers le Bangladesh voisin, ceux-ci n'ont toujours pas pu rentrer chez eux et n'ont pas obtenu justice. Mais un organisme des Nations unies basé à Genève affirme avoir rassemblé de grandes quantités de preuves sur les crimes commis au Myanmar et les partager avec deux tribunaux internationaux.
Depuis le coup d’État militaire de février 2021, les preuves de crimes contre l’humanité se multiplient au Myanmar, selon le dernier rapportLien externe annuel du Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar des Nations unies, publié le 9 août. «Nous constatons que de nombreux autres groupes dans le pays connaissent des problèmes similaires à ceux vécus par les Rohingyas», déclare Nicholas Koumjian, son responsable. «Nous parlons ici de l’incendie de villages ou encore de représailles contre les populations civiles pour les attaques menées par les forces d’opposition.»
Le Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar a été créé en vertu d’une décision de septembre 2018 du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, avec pour mandat de recueillir et de préserver les preuves des plus graves crimes internationaux (génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre) en vue de futurs procès devant des tribunaux internationaux, régionaux ou nationaux. Les Nations unies ont mis en place des mécanismes similaires de collecte de preuves pour la Syrie et le Sri Lanka. Ces initiatives sont une réponse de l’ONU à des situations où le droit de veto de la Russie et de la Chine au Conseil de sécurité de l’ONU a bloqué les tentatives de renvoi devant la Cour pénale internationale (CPI).
Partage des preuves
Nicholas Koumjian estime que la situation au Myanmar est «très déprimante et compliquée», mais il relève que la CPI et la Cour internationale de justice (CIJ) – la plus haute juridiction des Nations unies basée à La Haye – ont ouvert des procédures et que le Mécanisme d’enquête pour le Myanmar leur a fourni les preuves. La CPI a ouvert une enquête pour déportation forcée en tant que possible crime contre l’humanité. Cette enquête est fondée sur sa juridiction au Bangladesh, le Myanmar n’étant pas membre de la CPI.
La CIJ s’occupe quant à elle des différends entre États. La Gambie a porté plainte contre le Myanmar en 2019, l’accusant de commettre un génocide contre les Rohingyas. Le petit pays d’Afrique de l’Ouest a porté l’affaire devant la Convention sur le génocide de 1948, qui impose aux États l’obligation de prévenir et de punir le génocide. En juillet 2022, près de trois ans après le dépôt de l’affaire, la CIJ s’est déclarée compétenteLien externe, rejetant les arguments du Myanmar. La cour peut maintenant commencer à examiner le fond de l’affaire, même si cela prendra encore des années, indique Nicholas Koumjian.
Dans ce cadre, le Mécanisme d’enquête pour le Myanmar a reçu des demandes à la fois de la Gambie et du Myanmar en 2019 et a partagé certaines preuves avec les deux parties. Il peut le faire, à condition qu’il estime que les preuves soient pertinentes pour la procédure, ne mettent personne en danger et qu’il ait le consentement des personnes qui ont fourni les informations.
Des ressources supplémentaires sont nécessaires
Dans un communiquéLien externe de presse, le Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar indique que, depuis le début de ses activités il y a trois ans, il a recueilli plus de trois millions d’éléments provenant de près de 200 sources. «Cela comprend des déclarations, de la documentation, des vidéos, des photographies, des images géospatiales et du matériel provenant des réseaux sociaux».
Le défi consiste maintenant à analyser cette masse d’informations, explique Nicholas Koumjian. «D’une certaine manière, nous sommes victimes de notre succès dans la collecte de preuves. Je n’aurais jamais imaginé, lorsque j’ai commencé, que nous aurions cette quantité de matériel. La plupart de ces documents sont en langue birmane, ce qui fait que nos capacités linguistiques sont beaucoup plus sollicitées que je ne le pensais. Et depuis le coup d’État, de nombreuses personnes se sont manifestées et ont apporté des preuves.»
Le responsable précise que le Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar cherchera à obtenir davantage de fonds, mais refuse d’en révéler le montant. Le mécanisme est financé par le budget ordinaire des Nations unies et reçoit également des contributions volontaires de pays comme la Suisse.
Nicholas Koumjian reconnaît qu’avec la guerre en Ukraine et les crises en cours dans le monde, les donatrices et donateurs sont beaucoup mis à contribution. «Bien sûr, l’attention du monde et les gros titres passent à la prochaine crise, mais le million de Rohingyas qui ont été forcés de fuir vivent comme des réfugiés et continuent de l’être, dit-il. Pour eux, chaque jour est un jour de souffrance supplémentaire. Les gens doivent pouvoir croire qu’il existe une justice internationale et que ceux qui commettent des crimes graves doivent rendre des comptes.»
Traduit de l’anglais par Emilie Ridard
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