La diaspora kosovare est très courtisée avant les élections fédérales
Pour la première fois, la campagne pour les élections fédérales s’adresse directement à l'importante diaspora kosovare de Suisse. Plusieurs membres de cette communauté pourraient faire leur entrée au Parlement cet automne.
À l’aéroport de Pristina, la capitale du Kosovo, le visage rayonnant de Sanija Ameti s’étend sur un panneau publicitaire de plusieurs mètres de haut. La politicienne y souhaite un bon vol aux voyageurs en albanais. L’affiche les enjoint aussi à voter pour elle.
Sanija Ameti n’est pas candidate au Kosovo mais au Conseil national en Suisse. Représentante du Parti Vert’libéral (PVL / droite écologique), cette conseillère municipale zurichoise de 31 ans veut se faire élire à Berne lors des élections fédérales du mois d’octobre. Mais c’est à des centaines de kilomètres de la capitale fédérale qu’elle a donné le coup d’envoi de sa campagne électorale. Pourquoi?
Environ 250’000 personnes issues de l’immigration kosovare vivent en Suisse, où elles constituent l’un des plus grands groupes d’étrangers. Chaque année, des centaines d’entre eux se font naturaliser. Selon l’Office fédéral de la statistiqueLien externe, près de 15’000 Kosovars ont obtenu le passeport rouge à croix blanche depuis 2018. En 2021, 33’000 doubles nationaux vivaient en Suisse. Seuls les ressortissants et ressortissantes d’Allemagne, d’Italie et de France ont obtenu davantage de naturalisations.
Jusqu’ici, la communauté kosovare ne figurait pas sur la carte des stratèges électoraux. Mais les choses changent. Sanija Ameti a fui l’actuelle Bosnie-Herzégovine avec sa famille lorsqu’elle était enfant. Aujourd’hui, elle appartient à une collectivité importante qui pèse en politique. Les voix de la diaspora kosovare pourraient être décisives pour emporter certains sièges. En conséquence, les partis se bousculent pour gagner les suffrages de cette communauté.
Le PS et son parti frère du Kosovo
Les socialistes suisses reçoivent un soutien officiel directement du Kosovo. Le parti gouvernemental kosovar Vetëvendosje, un parti frère du PS, a promis en janvier dernier de soutenir son homologue suisse lors des prochaines élections. Cette déclaration a eu lieu devant un parterre qui réunissait le Premier ministre kosovar, Albin Kurti, l’ancienne conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey et le coprésident du parti Cédric Wermuth. Un soutien important pour les candidates et candidats kosovars du PS car le parti jouit d’une grande popularité auprès de la diaspora kosovare de Suisse.
Aucun parti suisse ne compte autant de candidats et candidates issus de l’immigration kosovare. Le Saint-Gallois Arbër Bullakaj, qui se présente pour la deuxième fois aux élections parlementaires, en est un exemple. Il se bat pour le renforcement des droits civiques de la population migrante en Suisse par le biais d’initiatives populaires.
Le 14 mai 2023, Ylfete Fanaj est entrée au gouvernement du canton de Lucerne. Il s’agit de la première Suisso-Kosovare à se hisser à un tel niveau de responsabilité politique. Née de parents kosovars et arrivée en Suisse à l’âge de 9 ans, la socialiste joue un rôle de modèle pour de nombreux hommes et de nombreuses femmes politiques issues de la migration.
Les Vert-e-s sollicitent aussi les électrices et électeurs des communautés étrangères. Le parti lance des appels au vote dans différentes langues sur les réseaux sociaux. Il veut convaincre avec sa politique ouverte en matière de migration et d’asile, grâce à laquelle «de nombreuses personnes issues de l’immigration ont trouvé le chemin de la Suisse en premier lieu, notamment du Kosovo.» C’est ce qu’explique la secrétaire générale des Vert-e-s, Rahel Estermann.
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Une initiative veut faciliter et harmoniser les procédures de naturalisation
Candidat dans le canton de Bâle-Campagne, Gzim Hasanaj a été en janvier 2023 le premier politicien vert d’origine kosovare à entrer au parlement cantonal. Il vise maintenant le Conseil national sous la même bannière.
L’UDC aussi
Aucun des partis suisses ne recense officiellement l’origine migratoire de ses membres. Interrogés à ce sujet, les six grands partis – PS, Vert-e-s, Parti Vert’libéral (PVL), Le Centre, PLR et UDC – confirment toutefois la présence de candidats et candidates issues de l’immigration sur leurs listes. Certains et certaines sont d’origine kosovare mais on en ignore le nombre exact.
Depuis peu, la gauche n’est plus la seule à vouloir attirer les voix de la diaspora kosovare. L’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) s’y est mise aussi. L’UDC a répondu à l’offensive estivale de Sanija Ameti à l’aéroport de Pristina en direction des «Shacis», les Kosovars en Suisse, par une tribune dans BlickLien externe.
Le conseiller national UDC zurichois Alfred Heer y a écrit que son parti défendait bien davantage les intérêts des Kosovars suisses que le PVL de Sanija Ameti: «De nombreux Suisses d’origine albanaise kosovare voteront en octobre pour l’UDC, car notre parti s’engage en faveur de la classe moyenne et de l’artisanat.»
La contre-attaque médiatique de Fredi Heer a suscité l’indignationLien externe de plusieurs politiciennes et politiciens d’origine étrangère. L’UDC a incité à la haine contre les Kosovars durant des années en Suisse. Il est cynique de vouloir maintenant les convaincre de voter pour elle, a-t-on pu entendre. En 2011 encore, l’UDC avait fait campagne avec le slogan «Les Kosovars éventrent les Suisses.» En 2017, le Tribunal fédéral a condamné le secrétaire général de l’UDC de l’époque ainsi que son adjointe pour discrimination raciale.
«Personnellement, je n’ai pas non plus trouvé cette campagne intelligente», répond Alfred Heer à swissinfo.ch. Il n’y a pas d’incohérence dans son point de vue. «De nombreux migrants, dont des Kosovars, partagent nos valeurs», dit-il. Axant sa campagne sur les thèmes de la voiture et du prix de l’essence, l’UDC zurichoise conduit cette année une liste électorale où figurent des secondas et des secondos.
Le PLR et Le Centre indiquent de leur côté qu’ils ne mèneront pas de campagne spécifique pour les Kosovars de Suisse ou les autres communautés migrantes en Suisse. Alors que le PS, les Vert-e-s et le PVL promettent des droits civils plus libéraux, plus d’égalité des chances et moins de discrimination, le camp bourgeois privilégie d’autres thèmes.
«Notre profil cosmopolite et économiquement libéral ainsi que notre engagement pour la liberté et une société tolérante sont attrayants pour de nombreuses personnes», déclare par exemple Marco Wölfli, responsable de la communication du PLR. Même son de cloche du côté du Centre. «Nous misons sur des thèmes de fond qui préoccupent la population dans son ensemble, indépendamment de son origine», souligne Thomas Hofstetter, coresponsable de la communication.
Des valeurs qui trouvent un écho auprès des membres de la communauté kosovare. Président du parti radical zurichois depuis l’année dernière, Përparim Avdili veut représenter le PLR dans la Berne fédérale. Quant à elle, Majlinda SulejmaniLien externe se lance dans la course pour Le Centre dans le canton de Saint-Gall. Elle est la première musulmane à se présenter sous les couleurs de l’ancien parti catholique qui a changé son nom de Parti démocrate-chrétien (PDC) pour «Le Centre» en 2020.
Une diaspora optimiste
Responsable du groupe d’intérêts Migration auprès du syndicat Unia, Hilmi Gashi est aussi membre de la Commission fédérale pour la migration et du parlement communal de Muri-Gümligen, dans le canton de Berne, pour les Vert-e-s. Il s’engage depuis des années pour l’intégration et la participation de la diaspora kosovare dans la politique suisse. Il observe les élections nationales de cette année avec beaucoup d’intérêt. Le Bernois considère qu’en dehors des partis de gauche, les tentatives pour exploiter le potentiel électoral de cette communauté sont «laborieuses».
La nouvelle vague de participation de la communauté kosovare à la politique suisse le réjouit, sans le surprendre. «La communauté kosovare est depuis longtemps engagée en politique», souligne-t-il. De nombreux Kosovars ont changé de focus ces dernières années. Avec la déclaration d’indépendance de l’État kosovar en 2008, leur regard s’est détourné de leur ancienne patrie pour se tourner vers la nouvelle, relève Hilmi Gashi.
Hilmi Gashi estime que les chances des candidats et candidates suisses-kosovars sont faibles. Mais il ne faut pas sous-estimer la concurrence. «En dépit d’un fort engagement, de bonnes campagnes et de profils de qualité, ces candidates et candidats peinent à percer dans le paysage politique.»
L’analyste politique et auteur Mark Balsiger dresse un bilan similaire: «Les histoires de réussite comme celle de la conseillère d’État lucernoise nouvellement élue Ylfete Fanaj donnent de l’espoir. Mais il faudra encore beaucoup de temps avant que des élections comme la sienne se banalisent. La politique suisse est en retard sur la réalité sociale.»
Au sein de la communauté kosovare, on se montre toutefois optimiste. «Tous les chemins mènent à Berne», titrait le magazine de la diaspora Albinfo pour son édition d’avril. Le 10 septembre, le média a organisé une table ronde avec les candidats Islam Alijaj (PS), Reis Luzhnica (PS) et Përparim Avdili (PLR). La discussion avait pour thème la participation politique de la communauté albanaise du Kosovo en Suisse.
Mise à jour de la rédaction: Islam Alijaj a fait son entrée au Conseil national le 22 octobre sous les couleurs du Parti socialiste du canton de Zurich. Grâce à cette élection, la communauté kosovare en Suisse est désormais représentée pour la première fois au Parlement fédéral.
Traduit de l’allemand par Mary Vakaridis
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