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La mort d’Alexandre Soljenitsyne

Après son départ de Russie, l'écrivain à son arrivée à Zurich en 1974. Keystone

L'écrivain russe et Prix Nobel de littérature 1970 est décédé la nuit dernière à son domicile moscovite à l'âge de 89 ans. Grande figure de la dissidence en URSS et expulsé de son pays en 1974, la Suisse a été sa porte d'entrée en Occident.

«Il a été le cri déclenchant l’avalanche qui a fait tomber le régime communiste, qui avait l’air d’être installé là pour mille ans. Il avait eu une vie splendide car entièrement décidée par lui-même.»

C’est ainsi que Georges Nivat, professeur de littérature russe à l’Université de Genève et auteur de plusieurs livres sur Soljenitsyne, lui a rendu hommage pour swissinfo.

Alexandre Issaevitch Soljenitsyne, prix Nobel de littérature 1970, est décédé «à la suite d’une insuffisance cardiaque aigue» dimanche à 23h45 heure de Moscou (21h45 en Suisse), a déclaré son fils Stepan, cité par l’agence de presse Itar-Tass.

L’écrivain, très affaibli depuis plusieurs années, n’apparaissait plus que rarement en public. Des images télévisées le montraient alors recevant des hôtes dans sa maison de Troïtse-Lykovo, au nord-ouest de Moscou, en fauteuil roulant.

Deux ans à Zurich

Soljenitsyne avait été arrêté en 1945 pour avoir critiqué le régime de Staline, ce qui lui avait valu huit ans de bagne. Il a révélé au monde la réalité du système concentrationnaire soviétique dans ses ouvrages «Une journée d’Ivan Denissovitch» (publié en 1962 avec l’accord du pouvoir), et «L’Archipel du Goulag» (dès 1973), réquisitoire sans appel contre le système concentrationnaire.

Le 13 février 1974, le monde apprenait par l’agence Tass que Soljenitsyne avait été arrêté le 12 et déchu de sa nationalité. Le 14, il était expulsé et partait pour Francfort. Le 15, il arrivait à Zurich où il devait rester deux ans.

«Soljenitsyne a été accueilli à la gare par les applaudissements et les hourras d’une foule importante. C’est avec peine que la police a pu la contenir pour permettre à l’écrivain de gagner une voiture. Des journalistes du monde entier étaient présents» écrivait l’ATS à l’époque.

Un mois et demi plus tard, le 29 mars, il était rejoint par sa famille – sa femme, sa belle-mère et ses quatre enfants. Dans un interview, l’écrivain a déclaré que la démocratie de base lui plaisait (il maîtrisait l’allemand depuis sa scolarité). Il s’était rendu à une Landsgemeinde en Appenzell.

Après son passage en Europe, il partit pour les Etats-Unis et s’installa en 1976 à Cavendish, dans le Vermont, jusqu’à son retour en Russie en mai 1994.

Nationaliste modéré

Depuis son retour sur sa terre natale, il s’était montré critique envers l’Occident et aussi envers l’évolution de la Russie post-soviétique. Il appelait notamment à un retour aux valeurs morales traditionnelles.

La Russie qu’il retrouve n’est cependant pas celle qu’il avait quittée. Il n’est plus le porte-voix d’une intelligentsia avide de changements. Les médias russes notent que ses livres se vendent nettement moins que dans les années Khrouchtchev. La télévision supprime rapidement une émission qu’il animait.

Il appréciait néanmoins les positions de Vladimir Poutine, malgré son passé d’officier du KGB. Le président (2000-2008) reconverti Premier ministre est un partisan du retour d’une Russie forte et fière d’elle-même.

En 2006, Alexandre Soljenitsyne avait accusé l’OTAN de préparer «l’encerclement total de la Russie et la perte de sa souveraineté», en «renforçant méthodiquement et avec persistance sa machine militaire dans l’est de l’Europe».

Georges Nivat qualifie le Prix Nobel de «nationaliste modéré, mais intransigeant sur l’essentiel». «Il avait eu une vie splendide car entièrement décidée par lui-même, ajoute le professeur genevois. C’était un écrivain-lutteur, qui a décidé dès l’adolescence ce qu’il allait faire de sa vie.»

swissinfo et les agences

Alexandre Issaïévitch Soljenitsyne naît à Kislovodsk le 11 décembre 1918, un an après la Révolution d’octobre.

Il étudie la physique et les mathématiques. Mobilisé en 1941, il est décoré par deux fois pour son courage sur le front.

En 1945, il critique Staline dans une lettre et fait 8 ans de bagne. Libéré en 1953, il est atteint d’un cancer à l’estomac dont il se remet.

En 1962, paraît «Une journée dans la vie d’Ivan Denissovitch», sur la réalité des bagnes.

Après l’attribution du Nobel en 1970 et la parution en 1973 en France de «L’Archipel du Goulag», il est déchu de sa nationalité et expulsé en 1974.

Il passe deux ans en Suisse puis s’installe en 1976 dans le Vermont, aux Etats-Unis, et reprend un projet pharaonique entamé dans les années 1930: «La Roue rouge», saga sur la mise en place du système soviétique.

Après la dislocation de l’URSS fin 1991, il rentre en «patriarche» en Russie en 1994, après 20 ans d’exil.

Il meurt le 3 août 2008, quatre mois avant son 90e anniversaire.

Une journée d’Ivan Denissovitch, Novi Mir, Moscou, 1961.
Le premier cercle Robert Laffont, 1968.
Le pavillon des cancéreux Paris, Julliard, 1969.
L’archipel du goulag Première et deuxième parties: 1918-1956.
L’archipel du goulag Troisième et quatrième parties: 1918-1956.
Discours américains Seuil, 1975.
Le chêne et le veau Esquisses de la vie littéraire. Seuil, 1975.
L’archipel du goulag Cinquième sixième et septième parties: 1918-1956.
Le déclin du courage Discours de Harvard, juin 1978. Paris, Seuil, 1978.
L’erreur de l’Occident Grasset, 1980.
La roue rouge Récit en segments de durée Fayard/Seuil, 1983.
Comment réaménager notre Russie? Réflexions dans la mesure de mes forces. Fayard, 1990.
Le «problème russe» à la fin du XXe siècle Fayard, 1994.
Nos jeunes: récit en deux parties Fayard, 1997.
La Russie sous l’avalanche Le Grand livre du mois, 1998.
Le grain tombé entre les meules Esquisses d’exil Première partie: 1974-1978. Fayard, 1998.
Le grain tombé entre les meules Esquisses d’exil Deuxième partie: 1979-1994. Fayard, 2005.

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