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En Algérie, les incertitudes de l’après-Bouteflika

manifestations à Alger
Des étudiants brandissent une banderole avec l'inscription en arabe "les gens veulent diriger leur gouvernement de transition et former leur assemblée constituante" lors d'une manifestation ce mardi le long de la rue Didouche Mourade à Alger. Keystone / Mohamed Messara

Après six semaines de manifestations, Abdelaziz Bouteflika a présenté mardi soir sa démission, sous pression du chef d’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah. Mais tout reste ouvert pour la suite, explique le politologue Hasni Abidi, spécialiste du monde arabe.

L’annonce lundi du départ du président algérien d’ici le 28 avril n’a pas suffi. Vingt-quatre heures plus tard, Abdelaziz Bouteflika a présenté sa démission. Plus tôt dans la journée, à l’issue d’une réunion des plus hauts gradés de l’armée, son chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, avait estimé que le communiqué de lundi n’émanait pas du chef de l’Etat mais «d’entités non constitutionnelles et non habilitées», une allusion à l’entourage du président.

Directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAMLien externe) à Genève, Hasni Abidi analyse les enjeux des jours et semaines à venir pour la République algérienne, qui avait réussi à échapper aux soubresauts des révolutions arabes du début de la décennie.

Que signifie le retour de l’armée sur l’avant-scène?

Le régime s’effrite. Il n’est plus ce qu’il était avant le 22 février, date des premières manifestations. La «rue algérienne» a réussi à provoquer une rupture de solidarité au sein de ce régime politique, raison pour laquelle le pôle présidentiel se retrouve isolé. C’est l’armée qui déclenché l’article 102 (qui prévoit le départ d’un chef d’Etat impotent et l’organisation d’élections présidentielles dans les 90 jours) pour répondre aux revendications de la rue algérienne. Mais elle tient à piloter cette transition. Une volonté qui n’est pas partagée par toute la classe politique et surtout pas par les Algériens eux-mêmes.

Vu son rôle depuis l’indépendance, l’armée peut-elle favoriser une sortie de ce régime?

Tout dépendra du niveau de la mobilisation citoyenne, de la captation de ses revendications par les partis politiques et de nouvelles figures qui sont en train d’émerger. Ces vingt dernières années, Abdelaziz Bouteflika a laminé toute opposition politique. Il a fait le vide autour de lui, tout en réduisant la capacité de nuisance des services de renseignement au profit de l’état-major de l’armée.

Ce vide est aujourd’hui comblé par l’état-major de l’armée. C’est le système bâti par Bouteflika pendant 20 ans qui a raison aujourd’hui du président. Reste que l’institution militaire n’est pas formée pour gérer cette transition. D’où la nécessité d’accompagner l’article 102 par des réformes. L’armée propose une sortie juridique conforme à la constitution mais la crise algérienne est profonde, politique. C’est une crise de légitimité qui nécessite une réponse politique qui va au-delà d’une application stricte de la constitution.

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Si le scénario d’une élection présidentielle 90 jours après le départ du président se confirme, cela ne risque-t-il pas de court-circuiter le mouvement et les revendications des Algériens?

Il y a bien un risque que se reproduise le scénario de transition mis en place par le pouvoir en 1994 avec la présidence de Liamine Zeroual [dont le nom a circulé pour présider la transition]. Nous sommes face à deux voies divergentes: celle demandée par la rue, qui exige un changement de régime, mais sans proposer une feuille de route claire. Et celle proposée par le pouvoir qui plaide pour une transition, à condition d’en être l’artisan en s’appuyant sur l’article 102. Même si le chef d’état-major a aussi mentionné les articles 7 et 8 qui font référence à la souveraineté du peuple.

Or l’article 102 offre un délai très court pour permettre à l’opposition de s’organiser et désigner des candidats à la présidentielle. Autre divergence: les manifestants demandent l’installation d’une instance provisoire composée de personnalités indépendantes et affranchies du régime. Ce qui signifie une sortie de route par rapport à ce que prévoit la constitution, la seule voie privilégiée par le régime. 

Les anciens djihadistes n’ont-ils pas tout à perdre dans le changement d’un régime qui leur a offert l’amnistie? Plus largement, quel rôle peuvent jouer les mouvements islamistes, eux qui n’ont pas participé aux manifestations comme force politique?

Le président Bouteflika a fait passer une législation dite de clémence et de concorde suivie d’un référendum sur la concorde civile concoctée par l’armée. Ce cadre a permis au régime de domestiquer l’offre islamiste. Un certain nombre de djihadistes ont bénéficié des mesures d’amnistie et d’aide financière. Les autres courants islamistes qui avaient accepté la transition de 1994 ont été associés au pouvoir en étant représentés au parlement. Ces forces feront partie de la transition, mais ne pourrons plus mettre en avant leur virginité politique. Ce qui minimise l’impact de la mouvance islamiste, qui est certes organisée mais traversée par une grande diversité de courants. Elle ne peut en tout cas plus être agitée comme un épouvantail par le régime, ni proposer une alternative crédible parce qu’elle est rejetée par la majorité des algériens.

Depuis la guerre d’indépendance de l’Algérie, Genève et la région lémanique ont été une chambre d’écho et de refuge de la république algérienne. Est-ce toujours le cas? 

Ce temps est révolu depuis longtemps. Mais avec le départ de Bouteflika, c’est une autre page qui va probablement s’ouvrir à Genève. Si l’Algérie s’engage dans un processus de justice transitionnel, il est très probable que soient lancées des enquêtes sur des fonds placés en Suisse, notamment par des proches d’Abdelaziz Bouteflika.

Et qu’en est-il des risques d’interférence extérieure?

Les Algériens ont bien conscience de ce qui s’est passé durant les soulèvements arabes du début de la décennie. Ils sont immunisés face à d’éventuelles ingérences étrangères. D’autre part, la Tunisie comme le Maroc font profil bas. Ils n’ont aucun intérêt à déstabiliser leur puissant voisin. En revanche, la suite de ce mouvement va déterminer la mobilisation sociale et même la séquence politique des pays voisins. Le Maroc est toujours en attente depuis les manifestations sociales dans la région du Rif et la Tunisie voit son président contesté.

L’article a été modifié après la demission d’Abdelaziz Bouteflika.

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