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La Mauritanie renoue avec ses vieux démons

AFP

Le coup d'Etat du 6 août en Mauritanie sonne le glas d'une expérience démocratique qui avait suscité beaucoup d'espoir. La faute aux putschistes, à une société civile anémique, au pétrole, à l'Occident, selon le professeur Abdoulaye Sow de passage à Genève.

«Quand j’ai quitté Nouakchott, le parlement s’apprêtait à discuter un projet de loi pénalisant les mutilations génitales féminines. Avec les militaires au pouvoir, nul ne sait ce qui va se passer.» Abdoulaye Sow est amer.

L’annonce du coup d’Etat a surpris l’anthropologue mauritanien à Genève, où il participe à l’Université d’été des droits de l’homme. Depuis une dizaine d’années, ce militant des droits culturels se bat contre les pratiques traditionnelles néfastes: «On ne peut pas revendiquer une identité culturelle meurtrière. Il faut distinguer les pratiques respectueuses de la dignité humaine des «pratiques de la honte», comme le gavage des femmes ou les mutilations génitales féminines», souligne-t-il.

Des traditions légitimées par des arguments culturels fallacieux: le professeur les passe au crible des textes juridiques et les explique à la population dans un langage simple. «Les Mauritaniens excisent les filles en croyant que cela préserve leur virginité et évite des enfants hors mariage. Pourtant, dans nos villages tout le monde sait qu’il y a des enfants nés hors mariage, même si personne n’en parle! L’argument ne tient pas. Aussi, nous montrons qu’il n’y a pas de lien entre excision et virginité. On essaie de convaincre les hommes que ce n’est pas la fille vierge qui fait la valeur du mariage.»

Espace public désert

Difficile de combattre des préjugés tenaces dans un espace public presque désert. Pourtant, la transition démocratique du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi avait suscité beaucoup d’espoirs. Mais elle n’aura duré qu’un an et demi.

«Les généraux l’ont renversé en invoquant le blocage des institutions, la détérioration des conditions de vie, la déliquescence de l’Etat et le limogeage des chefs de l’armée et des forces de sécurité. Même si c’était vrai, est-ce que ça justifie un coup d’Etat ? Les militaires africains se croient investis de l’ordre moral, éthique et politique et cela fausse le jeu démocratique», lance le professeur.

Pour lui, la faiblesse de la société civile et des médias privés a fait le lit du putsch. «Dans un pays où la moitié de la population est analphabète, c’est par les radios privées FM qu’on aurait pu mobiliser les citoyens. Mais l’ex président les avait interdites: il avait peur qu’elles renforcent les replis identitaires. Il n’a pas non plus fait confiance aux intellectuels et à la société civile. En homme pieux, il espérait opérer une transition démocratique en douceur, alors que le pays a besoin de réformes vigoureuses.»

Encore le pétrole

Mais pourquoi la démocratie n’arrive-t-elle pas à prendre racine dans le monde arabe? «Pour qu’elle s’y implante, il faudrait que tout le monde admette une chose: les conflits ne peuvent être gérés que par le jeu politique. Et l’un des piliers de la démocratie, ce sont les élections. Or, le monde arabe est peuplé de sultans, émirs et militaires qui se transmettent le pouvoir de père en fils.»

Le professeur fustige aussi la complaisance de l’Occident et des institutions internationales, surtout depuis que du pétrole a été découvert en Mauritanie. «Or le capitalisme a besoin, pour que les marchandises circulent, de pays stables, d’une classe moyenne docile et de peuples travailleurs.»

Influence des pays voisins?

Pense-t-il que les pays voisins pourraient être derrière le putsch? «Non, car ils sont eux-mêmes empêtrés dans des difficultés énormes: l’Algérie et le Maroc sur la question du Sahara occidental, le Mali avec la rébellion touarègue, le Sénégal avec la Casamance. Ils n’ont aucun intérêt à voir l’instabilité s’installer en Mauritanie.»

«Il est vrai que, pendant longtemps, les problèmes politiques entre le Maroc et l’Algérie ont été transposés en Mauritanie, mais depuis août 2005, Nouakchott s’est dégagé de l’emprise marocaine et a joué le facilitateur entre les deux pays. D’ailleurs, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, a refusé de recevoir la délégation envoyée par la junte au pouvoir, ce qui montre bien le malaise des pays environnants», ajoute-t-il.

La Suisse peu connue

Si le professeur fustige la mollesse de la réaction française, il ne s’étonne pas du silence de la Suisse: « La Mauritanie est plus sensible aux déclarations de la France que de la Suisse. Votre pays est très peu connu de la population mauritanienne, même si l’élite a une très bonne perception des médias et de l’engagement suisses en faveur des droits de l’homme. Mais la Mauritanie n’est pas dans l’angle de la Suisse, ni d’un point de vue commercial, ni politique.»

Abdoulaye Sow se fait peu d’illusions sur l’avenir de son pays: «Les militaires viennent de nommer un Premier ministre, ça veut dire qu’ils ont l’intention de rester.»

En attendant, il se bat pour les droits culturels des communautés africaines immigrées en Suisse. Depuis sept ans, il collabore dans la lutte contre l’excision avec le canton de Genève, où 5000 femmes seraient victimes de ce fléau.

swissinfo, Isolda Agazzi/InfoSud

Ancienne colonie française, la Mauritanie accède à l’indépendance en 1960.

Jusqu’en 1978, elle connaît un régime de parti unique, sous la présidence de Mokhtar Ould Daddah. De 1978 à 1984, une série de coups d’Etat amènent les militaires au pouvoir.

De 1984 à 2005, le pays vit sous la dictature féroce de Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya. Celui-ci sera renversé en août 2005 par le «coup d’Etat démocratique» du colonel Ely Ould Mohamed Vall, qui s’engage à rendre le pouvoir aux civils après une transition démocratique de deux ans.

Le colonel organise le retour des réfugiés, libéralise la presse, promeut les minorités au niveau des instances médiatiques, organise des élections municipales, législatives et présidentielles.

En mars 2007, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi est élu à la présidence de la république et Mohamed Vall lui rend le pouvoir.

Mais le 6 août 2008 il est renversé par un coup d’Etat militaire, orchestré par le général Mohammed Ould Abdel Aziz.

Les échanges entre la Suisse et la Mauritanie sont très modestes, malgré un accord commercial, de protection des investissements et de coopération économique et technique signés en 1976.

La présence suisse à Nouakchott se limite à un consulat. La Mauritanie n’est pas un pays de concentration de l’aide au développement, mais la DDC y soutient quelques organisations non gouvernementales, comme Terre des hommes.

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